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2 La montagne comme moyen de différenciation de l‟offre alimentaire

2.1 La montagne comme signe d’origine de produits alimentaires

2.1.3.4 Les buts des consommateurs

Depuis cinquante ans, l‟idée de but est utilisée comme point de départ d‟études à propos du comportement des consommateurs. L‟approche de « problem-solving behavior », le comportement de résolution de problème, d‟Alderson (1957) partait des buts pour comprendre les efforts des consommateurs et les processus à travers lesquels ils cherchaient à atteindre ces buts. Si, dans un premier temps, les buts dans les études consommateurs semblaient être davantage associés à un domaine d‟action individuelle et liés aux comportements (Sirieix, 1999b), les recherches se sont bien diversifiées dans la dernière décennie (Huffman et al., 2003).

L‟approche des « processus de choix construit » proposée par Bettman et al. (1998) est actuellement le paradigme dominant dans l‟investigation des choix des consommateurs (Huffman et al., 2003). Cette approche est tributaire de la notion de rationalité limitée de Simon et souligne que les préférences des consommateurs ne sont pas révélées dans le processus de choix, mais sont plutôt construites. Les auteurs proposent donc ce que seraient les buts de consommation, les quatre principaux en sont : maximiser la précision du choix, minimiser l‟effort cognitif demandé pour faire un choix, minimiser l‟expérience émotionnelle négative due à l‟acte de choix et maximiser la facilité de la justification de la décision.

En suivant Simon, dans l‟approche constructive, les préférences des consommateurs sont fortement dépendantes du contexte, ainsi que de la façon de représenter un problème, contingente au moment du choix et à l‟expérience acquise par les consommateurs. De même, les auteurs rappellent que les êtres humains sont des êtres émotionnels et en même temps sociaux. Ainsi, il importe de comprendre les chemins cognitifs employés dans les choix, mais aussi les influences exercées par l‟émotion, l‟affectivité et les normes sociales. Les buts identifiés auraient ainsi pour objectif de couvrir cette pluralité de motivations humaines.

L‟approche nous semble être en cohérence avec le cadre théorique de Simon. Cependant, elle ne fournit pas les clés de compréhension pour notre étude, qui se situe en amont du choix.

D‟autres auteurs proposent une structure hiérarchique des buts, dans laquelle le niveau intermédiaire correspondrait à un but central, ou à un comportement souhaité. Les buts d‟ordre supérieur étant en relation avec des croyances plus abstraites et qui justifieraient le but intermédiaire. Dans l‟ordre inférieur, on trouve des buts subordonnés qui se situe dans un niveau dit opérationnel, à travers lequel une action est prise pour arriver au but central (Bagozzi, Dabholkar, 1994 ; Austin, Vancouver, 1996).

Tableau 2 – Hiérarchie des buts

Niveau Réponse à la question Exemple donné par Pieters, Baugartner et Allen (1995)

Buts subordonnés (programme) Opérationnel Comment atteindre mon but ? Suivre un régime

Buts intermédiaires (principes) Intermédiaire Quel est mon but ? Perdre du poids

Buts supérieurs (système) Abstrait Pourquoi atteindre mon but ? Santé

Pour Sirieix (1999b, p.103) les buts d‟ordre supérieur peuvent être assimilés à des valeurs, au sens moral, « car ils correspondent au niveau le plus abstrait des croyances normatives. […] Cette proximité entre valeurs et buts d‟ordre supérieur est confirmée par le fait que, contrairement aux buts des deux premiers niveaux exprimés à l‟aide de verbes, généralement d‟action, les buts d‟ordre supérieur sont exprimés, comme les valeurs, par des noms ». Ainsi, il n‟y aurait pas vraisemblablement une distinction entre les buts d‟ordre supérieur et des valeurs, ce qui justifie que leur usage puisse être fait de façon indistincte dans beaucoup de recherches. En revanche, les concepts de buts intermédiaires et de valeurs ne peuvent pas être utilisés comme des équivalents. Partant de ce cadre, nous comprenons les préférences faites à travers les croyances des agents, autrement dit, ce sont leurs valeurs qui justifient leurs préférences.

Austin et Vancouver (1996) insistent sur le fait que le but serait la finalité d‟une action. Huffmann et Houston (1993) prennent les buts comme étant des bénéfices (attendus) donnés par les attributs d‟un produit, mettant en relief une situation relationnelle entre les buts des agents et les caractéristiques des produits. Par ailleurs, dans une proposition qui souligne les motivations en termes de valeurs morales, Huffman et al. (2000) et Huffman et al. (2003) utilisent des registres sociaux pour comprendre les buts des agents. Les auteurs prennent les „stades d‟existence‟ de Sartre pour proposer une hiérarchie de la structure des buts de consommation. Entre ces niveaux d‟existence, « être » est le niveau le plus élevé, ensuite nous avons « faire » et « avoir ». La consommation étant un acte à travers lequel les agents confirment, rejettent ou renforcent leurs croyances et leurs valeurs par rapport à soi et par rapport à la société. Cependant, dès lors que les auteurs parlent de la hiérarchie des buts, on s‟aperçoit qu‟il s‟agit plutôt de mettre en évidence une hiérarchie des registres sociaux auxquels les buts sont corrélés (voir tableau 3).

Tableau 3 – Buts par rapport aux niveaux de l’existence

Niveau Buts Définition

Etre Valeurs et projets de vie Idées personnelles de l’être

Faire Préoccupations actuelles et intentions de consommation

La construction et maintenance de rôles clé de la vie Activités, événements dans lesquels l’individu souhaite être engagé

Avoir Bénéfices attendus Préférences Produits (et services) Conséquences désirées de l’usage d’un produit avant,

pendant et après la consommation Source : adapté d’Huffman et al., 2003.

Les buts situés dans le niveau « être » font référence à des conceptions de l‟être auxquelles l‟agent donne de l‟importance, c‟est-à-dire, il s‟agit de « ce que la personne essaie d‟être23 » (Huffman et al., 2003, p. 20). Dans le niveau subséquent, « faire », on trouve des activités dans lesquelles les sujets souhaitent être engagés. Ces activités donnent du sens aux comportements, permettant d‟atteindre le „soi idéal‟ forgé dans „l‟être‟. Enfin, les buts liés au domaine « avoir » sont des moyens acquis pour faciliter ou atteindre des buts liés au domaine de l‟être. En synthèse, la proposition conceptualise les projets de vie et les intentions de consommation en tant qu‟interfaces entre l‟être et le faire, et le faire et l‟avoir respectivement. Les projets de vie concernent les rôles et les identités jugés importants pour un individu. Une fois que cet individu a des projets, ceux-ci guident ses actions de consommation.

Ittersum (2001) en fait usage en analysant le rôle de la région d‟origine dans le processus de choix des consommateurs. Dans son analyse, les individus concernés par un sentiment d‟appartenance sont guidés par une valeur morale, ce qui fait qu‟ils internalisent des actions, telles que la consommation de biens issus de telle ou telle région, comme une façon d‟agir en cohérence avec leurs valeurs.

Nous pouvons constater que les buts en soi ne suffisent pas pour comprendre les décisions, ou les préférences, celles-ci étant intimement liées aux valeurs au sens moral.

De même, Payne et al. (1992) comprennent les préférences des consommateurs par rapport aux valeurs que ceux-ci portent. Ainsi, pour des produits respectueux de l‟environnement, il faudrait connaître l‟importance accordée par les consommateurs à la préservation de l‟environnement ; ce qui serait une clé pour communiquer auprès de niches de consommateurs particulièrement sensibles au sujet et plus sensibles à une offre qui s‟affiche écologique.

Notre objectif est d‟analyser la relation entre les attributs des produits de montagne tels que les consommateurs les perçoivent et les objectifs auxquels s‟attendent les consommateurs. Ainsi, la question que pose Gabriel et Urien (2006, p. 46), à propos du renouvellement de la bibliographie sur l‟origine territoriale semble pertinente: « Il importe de s‟interroger également sur ce que le consommateur fait de cette origine territoriale désormais de plus en plus malléable. Que recherche le consommateur à travers l‟origine ? ».

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Pour essayer de savoir ce que les consommateurs recherchent (les buts) à travers l‟origine du produit alimentaire, nous nous appuyons sur la notion de buts mais aussi de la valeur de consommation. L‟analyse de la valeur de consommation se situe dans le champ des expériences de consommation dont la préférence est relative (comparative, personnelle, situationnelle). Ainsi, les préférences sont caractérisées par l‟expérience d‟un individu en interaction avec un objet (produit ou service). Autrement dit, « la valeur est dans l‟individu qui valorise » (Aurier et al., 2004, p. 2). On suppose que le système de valeurs (ou sous-buts) que portent les agents joue sur leurs préférences et fait que les biens sont réinterprétés par rapport à leurs buts.

Nous supposons que les buts des consommateurs sont le point d‟intersection entre les valeurs dont ils sont porteurs et les valeurs perçues dans les biens. La figure 10 illustre une intersection entre la valeur morale de l‟agent (la valeur de la responsabilité) et la valeur de consommation d‟un bien du point de vue des consommateurs (la préservation de l‟environnement). Une telle combinaison permettrait d‟atteindre le but d‟agir éthiquement et avec responsabilité environnementale.

Figure 2 – Buts : entre la valeur de consommation et le système des valeurs

La notion de valeur de consommation permet de découper les attributs des produits et de « rendre cohérent le positionnement de l‟offre ayant une origine territoriale distincte avec chacune des fonctions susceptibles d‟être apportées ou recherchées par le consommateur » (Gabriel, Urien, 2006, p. 48). Pour décomposer la valeur d‟un bien et arriver à des valeurs que les produits de montagne peuvent apporter aux consommateurs, nous allons utiliser la proposition d‟Aurier et al. (2004).