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REVUE DE LITTERATURE ET DEVELOPPEMENT DE LA METHODOLOGIE

CHAPITRE 1. LE COMPORTEMENT DU CONSOMMATEUR EN MAGASIN

3. Les méthodologies de recueil de données

Cette diversité dans les cadres théoriques et les variables explicatives étudiées entraîne une grande diversité dans les méthodologies de recherche utilisées. Nous allons en faire une rapide revue. Nous présentons dans l’ordre 1) les analyses des données de panels de distributeurs, 2) les expérimentations en laboratoire, 3) les enquêtes, 4) les expérimentations en milieu réel et 5) les observations directes des comportements en milieu réel. Cet ordre est important puisque les recherches sont ainsi classées de l’observation la plus « indirecte » (les études par données panels n’observent pas ce qui se passe dans le magasin, elles n’en étudient que les flux sortants en termes d’achat) à la plus « directe ». La figure 1.3 représente cette logique de rédaction.

Figure 1.3. Classification des méthodologies de recueil de données

- Etude des données panels - Expérimentations en laboratoire - Enquêtes par questionnaires - Expérimentations en milieu réel

- Observation directe des comportements Indirecte

3.1. Le magasin comme « boîte noire » : les études panels

Principe

Les données panels sont automatiquement générées par le scanning de chaque produit acheté par chacun des consommateurs passant en caisse. Ces données sont d’une valeur inestimable, aussi bien pour les praticiens que pour les chercheurs. En effet, elles décrivent précisément les achats réalisés par les consommateurs en magasin : les produits achetés, en quelle quantité, à quel prix, en promotion ou en fond de rayon, etc. (Bawa et al. 1989) Grâce aux cartes de fidélité personnalisées des distributeurs, ces données peuvent même être désagrégées et permettre des modèles individuels (Meyer-Waarden 2007). De nombreuses recherches les utilisent.

Applications

Des recherches issues de cadres théoriques très différents utilisent ces données. Par exemple, Bawa et al. (1989) confirment des théories de psychologie cognitive concernant les heuristiques de décision en inférant à partir des données panels d’un distributeur les stimuli auxquels les consommateurs sont exposés en magasin (largeur de l’assortiment, promotions, coupons, têtes de gondole, etc.) ainsi que leurs réponses comportementales (fidélité à la marque, essais de nouveaux produits, sensibilité aux promotions, etc.). Toujours en psychologie cognitive, Simonson et Winer (1992) s’intéressent au comportement de recherche de variété du consommateur. Dans le cadre théorique de la psychologie environnementale, Buckley (1991) teste un modèle S-O-R et étudie l’impact des caractéristiques d’un produit sur l’achat de celui-ci. Bawa et Ghosh (1999), quant à eux, étudient les antécédents démographiques pouvant expliquer les comportements en magasin en partant de théories économiques néo-classiques. En purs modélisateurs, Drèze et al. (2004) analysent des données panels pour étudier les réponses du consommateur face aux promotions. Le nombre de recherches utilisant cette méthodologie de recueil de données est croissant dans la recherche en marketing (Ho et al. 1998; Leenheer et al. 2007).

Limites

Les recherches utilisant les données panels infèrent le comportement en magasin à partir de la résultante de ce comportement en termes de variables d’achats sortie-caisse. Ainsi, elles considèrent le point de vente comme une boîte noire de laquelle elles n’étudient que les flux sortants. Il n’y a donc pas d’analyse possible des processus comportementaux en magasin.

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3.2. Le magasin reconstitué en laboratoire

Principe

Les expérimentations en laboratoire ont pour but de rendre possible cette analyse des processus comportementaux en magasin. Les designs expérimentaux consistent à séparer des individus en plusieurs groupes similaires et à leur appliquer un traitement spécifique afin d’étudier l’impact de ce traitement. Ces expérimentations sont généralement effectuées en laboratoire, c’est-à-dire hors contexte réel. Elles sont très appropriées pour isoler l’impact d’une variable spécifique sur le comportement du consommateur en magasin. Elles ont aussi un avantage en termes de coûts puisqu’elles permettent de simuler des changements dans l’organisation du magasin ou dans la présentation des produits en linéaire sans avoir besoin de les réaliser en réel. On ne se trouve pas ici en milieu réel, le magasin étant simulé en laboratoire. Ces simulations sont très différentes selon les recherches.

Applications

Le traitement expérimental le plus simple pour donner l’impression à un individu qu’il est dans un magasin et dans un contexte particulier est la méthode des scénarios. Les participants lisent quelques lignes leur permettant de se mettre en situation (Darke et Chung 2005 ; Kaltcheva et Weitz 2006 ; Lam et Mukherjee 2005). Des mesures de l’efficacité des manipulations sont alors indispensables pour vérifier que les comportements des individus sont bien influencés par les scénarios.

Afin de créer des scènes plus réalistes, plusieurs améliorations ont été apportées. Premièrement, les scénarios sont parfois accompagnés d’images ou de photographies représentant des scènes d’intérieurs de magasin. Il a en effet été montré que les images ont une validité écologique satisfaisante, c’est-à-dire qu’elles peuvent évoquer convenablement la réalité, à condition que les dimensions à manipuler soient des dimensions visuelles (Bateson et Hui 1992). Deuxièmement, pour faciliter encore davantage la mise en situation du participant, certaines expériences font appel à des solutions vidéo qui ont l’avantage d’être animées. Le traitement expérimental réside donc dans le visionnage d’une séquence filmée par une personne se déplaçant à travers les rayons d’un magasin réel, afin que le participant ait l’impression de marcher dans le magasin (Baker et al. 1992 ; Grewal et al. 2003 ; Voss et al. 1998). L’une des limites de ces techniques est qu’elle ne peut simuler l’interactivité des consommateurs avec leur environnement existant dans un magasin réel. C’est pourquoi certaines recherches vont jusqu’à reconstituer des magasins en laboratoire afin de créer les

conditions les plus réalistes possibles. Généralement, seuls un ou deux rayons sont reconstitués et les participants sont invités à se comporter comme s’ils étaient dans un vrai magasin en train de faire leurs courses (Spangenberg et al. 1996).

Limites

Cette méthodologie est parfois décriée car les comportements étudiés sont effectués hors contexte réel (Otnes et al. 1995). Il peut sembler difficile pour un individu de ressentir les émotions ou d’avoir les intentions de comportement qu’il aurait dans un vrai magasin.

3.3. Les enquêtes

Principe

C’est le moyen le plus communément utilisé pour étudier le comportement du consommateur en magasin. Les questionnaires sont en effet un moyen rapide d’interroger un grand nombre de consommateurs sans avoir besoin de les observer. Les variables mesurées sont généralement de deux ordres : des intentions de comportements (pour les questionnaires administrés en dehors d’un contexte de shopping ou avant que le consommateur n’entre dans le magasin) et des comportements rétrospectifs (pour les questionnaires administrés à la fin d’une visite en magasin et portant sur ce que le consommateur a fait pendant cette visite).

Applications

Certaines recherches administrent les questionnaires hors magasin. Elles mesurent alors des intentions de comportement que les individus pensent qu’ils auraient s’ils se retrouvaient dans une situation de shopping particulière (Ladhari 2007). Par exemple Cox et al. (2005) administrent des questionnaires à des femmes en passant par des communautés religieuses ou des associations de parents d’élèves. Cette voie d’administration permet un recueil rapide de nombreux questionnaires, mais le fait d’interroger les gens hors contexte rend la fiabilité des réponses sujettes à caution (McIntyre et Bender 1986). Les questionnaires peuvent également être administrés en magasin, ils mesurent alors les comportements déclarés que les consommateurs pensent avoir adoptés au cours de leur visite (Donovan et al. 1994 ; Tai et Fung 1997) ou bien leurs perceptions du magasin ou de la qualité des produits (Ching-I et al. 2007). C’est également le moyen le plus utilisé pour mesurer les motivations de shopping qui sont alors des attitudes envers des comportements (Dawson et al. 1990 ; Jamal et al. 2006).

40  Limites

Les enquêtes par questionnaires sont très fréquentes du fait de la facilité et de la rapidité de ce mode de recueil de données. Cependant, la contrepartie est qu’ils sont peu fiables. En effet, il a été montré que les intentions de comportement recueillies par les enquêtes hors magasin pouvaient être différentes des comportements qui seraient réellement effectués si le consommateur était vraiment en magasin (Cobb et Hoyer 1985). De plus, même les questionnaires qui recueillent les comportements que les consommateurs déclarent avoir adoptés peuvent significativement différer des comportements réellement adoptés (Evrard et al. 2003).

3.4. Les expérimentations en milieu réel

Principe

De nombreuses recherches effectuent des expérimentations en milieu réel. Elles effectuent des changements dans des magasins réels et étudient les différences de comportements que cela engendre. Ces études utilisent donc comme participants les vrais clients des magasins qui ne sont généralement conscients qu’après-coup d’avoir été soumis à une condition particulière d’une expérimentation.

Applications

Michon et al. (2005) étudient l’impact des odeurs et de la densité humaine sur le comportement du consommateur. Ils effectuent leur expérimentation dans un centre commercial réel dans lesquels les consommateurs évoluent sans avoir conscience d’être observés. Pour manipuler les conditions des variables explicatives étudiées (odeur et foule), les auteurs font varier l’ambiance odoriférante d’une semaine sur l’autre et réalisent leurs enquêtes à différentes heures de la journée pour faire varier le niveau de foule. Areni et Kim (1994) mènent une expérience dans le contexte réel d’un rayon de vins en faisant varier la puissance de la luminosité pour étudier son impact sur le comportement. Les individus suivis sont les vrais clients qui ne sont mis au courant de l’expérimentation qu’après leur participation. Park et al. (1989) utilisent eux aussi une méthodologie expérimentale en milieu réel dans un format différent : les participants vont faire leurs courses dans un vrai magasin mais sont placés dans des conditions de pression du temps et de connaissance du magasin différentes. Ils savent donc qu’ils prennent part à une expérimentation et sont suivis et observés par un chercheur durant toute la durée de la visite en magasin.

Limites

Les avantages et inconvénients recensés dans la littérature à propos de cette méthode sont exactement les opposés de ceux concernant les expérimentations en laboratoire. En effet, ici la question de l’efficacité de la mise en situation ne se pose pas puisque les individus sont étudiés en milieu réel et que, pour la plupart des recherches, ils ne sont prévenus de l’expérimentation qu’une fois les observations effectuées ou les mesures réalisées. Ils se comportent donc de façon naturelle. C’est en revanche la question de l’isolation et du contrôle des variables étudiées qui pose problème. En effet, les différences de comportements relevées peuvent être dues à un grand nombre de variables non contrôlées.

3.5. Les observations en milieu réel

Principe

Certaines recherches prennent le parti d’observer le comportement réel du consommateur en magasin. Ces études élaborent des protocoles de recherche leur permettant de suivre plus ou moins précisément les déplacements et les actions du consommateur, afin d’avoir des observations concrètes sur les comportements réels. De nombreuses méthodes d’observation existent selon l’objectif des études.

Applications

Une première méthode consiste à suivre le consommateur en magasin et à lui demander d’expliquer ce qu’il fait au moment où il le fait. C’est ce que l’on appelle la méthode des protocoles (Payne 1994). De nombreuses recherches utilisent cette méthode car elle permet d’avoir des données très riches et très détaillées. Les chercheurs analysent alors les « verbatims », c’est-à-dire les paroles prononcées par les consommateurs. D’autres méthodes d’observation nées de l’anthropologie permettent de dégager le sens que les individus donnent à leur activité de shopping (Dion 2008 ; Miller 1998). Ces analyses permettent des interprétations subtiles du comportement. En revanche, il est pratiquement impossible de les intégrer ensuite dans une base de données afin de quantifier ces comportements. Il est donc très difficile de prévoir ce comportement ou d’analyser des relations entre le comportement en magasin et d’autres variables.

D’autres études préfèrent une observation non intrusive des comportements. Elles suivent donc le consommateur sans que celui-ci en soit conscient. Ce sont alors les déplacements entre les allées ainsi que les faits et gestes du consommateur devant les rayons qui sont recueillis et analysés. Toute la difficulté est d’en inférer un sens. Certaines études ne

42 relèvent qu’un nombre limité d’actions : par exemple Areni et Kim (1994) étudient les actions consistant à s’approcher du rayon et à prendre en main des produits afin d’opérationnaliser l’attraction ressentie par les consommateurs pour le rayon. De même, Ladwein (1993) relève le nombre de fois où les consommateurs prennent en main des produits, les reposent en rayon ou les achètent, afin de mesurer l’importance du processus cognitif de décision. En revanche, d’autres recherches recueillent des faits et gestes composant la quasi-totalité du comportement devant le rayon afin de comprendre le sens du comportement en magasin dans son ensemble (Bonnin 2003).

Parfois, des moyens plus technologiques sont utilisés pour enregistrer les comportements réels en magasin. Cela est fait pour deux raisons. Tout d’abord, le suivi d’un consommateur et le codage de son comportement sont des activités laborieuses et coûteuses ; deuxièmement, ces suivis sont effectués humainement et sont dépendants des erreurs pouvant en découler. Les moyens d’enregistrements sont diverses, allant de la technologie RFID (Radio Frequency Identification) permettant de suivre le parcours des chariots en magasin à l’aide de puces électroniques (Hui et al. 2009a, 2009b ; Larson et al. 2005) jusqu’à l’enregistrement vidéo et des systèmes de reconnaissance des formes (Skogster et al. 2008). Le point faible de ces techniques vient du fait que les observations sont beaucoup moins précises : par exemple, le parcours du chariot enregistré par la technologie RFID peut être très différent du parcours réel du consommateur et ne donne aucune information sur les actions précises effectuées.

Limites

Ainsi, les recherches observant les comportements réels en magasin parviennent à recueillir soit des données précises mais difficilement quantifiables, soit des données quantifiables mais peu précises. L’un des défis de l’observation réelle en magasin est de trouver un moyen d’allier ces deux qualités.