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SYNTHESE DU CHAPITRE

CHAPITRE 2. L’OBSERVATION DU COMPORTEMENT DU CONSOMMATEUR EN MAGASIN

1. Le courant qualitatif

1.2. Les méthodes des protocoles vidéo

Le principe

Afin de faire en sorte que les consommateurs aient un comportement naturel qui ne soit pas biaisé par la présence d’un enquêteur ou par la verbalisation des comportements, la méthode des « protocoles-vidéo » a été développée (Bowers et Snyder 1990). Cette fois, les individus ne sont pas accompagnés pendant leur visite en magasin, mais ils sont filmés à distance. Cela permet un comportement plus naturel et résout deux problèmes posés par la méthode des protocoles : le changement de comportement dû au biais de désirabilité sociale, et le changement de comportement dû à la verbalisation. Directement après la visite en magasin, les individus regardent la vidéo sur un écran de télévision. C’est à ce moment qu’ils doivent, comme dans la méthode des protocoles, expliquer tout haut ce qu’ils se voient en train de faire. Il a en effet été montré que la vidéo est un média qui permet aux participants de se remémorer particulièrement bien leurs actions et les raisons de ces actions quand ils se regardent (Raaijmakers et Shiffrin 1992).

Les applications

Büttner et Silberer (2008) utilisent les protocoles vidéo pour étudier le comportement du consommateur en magasin. Deux résultats ressortent de leurs études. Premièrement, ils montrent que plus la verbalisation (donc la délibération face au rayon) est importante, plus la probabilité d’achat est élevée. Cette technique est particulièrement adaptée pour mettre en lumière ce type de relation : l’individu peut en effet mettre la vidéo sur pause ou revenir en arrière, afin de prendre le temps de bien préciser sa pensée. Deuxièmement, ils étudient les comportements en magasins des couples et proposent un exercice intéressant : chacun des membres du couple commente le comportement de l’autre. Les résultats montrent que la technique des protocoles vidéo possède un potentiel intéressant pour étudier les processus interpersonnels entre les individus faisant leurs courses ensemble.

Une méthode essayant de combiner les deux, protocoles immédiats et a posteriori a également été développée. Les participants sont munis d’une casquette sur laquelle est installée une mini caméra qui filme leur champ de vision (Belk et Kozinets 2005). Il est ainsi possible de coupler l’analyse de l’observateur avec les verbalisations de ce que le consommateur a vu, ce qui augmente encore la quantité des informations disponibles.

Les limites

Cette technique élimine les modifications de comportements dus à la verbalisation en magasin mais elle ne supprime pas les autres :

 Premièrement, il existe toujours le biais de désirabilité sociale puisque le consommateur sait qu’il est suivi par une caméra. Il existe également le biais de véracité de la verbalisation quand le consommateur doit expliquer ce qu’il a fait.

 Deuxièmement, les limites concernant la lourdeur du processus et l’impossibilité de quantification des résultats évoqués lors de la description de la méthode des protocoles sont toujours valables ici. En effet, les données sont du même type (verbatims). Elles ne sont pas enregistrées en magasin mais devant un écran de télévision et les taches de retranscription et de codage demeurent les mêmes.

 Troisièmement, cette technique ajoute un biais supplémentaire lié à la mémorisation. En effet, l’individu peut ne pas se rappeler pourquoi il a pris tel ou tel produit ou pourquoi il est allé dans une direction plutôt qu’une autre. Il est donc possible qu’en essayant d’expliciter a posteriori ses actions, il crée de faux souvenirs. Cela arrive surtout si le chercheur est trop directif (Russo et al. 1989).

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1.3. L’anthropologie

Le principe

Dans le dictionnaire l’association américaine de psychologie, l’anthropologie est définie comme « l’étude de l’être humain, englobant la description et l’explication des

similarités et des différences entre les groupes humains en ce qui concerne leurs langages, leurs expressions esthétiques, leurs systèmes de croyances et leur structures sociales ».

(Vandenbos 2007). L’une des approches très souvent utilisée est l’approche ethnographique qui consiste à « établir résidence dans la communauté, parler couramment le langage et

participer activement à la vie de la communauté afin de développer des éléments de compréhension de la culture étudiée » (Vandenbos 2007). D’abord appliquée à l’étude des

cultures de tribus autochtones des pays lointains (notamment les colonies des pays industrialisés), l’ethnographie a peu à peu élargi son champ d’application, pour s’intéresser aux pratiques et expériences de consommation (Arnould et Wallendorf 1994 ; Ladwein 2002), et notamment au comportement d’achat en magasin (Mc Grawth 1989). Dans ce cadre, les chercheurs partagent la vie de consommateurs, pas seulement le temps dévolu à faire les courses, mais aussi celui dédié aux autres activités, afin de comprendre le sens donné à cette activité particulière au sein de leur existence.

Les applications

Même si c’est encore un champ émergent de la littérature académique sur le comportement en magasin, l’ethnographie a été utilisée dans quelques recherches afin de comprendre l’expérience vécue dans l’environnement marchand. Certaines recherches ont des visées méthodologiques, comme celle de Healy et al. (2007), qui montrent comment l’ethnographie peut permettre de saisir complètement l’expérience vécue par le consommateur en magasin et fournissent aux chercheurs et aux praticiens une « boite à outils » leur permettant d’appliquer la méthode ethnographique dans les points de vente. D’autres ont pour vocation ce construire une véritable théorie sur le shopping, comme par exemple Miller (1998), qui rejette le fait que le shopping soit lié à l’individualisme et au matérialisme, et dont la thèse principale est que le shopping est intimement lié au sacrifice de soi au profit des êtres que l’on aime et que l’on chérit.

L’anthropologie appliquée au marketing est aujourd’hui en pleine évolution et la façon d’utiliser les matériaux traditionnels de l’anthropologie se change. Si la plupart des recherches utilisent l’observation et les entretiens, certaines études plaident pour une plus grande (et

différente) utilisation des images dans l’anthropologie, ce que l’on appelle l’anthropologie visuelle (Dion 2007). Peu de recherches utilisent cette méthodologie pour étudier le comportement en magasin : Dion (2007) cite Mercier (2006) qui retrace ainsi son expérience dans un magasin Tati. Penaloza (1999), étudie ainsi les comportements de consommation dans un magasin représentant l’univers entier d’une grande marque de sport. Une autre approche anthropologique récente de l’étude du comportement d’achat est proposée par la méthode des itinéraires (pour une revue, on peut se reporter à Dion (2008). Selon cette méthode, faire des courses n’est qu’un moment de la vie des consommateurs, une étape de l’itinéraire, et il faut, pour comprendre ce moment saisir toutes les autres étapes de l’itinéraire de consommation.

Les limites

Comme il est souligné par Healy et al. (2007), l’anthropologie permet de comprendre l’expérience holistique vécue par le consommateur au sein de l’espace de vente, et non de se « se cantonner à l’influence d’une ou deux variables sur un aspect du comportement » (Healy et al. 2007). La limite principale se situe cependant dans le risque de subjectivité qui existe derrière l’interprétation du matériel ethnographique. Si les paradigmes d’interprétation sont différents au départ, les résultats de certaines études peuvent se révéler contradictoires et amener à des débats sans fin (cf. Bardhi et Arnould 2005 vs Miller 1998).

1.4. L’éthologie

Le principe

L’éthologie est l’étude par observation non intrusive des comportements animaux dans leur milieu naturel (Baudoin 2003). Au départ exclusivement réservée à l’étude des animaux, l’éthologie s’est ensuite développée vers l’étude des relations homme-animal puis vers ce que l’on appelle l’éthologie humaine, c’est-à-dire l’étude des comportements humains utilisant les méthodes d’observation et d’analyse de l’éthologie classique. Le marketing s’est emparé de cette discipline pour étudier des questions très stratégiques telles que les tests de produits (Yiahioui 2000) ou les problématiques de distribution (Benhaïm 2003b). Pour un panorama très complet des différentes applications de l’éthologie, on peut consulter l’ouvrage de Baudoin (2003).

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De plus en plus d’études utilisent l’éthologie pour étudier le comportement du consommateur en magasin. C’est le cas par exemple de Benhaïm (2003a) qui examine les consommateurs dans le rayon jeans d’un hypermarché allemand. Lacour (2004) réalise par la méthode éthologique une typologie des consommateurs fréquentant un magasin d’articles de sport. Il décrit avec précision l’application de l’éthologie à l’étude du comportement en magasin : « L’éthologie consiste à collecter les signes émis par les êtres observés, à relier ces

signes entre eux, dans leur contexte, pour leur donner un sens. L'éthologie humaine étudie le comportement de l'homme dans son environnement, par exemple son lieu de travail, un centre commercial, un musée... On va s'intéresser à ce qu'il fait dans ce contexte culturel et non a ce qu'il pense. En effet l’opinion et l’attitude de l’individu s’écartent souvent de sa pratique. L'homme est un animal social qui joue un rôle; il est souvent contradictoire dans sa façon de penser et d'agir. Les méthodes de l'observation éthologique peuvent être appliquées au marketing, notamment au comportement du consommateur. On va observer ce dernier en situation d'achat, dans le magasin devant le rayon. On pourra appréhender le consommateur à partir de ses mouvements, de ses gestes, de ses signes non-verbaux. On appelle praxèmes la description sous forme de verbes, des actes, des états de 1 individu observé. Par exemple : marcher, regarder, partir, hésiter... Un certain nombre de méthodes éthologiques peuvent être utilisées en marketing. Parmi celles-ci, on trouve le scanning, le focus et le tracking. Le scanning: à partir d’un poste fixe d’observation, l’éthologue procède a un balayage visuel d'une zone. Il note en partant d'une extrémité de la zone, les sujets d’observation rencontrés et leurs comportements (praxèmes). Ce balayage doit être réalisé un nombre de fois suffisant, à des périodes différentes pour donner une vision exhaustive […]. Le focus : l'observateur est fixe et relève les gestes et les actions d'individus dans une situation particulière. Le tracking : l'observateur suit un individu tiré au hasard dans ses déplacements. Il se sert d'un plan de site pour tracer le circuit et note les praxèmes. A la différence des méthodes précédentes, l'observateur est mobile. »

L’éthologie s’est aussi propagée dans le monde managérial. A titre d’exemple, la société « Repères » l’utilise pour étudier diverses questions, et notamment l’optimisation des secteurs de vente : « les éthologues suivent discrètement les consommateurs dans les linéaires

pour décomposer leur comportement et leur parcours. Un exemple de réponse apportée : un parcours-type avec les points d’arrêt, les points traversés et regardés, et les points regardés sans être traversés » (Rodhain 2008).

Limites

Si l’éthologie permet d’éviter les biais venant du recours au déclaratif et de rationalisation des comportements, elle a cependant certaines limites. Premièrement, comme le reconnaît Lacour (2004), « le regard de l’observateur n’est pas neutre et la méthode n’est

pas exempte de subjectivité ». De plus, si l’éthologie fournit des informations pour répondre à

la question « comment », elle ne permet pas de répondre à la question du « pourquoi » (Lacour 2004). Il est alors nécessaire de compléter les informations recueillies par une triangulation avec d’autres méthodes.