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SYNTHESE DU CHAPITRE

CHAPITRE 2. L’OBSERVATION DU COMPORTEMENT DU CONSOMMATEUR EN MAGASIN

1. Le courant qualitatif

1.5. L’observation directe de l’ensemble des comportements

Le principe

Pour s’assurer d’observer des comportements non biaisés, des chercheurs optent pour des méthodes d’observations non intrusives. Les consommateurs sont alors suivis dans le magasin sans en être conscients. Cette technique ne permet évidemment pas de savoir ce que pense le consommateur puisque les verbatims ne sont pas recueillis. Les recherches appartenant au courant qualitatif utilisant cette méthodologie de recueil de données tentent de palier à ce manque par une observation extrêmement détaillée des comportements (Wells et Lo Sciuto 1966). Tous les déplacements et tous les gestes des consommateurs sont recueillis afin de pouvoir appréhender l’ensemble du comportement en magasin et d’être en mesure de l’interpréter. Mais une telle observation de l’ensemble du comportement est si fastidieuse que très peu de recherches s’y sont employées.

Les applications

Wells et Lo Sciuto (1966) sont parmi les premiers à avoir observé l’ensemble des faits et gestes précis des consommateurs en magasin. D’après les auteurs, « l’avantage principal de

l’observation directe est que, quand elle est bien faite, elle produit un enregistrement hautement détaillé, presque complet, de ce que les gens font réellement. Elle ne dépend pas de la capacité des répondants à interpréter les questions d’un questionnaire ou à leur capacité de se remémorer des événements peu importants et peut-être même peu récents. Elle n’est influencée par aucune tendance à rationaliser le comportement pour se faire voir sous un meilleur jour » (Wells et Lo Sciuto, 1966, p227-228). Ainsi, les auteurs notent tout ce que le

consommateur fait devant le rayon. Ils procèdent ensuite à une analyse qualitative de ces données. Un exemple d’observation effectué par Wells et LoSciuto (1966) est le suivant : « Une dame âgée marche le long de l’allée des céréales. Elle s’arrête immédiatement et

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prend une boîte de H.O. Quick Oats. Elle regarde la boîte entièrement (apparemment en train de chercher le prix et la contenance). Alors qu’elle tient encore la boîte dans la main, elle prend une boîte de Mother Oats. Puis elle regarde entièrement cette boîte et compare les deux boîtes. Elle regarde la boîte de H.O. Quick Oats puis celle de Mother Oats (apparemment en comparant leurs prix. Après avoir comparé les deux, elle repose la boîte de Mother Oaks en rayon et pose l’autre dans son chariot. Après avoir pris cette décision, elle reste où elle est et continue de regarder les céréales. Elle remarque ensuite la petite boîte de H.O. Quick Oats qui se trouve sur l’étagère du haut. Elle prend cette boîte et la regarde. Elle repose la boîte et se retourne vers son chariot. Puis elle s’arrête, se retourne à nouveau, reprend la petite boîte, la pose dans son chariot et replace la grande boîte en rayon, au mauvais endroit, et continue son chemin sans regarder le reste des céréales ». Il est possible ici de reconstituer

précisément la pensée de la consommatrice devant le rayon des céréales et d’analyser la façon dont elle prend sa décision ainsi que l’importance que revêt le packaging dans son choix. Dans un autre exemple que nous ne citerons pas, les auteurs montrent, à une époque où la quasi-totalité des enquêtes en magasin s’effectuaient en interrogeant la mère de famille faisant ses courses, que ce type d’analyse permet de montrer le rôle des personnes les accompagnant, comme les maris ou les enfants qui participent à la décision.

Bonnin (2003) observe également l’ensemble du comportement en magasin en codant sur papier les faits et gestes effectués par les consommateurs. L’auteur étudie ce comportement à partir de la théorie de l’appropriation de l’espace. Selon cette théorie, l’individu cherche à avoir une emprise sur l’environnement dans lequel il évolue. Cette emprise se traduit dans le comportement de mobilité en influençant l’activité (les gestes) et la déambulation (la marche). L’activité peut être minime (gestes peu nombreux et activité visuelle limitée) ou intense (gestes nombreux et activité visuelle importante) ; la déambulation peut être simple (pas ou peu d’arrêts et parcours peu tortueux) ou complexe (beaucoup d’arrêts et parcours tortueux). En fonction de ces différentes modalités, quatre types de stratégies d’appropriation de l’espace sont possibles : la stratégie fonctionnelle, la stratégie ludique active, la stratégie ludique passive ou le rejet de l’espace. Ces stratégies peuvent être favorisées par des aménagements spatiaux précis, plutôt fonctionnels ou plutôt divertissants, caractérisés par deux éléments : la clôture (degré d’ouverture) et les micro-événements (ruptures internes). Bonnin (2003) opte aussi pour une analyse qualitative des données recueillies. Il considère le parcours en magasin comme un discours qu’il étudie à l’aide de méthodes d’analyse textuelle comme le carré sémiotique.

Les limites

Malgré la grande précision des données et la possibilité d’observer des comportements non biaisés, cette méthode souffre de certaines limites :

 Premièrement, tout comme les techniques décrites précédemment (protocoles et protocoles vidéo), cette méthode de suivi est peu pratique car assez fastidieuse et très coûteuse en temps. En effet, il faut suivre le consommateur et noter tous ses faits et gestes sous forme de codage sur papier. Si l’on veut prendre en compte toutes les actions du consommateur, il est donc presque impossible d’intégrer toutes ces informations dans une base de données à des fins de traitement statistique. L’exemple de l’acheteuse de céréales cité dans la recherche de Wells et Lo Sciuto est, à ce titre, très éloquent. On comprend bien que l’analyse individuelle de la décision peut être très subtile, mais qu’il est impossible d’analyser ces comportements à grande échelle, de constituer une base de données permettant de quantifier ces comportements afin de les mesurer quantitativement, de les prévoir par des modèles ou bien d’établir des relations statistiques entre ces comportements et d’autres variables explicatives ou expliquées.

 Deuxièmement, il découle de cette difficulté de recueil de données que les échantillons sont nécessairement limités et que les comportements ne sont observés que dans un seul rayon du magasin. Bonnin (2003) se concentre sur le rayon des vêtements et Wells et Lo Sciuto (1966) étudient seulement trois rayons : les céréales, le sucre et les détergents. Il est donc difficile d’étudier le comportement dans tout le magasin.

 Troisièmement, l’observation n’est pas nécessairement l’explication et il est parfois difficile d’interpréter des actions qui peuvent avoir des sens différents. L’exemple suivant est révélateur: “Un des désavantages de l’observation directe est qu’elle ne fournit de

l’information que sur le comportement, ce qui n’est pas toujours facilement interprétable. Prenons par exemple cet épisode: un homme ayant les bras pleins de boîtes jette tout dans un chariot à l’entrée d’un rayon. Il tire le chariot vers lui en le saisissant par l’avant et longe ainsi le rayon. Il tourne autour d’une boîte de Rinso Blue et en lit le devant Durant un moment. Puis il repart vers le début du rayon et regarde le produit Oxydol, taille normale. Il hésite et saisit une grande boîte de All. Il repose la boîte et marche le long du rayon. Il prend et lit ensuite une boîte de All (placée dans un meuble contenant tous les produits All) et la repose. Il repart et parcourt la moitié du rayon et lit la boîte de Dreft puis lit ensuite la boîte de Ivory Snow. Ensuite il prend une boîte de Instant Fels qu’il pose dans son chariot. Qu’est-ce que cet homme cherchait ?[…]Il n’est pas toujours possible

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d’obtenir une explication car arrêter un consommateur pour lui poser des questions interfère avec l’observation du prochain..” (Wells et Lo Sciuto 1966)

Le tableau 2.1 récapitule les recherches du courant qualitatif.

Tableau 2.1. Récapitulatif des recherches du courant qualitatif

Méthodologie Description Sujet étudié Auteurs

Processus de décision

Bettman 1970 ; Payne 1976 ; Payne et Ragsdale 1978 ; Bettman et Park 1980 ; Park et al.

1989 ; Schkade et ; Payne 1994. Méthode des

protocoles

Suivre un consommateur tout au long de sa visite en

magasin et lui faire expliciter à haute voix ce qu’il fait au moment où il

le fait. Wayfinding

Titus et Everett 1996 ; Chebat et al. 2005 ; Foxall et Hackett 1992.

Protocoles vidéo

Les consommateurs sont filmés à distance pendant

leur visite et doivent ensuite commenter la vidéo. Processus de décision Bowers et Snyder 1990 ; Büttner et Silberer 2008 ; Belk et Kozinets 2005. Ethnographie Le chercheur partage la vie des consommateurs afin de donner un sens à leur activité de shopping

La signification de l’activité de

shopping

Mc Grawth 1989 ; Ladwein 2002 ; Healy et al.

2007 ; Dion 2007

Ethologie humaine

L’étude des comportements humains

utilisant les méthodes d’observation et d’analyse de l’éthologie classique Typologie de consommateurs, description des comportements Yiahioui 2000 ; Benhaïm 2003b ; Lacour 2004 Description des

comportements Wells et Lo Sciuto 1966 Observation

directe exhaustive

Les consommateurs sont suivis sans le savoir et l’ensemble de leurs faits et

gestes sont notés et codés.

Typologie des