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SYNTHESE DU CHAPITRE

CHAPITRE 2. L’OBSERVATION DU COMPORTEMENT DU CONSOMMATEUR EN MAGASIN

1. Le courant qualitatif

1.1. Les observations intrusives : la méthode des protocoles

Le principe

La méthode des protocoles consiste à suivre un consommateur tout au long de sa visite en magasin et lui faire expliciter à haute voix ses actions et ses décisions. Les participants sont conscients d’être suivis puisqu’ils doivent « penser tout haut », mais ils ne connaissent généralement pas les objectifs de l’étude. Avec cette méthode, le chercheur peut tenter de mieux comprendre les actions, les raisonnements et les choix du consommateur. L’un des avantages de cette méthode est qu’elle permet un recueil séquentiel du comportement en magasin, c’est-à-dire ordonné dans le temps. De plus, cette méthode permet de collecter une grande quantité de données. Cela amène une information très riche et très fidèle du comportement réel du consommateur (Ericsson et Simon 1984). Pour une revue complète et synthétique des avantages et des limites de la méthode des protocoles, on peut se reporter à Payne (1994).

Les applications

L’un des pionniers dans l’utilisation de cette méthode est Bettman (1970). Ce chercheur a suivi cinq femmes durant six visites successives dans le même magasin et a ainsi été l’un des premiers à mettre en lumière des heuristiques de décision utilisées par les consommateurs face aux rayons. De nombreuses recherches similaires ont suivi. L’une des plus connues est celle de Payne (1976), dont les conclusions ont été abondamment reprises dans la recherche en marketing. Payne (1976) met en lumière les deux phases du processus de décision du consommateur face au rayon. La première phase est la phase de « balayage », pendant laquelle le consommateur regarde superficiellement l’ensemble des produits présents et utilise une heuristique non compensatoire pour sélectionner un nombre restreint de produits sur un critère précis (par exemple le prix). La deuxième phase est la phase de « profondeur », pendant laquelle le consommateur compare les produits sélectionnés de façon compensatoire sur un nombre d’attributs plus nombreux. Ce modèle en deux phases a été ensuite confirmé par d’autres études (Moe 2005 ; Russo et Leclerc 1994).

56 Payne et Ragsdale (1978) appliquent également la méthode des protocoles dans un supermarché américain. Ils analysent la façon dont les consommateurs, une fois entrés dans le magasin, décident dans quelles catégories de produits ils vont acheter, ainsi que la façon dont ils choisissent les produits précis à acheter. D’autres recherches étudient les prises de décision des consommateurs par la méthode des protocoles (Bettman et Park 1980 ; Park et al. 1989 ; Schkade et Payne 1994).

La méthode des protocoles n’est pas seulement utilisée pour étudier les processus de décision d’achat des produits. Elle est aussi utilisée pour étudier la façon dont les consommateurs se déplacent et se repèrent dans le magasin. Titus et Everett (1996), utilisent la méthode des protocoles pour étudier la façon dont les consommateurs se déplacent en fonction des produits inscrits sur leur liste de courses. Ils montrent ainsi que les consommateurs utilisent deux sortes de stratégies: une stratégie dite "passive" dans laquelle ils regardent d'abord où ils se trouvent dans le magasin et choisissent ainsi les produits de la liste à aller chercher (magasin-liste-magasin) et une stratégie dite "active" où ils examinent d'abord la liste et choisissent les produits à prendre, quelque soit l’endroit où ils se trouvent dans le magasin (liste-magasin).

La méthode des protocoles est également utilisée pour étudier le wayfinding que nous avons décrit dans le chapitre précédent. Chebat et al. (2005) par exemple étudient ainsi le

wayfinding des clients d’un centre commercial canadien. Ils mettent ainsi en lumière les

processus mentaux des consommateurs pendant qu’ils se déplacent : le « mapping stage » (regarder et observer), le « decision making stage » (faire des suppositions sur l’endroit ou l’on se trouve et l’endroit ou l’on doit aller) et le « execution stage » (marcher, faire des demi- tours). Ils mettent également en lumière les sources d’information utilisées par les consommateurs : les points de repère (fontaines, restaurants…), les personnes (employés, autres acheteurs), les informations internes (mémoire, instinct, hypothèses…). Ils montrent également que les processus mentaux et les sources d’information utilisées sont différents selon le sexe, la familiarité avec l’environnement et les motivations pour le shopping. Foxall et Hackett (1992) utilisent également la méthode des protocoles pour étudier le wayfinding dans le contexte d’un centre ville commerçant.

Dans le même esprit que la méthode des protocoles, une autre méthodologie de suivi du consommateur a été développée plus récemment. Il s’agit de la méthode SWC (« shopping

with consumers ») (Lowrey et al. 2005 ; Otnes et al. 1995). Cette méthode tente d’améliorer la

suivis dans des conditions optimales pour qu’ils gardent un comportement naturel (entretiens téléphoniques préalables, suivi effectué lors d’une visite habituelle d’un magasin familier, création d’une relation de confiance avec le chercheur, etc.). De plus, plusieurs entretiens en profondeur sont effectués avant et après le suivi en magasin afin de compléter les informations recueillies et avoir des éléments permettant de mieux les analyser. La SWC a été mobilisée aussi bien en sociologie (Miller 1998 ; Sherry 1998) qu’en marketing (McGrawth 1989 ; Richins 1997). La méthode SWC a également été utilisée pour étudier le comportement de shopping sur Internet (Xia 2003).

Les limites

De nombreuses critiques se sont élevées contre la méthode des protocoles et sur la fiabilité des données qui en résultent. On peut les regrouper en quatre critiques principales.

 Premièrement, le fait qu’un consommateur soit observé pendant qu’il fait ses courses altère son comportement, et ce pour plusieurs raisons. Il y a d’abord la désirabilité sociale (Evrard et al. 2003) : l’individu a une conscience de soi beaucoup plus importante qu’habituellement due au fait qu’il est observé. Il est par exemple très possible que des individus suivis par la méthode des protocoles ne succombent jamais à une tentation honteuse de gourmandise dans le rayon des confiseries. De plus, l’altération du comportement vient du fait même de verbaliser ses propres faits et gestes (Dickson et al. 2000). En effet, le fait de verbaliser ses propres actions va utiliser une partie des ressources cognitives de l’individu (Pashler et al. 2001), ce qui peut fondamentalement modifier le processus cognitif de délibération et de choix qu’il est en train d’effectuer. Enfin, la verbalisation entraîne les individus à se focaliser sur certains comportements. En effet, certains processus mentaux sont plus facilement verbalisables que d’autres et peuvent prendre ainsi trop d’importance (Russo et al. 1989 ; Schooler et al. 1993). Il faut cependant noter que certains travaux démentent cela : ils ont observé des processus cognitifs à la fois par des moyens discrets et par la méthode des protocoles, ont comparé les résultats et ont trouvé de fortes correspondances (Guan et al. 2006 ; Jacoby et al. 1978).

 Deuxièmement, certains chercheurs pensent que les individus ne sont pas capables de savoir ce qui se passe exactement dans leur tête, et donc encore moins de l’exprimer (Nisbett et Wilson 1977). Ainsi, ce qu’ils expriment ne correspond pas à la façon dont ils pensent, mais reflète plutôt des normes de comportement, des constructions mentales, c’est-à-dire la façon dont ils pensent que les autres individus pensent et se comportent. De plus, des processus inconscients sont en jeu que l’on ne peut pas connaître et donc pas

58 verbaliser (Bargh 2002 ; Dijksterhuis et al. 2005). Il faut cependant noter que cette critique est parfois démentie par d’autres recherches selon lesquelles les processus inconscients ont été surestimés (Chartrand 2005 ; Simonson 2005).

 Troisièmement, les analyses des données des protocoles sont exclusivement qualitatives. Plusieurs approches existent. Il est possible de coder les protocoles en termes de types de raisonnement et d’en analyser les occurrences afin de comprendre les heuristiques utilisées. Il est également possible d’effectuer des analyses sémantiques des verbatims recueillis (Payne 1994). Ces analyses permettent d’étudier en profondeur les heuristiques de décision et le rôle de la mémoire du consommateur sur ses actions, mais elles ne permettent aucune quantification des comportements. Il est donc difficile d’effectuer des liens entre différentes variables du comportement.

 Quatrièmement, la méthode des protocoles est souvent critiquée par le côté lourd et fastidieux du recueil de données. En effet, il est non seulement nécessaire de suivre un consommateur pendant toute la durée de son parcours, mais il faut ensuite retranscrire les protocoles qui ont été enregistrés, puis les coder selon les unités d’analyse (mots, phrases, comportements, types de raisonnement, etc.), avant de pouvoir procéder aux analyses (Ericson et Simon 1984). Les échantillons de consommateurs observés sont donc forcément très limités.