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Une méthode qualitative

Chapitre 2. Comment évaluer l’éducation 15 ?

3.1 Une méthode qualitative

La question de l’insertion des diplômés dans l’activité productive est pensée au travers de la relation formation emploi. Au plan économique cela se traduit dans les travaux des dernières décennies en termes de la « suréducation » ou du « déclassement ». Le déclassement signifie qu’un diplômé occupe un emploi qui est en dessous des attentes jugées normales. De nombreuses recherches quantitatives établissent et mesurent l’importance de ces déclassements (Forgeot et Gautié 1997 ; Nauze-Fichet et Tomasini 2002 ). Mais notre question, en cohérence avec ma démarche plus générale centrée sur l’activité, n’était pas principalement celle de l’insertion, elle était celle de l’appréciation de la formation reçue au regard de l’activité de travail à effectuer : les formations étudiées préparent-elles correctement à exercer les activités professionnelles qu’elles ciblent ? La réponse à cette question suppose de considérer les activités de formation et de travail dans leur articulation mutuelle. Cette mise en parallèle n’est pas évaluée selon un critère a priori, elle est analysée à partir des points de vue de ceux qui sont concernés par cette évaluation. Certes, il existe des données statistiques fondées sur des catégories exprimant des critères de jugement assez consensuels.

Les enquêtes Générations du CEREQ permettent ainsi de faire un bilan trois à cinq ans après la sortie du système éducatif de la situation des jeunes relativement à l’emploi. Nous avons utilisé Génération 98. Au delà de ce bilan, nous sommes partis en quête d’appréciations plus contextualisées de l’adéquation entre formation et emploi, appréciation qu’on peut qualifier de conventionnelle. Partant d’entretiens avec des personnes directement concernées par les débouchés de ces formations, qu’ils soient salariés ou employeurs, nous avons tenté de dégager les critères de jugement qui fondent leurs appréciations sur ces formations. Ceci conduit à adopter, sur l’objet d’analyse, une diversité d’entrées et de regards qui se complètent et parfois s’opposent. On tient les personnes interrogées comme prises dans une situation d’action spécifique et jugeant, non du point de vue d’un intérêt abstrait d’un homo economicus rationnel, mais cherchant raisonnablement ce qui est « bon » dans la situation d’action précisément. Je reviendrai dans le prochain chapitre sur les caractéristiques de cette méthode qui, partant de l’approche critique de l’économie des conventions (Revue économique 1989 : Salais, Chatel, Rivaud-Danset 1998), en développe le versant

« pragmatiste » au sens de la philosophie du même nom. L’évaluation se présente comme un tableau des appréciations convergentes et parfois contradictoires, dont nous essayons de comprendre les raisons. Ainsi les employeurs interrogés (28 entretiens dans la grande distribution et dans des cabinets comptables) interprètent la valeur de la formation des jeunes

bacheliers qu’ils ont embauchés au regard de leurs attentes sur la qualité du travail, attentes qui sont plus ou moins stabilisées selon les domaines d’activité. Cela permet de voir dans quelle mesure les quatre diplômes étudiés constituent pour eux un signal à l’embauche. De même les salariés (une trentaine d’entretiens de titulaires des quatre baccalauréats exerçant une activité professionnelle), invités par nous à apprécier la valeur de leur formation, ne s’expriment pas indépendamment de leur expérience scolaire et professionnelle. Nous adoptons donc une posture compréhensive dans ces entretiens pour comprendre la logique qui rend compte des jugements de chaque type d’interlocuteur. Cette méthodologie est analogue à celle que j’ai employée dans les travaux concernant l’activité des enseignants et l’évaluation pédagogique qu’ils font des élèves.

Comme dans ces travaux, l’activité est conçue comme située, prise qu’elle est dans des dispositifs et des habitudes qui la prescrivent, l’organisent, la canalisent. Nous sommes donc remontés de l’exploitation des matériaux recueillis (entretiens avec des employeurs et des salariés, données quantitatives sur la situation à l’égard de l’emploi des jeunes issus de ces diplômes) vers les dispositifs de formation, d’une part vers les référentiels et programmes qui les réglementent, de l’autre vers les enseignants des lycées technologiques et professionnels et les problèmes de mise en œuvre qu’ils rencontrent. Les référentiels et les programmes constituent un matériau particulièrement intéressant à étudier dans la durée car leur mise au point est débattue dans des instances consultatives, les commissions paritaires consultatives (CPC), dans lesquelles les points de vue de divers partenaires (patronat, organisations de salariés, administrations, organisations enseignantes, parents d’élèves) sont sollicités. Ces débats révèlent des attentes diverses et évolutives à l’égard de ces formations.

Le schéma ci-dessous décrit les divers niveaux d’ajustement entre formation et activité professionnelle.

Les coordinations entre formation et activité professionnelle : la diversité des logiques à l’œuvre

En italique : la logique d’action dominante. En gras : les partenaires. En romain : les moyens concrets de coordination.

Les flèches indiquent l’existence d’interactions entre des partenaires et d’influences entre des moyens de coordination ; la flèche en pointillé souligne la quasi inexistence d’informations allant des entreprises vers les enseignants concernant le devenir professionnel des élèves.

Dans l’autre sens, le diplôme est un signal de la qualité de la formation reçue en direction des employeurs.

Ce schéma montre qu’il y a, entre la formation et l’emploi, des sortes d’articulation de

« proximité », permettant des ajustements dans le cours de l’action éducative tendue vers ses

diverses finalités dont la réussite professionnelle fait partie, c’est le bas du schéma. D’autres se cristallisent dans des règles et des dispositifs qui encadrent l’activité éducative et les relations aux entreprises sur un temps plus long. Elles organisent des modes d’ajustement « à distance », c’est le haut du tableau.

L’évaluation que nous avons faite provient de ce qui est décrit dans le bas du tableau. Mais ceci est en partie déterminé par les dispositifs décrits en haut, qui montrent les moyens de régulation dont disposent les pouvoirs publics de l’Education nationale en la matière.

3.2. Insertion contrastée des bacheliers professionnels et « carrière » des bacheliers