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De la fonction de production aux travaux processus produit

3. L’action éducative en tant que choix entre des variables dans les travaux processus- processus-produit

3.1. De la fonction de production aux travaux processus produit

L’ensemble des recherches effectuées avec des méthodes corrélationnelles apporte avec lui la force des traitements quantitatifs. Il est donc porteur de résultats dont la critique conduit à une évolution et à un affinement progressif des méthodes jusqu’à s’affranchir pour certaines de ce cadre théorique lui-même.

La question de l'efficacité interne du système éducatif est posée par les économistes de l'éducation en terme de relation entre input et output, c'est-à-dire en envisageant la production d'éducation selon le modèle de la fonction de production. Pour adapter ce modèle à l'éducation, il faut tout à la fois définir les inputs ou moyens de l'éducation, les outputs ou résultats et choisir un niveau auquel analyser la combinaison de "facteurs de production". A chaque niveau, - tel que celui du système scolaire d’un échelon géographique, celui d’un établissement, celui d’une classe - les inputs, plus que les outputs, changent de spécification.

Par exemple l’input financier est important aux deux premiers niveaux, il n’est pas pertinent en ce qui concerne le niveau de la classe. Nous délaisserons ici les travaux portant que l’entité

« établissement » et les entités plus larges, car ils ne concernent pas principalement l’enseignement. Nous nous concentrerons sur les travaux portant sur l’action des maîtres avec leurs élèves, dans les classes.

3.1.1. L’effet maître dans les travaux processus produit

Ces travaux sont fondés, à l’origine, sur la pédagogie comportementaliste et cherchent à établir des relations entre les comportements des maîtres, leurs méthodes ou techniques d’enseignement, et les résultats des élèves à partir d'enquêtes avec de vastes échantillons (Crahay et Lafontaine 1986). Ils mettent donc très nettement l'accent sur le rôle de l'enseignant, considéré comme le vecteur essentiel de l'institution éducative. L'objectif est d'évaluer les maîtres par leur efficacité comparée et aussi de se donner les moyens de repérer les caractéristiques du "bon" maître en vue d'améliorer la formation professionnelle des enseignants. Par la suite les modèles se complexifieront car l’explication par les variables de présages relatives aux caractéristiques a priori des maîtres tourne court rapidement ; ils incluront des variables de contexte, qui prennent largement en compte les caractéristiques génériques de la situation d’enseignement : caractéristiques des maîtres (sexe, âge, formation, statut etc.), caractéristiques des élèves (idem), caractéristiques de l’établissement, caractéristiques de la classe. Ils chercheront enfin à délimiter des variables décrivant les façons d’enseigner, nommées variables de processus. On suppose donc que ces variables de processus, inputs dans les modèles, sont reproductibles. Les acquisitions des élèves (les outputs) sont mesurées par leurs progressions évaluées par des tests, parfois par des résultats aux examens7.

Ce sont donc les styles d'enseignement et de conduite de la classe qui sont répertoriés comme variables « de processus ». Le choix de ces variables est inspiré par la littérature de

"pédagogie générale" comme les catégories de Bloom ou celles de Flanders (Doyle 1978).

Flanders suppose, par exemple, que l'enseignant efficace procède de façon indirecte, plutôt que d'énoncer directement ou de donner des directives explicites, il parle peu, questionne, reprend les suggestions des élèves, encourage et félicite. Il élabore une grille d'observation de l'enseignement en fonction du degré de liberté que le maître laisse à l’élève (Crahay 1989):

nombre de questions, d'encouragements, du temps pris par les énoncés du maître, par les réponses des élèves. Les recherches sur l’efficacité ne confirmeront pas l’hypothèse de départ de Flanders, mais montreront au contraire l'effet positif de directives explicites, d'énoncés clairs et structurés de la part du maître (Broophy and Good 1986).

7. Contrairement à ce qui est fait pour les établissements, il y a peu de travaux qui prennent en compte les outputs non scolaires de l’enseignement en classe, tels que sociabilité, confiance en soi etc. dans les travaux sur les effets maître-classe.

A l'aide de ces catégories, on observe des réalisations ordinaires, donc des façons d’enseigner qui sont, a priori, praticables. Parfois on change volontairement quelques paramètres en manipulant certaines formes d'enseignement, les variables explicatives, afin d'en voir les effets sur les acquisitions des élèves. On crée donc expérimentalement des styles d'enseignement différents par la façon d'exercer l'autorité, de guider le travail des élèves, de les questionner, de structurer le cours, d'organiser le temps du travail en classe ou à la maison, de mettre les élèves en groupe autonomes, d'individualiser l'enseignement, de rythmer la progression du cours etc...

3.1.2. Travaux sur l'effet-maître en France

Il existe des travaux de recherche sur cette question, effectués dans la perspective de cerner l'efficacité enseignante, mais ils sont en nombre limité au regard des travaux anglo-saxons. De plus la plupart d’entre eux prennent pour variables explicatives des caractéristique des élèves, des maîtres, des classes, rarement les caractéristiques des pratiques pédagogiques, dites

« variables de processus » dans la littérature. Quand celles-ci sont incluses dans les modèles, elles le sont en tant que variables déclarées par les enseignants ou observées par les chercheurs dans la réalité de l’enseignement, jamais, à ma connaissance, on ne recourt à des recherches expérimentales.

Alain Mingat est pionnier de ce type de travaux à l’IREDU. Il met en évidence l'existence d'un effet-maître dans les classes de collège et au cours préparatoire (Mingat 1988 et 1991). Il ne trouve pas d'effet significatif, sur les résultats des élèves, des caractéristiques facilement repérables des enseignants tels que leur statut au collège (PEGC ou professeurs type lycée), le passage par l'école normale pour les instituteurs, le sexe, ou l'ancienneté. Les maîtres d'origine populaire seraient plutôt plus efficients que leurs collègues et les enseignants qui se révèlent pédagogiquement les plus efficaces auraient aussi tendance à être les plus égalisateurs, c'est-à-dire à rapprocher les résultats des élèves de leur classe. Il n'en reste pas moins que ces travaux concluent à la très forte influence du niveau initial des élèves sur leurs acquisitions en cours d'année et à un effet très important de la variable "classe", effet qui ne s'explique que très peu par des caractéristiques repérables du maître ou de la classe.

Christine Audouin-Leroy et Marie Duru-Bellat (1991), montrent, sur les résultats des élèves en C.P., l'impact de ces pratiques déclarées, mais il apparaît quantitativement faible. Dans leur recherche menée sur les progrès en français et en mathématiques au CE2, Nathalie Serra et

Michelle Richard (1994) cherchent à avancer dans l'identification des "pédagogies" efficaces.

Elles trouvent que l'impact du niveau initial est plus important sur les résultats que l'effet du maître ce qui relativise sérieusement la possibilité de saisir statistiquement l'effet propre d'un maître sur une année. Quant aux types de pédagogie et aux pratiques distinctes de gestion de la classe, elles se révèlent n'avoir que peu d'impact sur les résultats des élèves. Ces variables semblent avoir un certain effet, mais il est nettement moindre que celui qu'exerce le niveau initial des élèves. Celui-ci résume en partie les effets de la scolarité antérieure et des caractéristiques personnelles et sociales des élèves.

Pascal Bressoux et ses collègues (Bressoux 1993, Bressoux, Coustère Leroy-Audouin 1997) ont travaillé sur un échantillon de 2260 élèves et 145 classes de CE2. Leurs résultats confirment l’impact du niveau initial sur le progrès des élèves mais donnent d’autres résultats plus controversés. Ils montrent, par exemple, l’impact positif de l’expérience et de la formation à l’école normale par rapport à un débutant non passé par l’école normale sur les résultats des élèves8, l’avantage de la baisse des effectifs9, des différences sensibles entre les disciplines du point de vue de l’influence positive de la hausse de la formation initiale et négative de l’hétérogénéité des élèves.

En somme, il paraît difficile de cerner l'efficacité éducative par la spécification de variables de

“processus” caractérisant a priori les méthodes d'enseignement ou de conduite de la classe.

Comme le dit Pascal Bressoux (1994, p.108) si l'on reconnaît maintenant "l'ampleur des effets-classes, nous avons encore bien peu de connaissances concernant les facteurs qui favorisent les acquisitions des élèves". Une grande part de la variance expliquée l’est par l’effet conjoint du maître et de sa classe et peu ou très peu par les variables que l’on isole, à l’exception de l’âge des élèves et, plus encore, de leur niveau initial, toujours corrélés avec la réussite scolaire et la progression. Les études empiriques constituent néanmoins un moyen de mettre en question un certain nombre de théories pédagogiques ou d’intuitions, quand les résultats obtenus par diverses recherches convergent. Elles confirment, en tout état de cause, l’importance de ce qui se joue dans la classe sur les résultats des élèves.