• Aucun résultat trouvé

Critiques et perspectives systémiques

3. L’action éducative en tant que choix entre des variables dans les travaux processus- processus-produit

3.2. Critiques et perspectives systémiques

8. Kramarz (2004) travaillant avec P. Bressoux sur l’effet de la formation reçue en I’IUFM par les professeurs des écoles confirme ce résultat.

9. La question de l’influence de la taille des classes sur les résultats des élèves est une question très controversée (Meuret 2001 ; Piketty 2004). En tout état de cause, elle n’est guère du ressort de l’activité des enseignants et n’entre donc pas dans le champ de ce chapitre.

Ces recherches corrélationnelles supposent, à l’évidence, une simplification du réel qui est au principe même de la modélisation et de la production des résultats empiriques qui s’en suit. Il est intéressant d’avoir précisément à l’esprit les choix méthodologiques sous-jacents pour évaluer l’intérêt de ces résultats. Ces modèles représentent l’action éducative comme résultat de l’effet conjoint de diverses variables inputs, supposées indépendantes les unes des autres et indépendantes a priori des variables outputs. L’action est donc modélisée comme un choix entre ces variables. Cependant diverses critiques vont porter sur la spécification de ces variables et montrer leur interdépendance. Ces critiques ouvrent de nouvelles perspectives, qui sortent de la modélisation de l’action éducative conçue comme agencement de variables.

3.2.1. Les critiques

La première critique porte sur la stabilité de ce qui est considéré dans ces modèles comme étant des « variables ». En effet, les"inputs" les mieux corrélés aux résultats ne sont pas pour autant facilement répliquables. Peut-on donner une interprétation sûre à la directive d'avoir

"un cours clair et structuré" ou "un niveau de difficulté approprié à celui des élèves" ? Les catégories de comportement ou les styles d'enseignement sont assez sommairement désignés, les pratiques pédagogiques recensées sont supposées bien repérées et stables pour en faire des

« variables », or il ne va pas de soi que les enseignements effectifs répondent à une telle description. De plus les dites variables explicatives sont souvent fortement intercorrélées. En conséquence ces modèles ne peuvent dicter des choix en matière d’enseignement car on ne peut pas considérer que rassembler des éléments qui ont un effet positif sur l’apprentissage des élèves fasse un enseignement reproductible. La critique porte donc sur la catégorisation et l’hypothèse d’indépendance des variables inputs et conduit à s’inquiéter de l’usage prescriptif des travaux processus-produit.

D’autres critiques portent sur la conception de l’acte éducatif portée par ces modèles puisque l’action prise en compte est celle du maître seulement. Ils ignorent l’interaction entre les élèves et les enseignants. L’introduction de ces interactions interdirait de considérer que les variables qui caractérisent les agents ou leurs comportements sont indépendantes, ce qui gênerait l’emploi d’une démarche corrélationnelle

La démarche « écologique » (Bonfrenbrenner 1986) entend, au contraire, prendre en charge la question de l’interaction en classe. Le maître est

alors considéré comme pris dans des situations qui le contrôlent plus qu’il ne les contrôle (Crahay 1989). L’interaction avec les élèves est alors en partie déterminée par les paramètres du contexte, le maître étant pris dans des contraintes tant institutionnelles que de gestion du groupe classe et de planification de l’instruction. Ces recherches visent à mieux délimiter les dépendances entre les caractéristiques des situations, les conduites d’enseignement et leurs résultats. Il est alors difficile de spécifier des variables susceptibles de se prêter à des traitements quantitatifs. Les travaux monographiques se multiplient aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne pour analyser ces situations. Souvent inspirés de la phénoménologie, l’enseignement est conçu comme une forme d’interaction symbolique dans laquelle les individus agissent en fonction du sens que les événements prennent à leurs yeux. Le chercheur entend comprendre et restituer le sens que les acteurs, élèves et professeurs, donnent à leurs actions quotidiennes. Ces recherches montrent que chaque classe a sa culture propre, riche et complexe en liaison avec son insertion dans des contextes plus larges, eux-mêmes difficiles à caractériser, de l’établissement, du district scolaire etc. Mais se pose la question de généraliser les résultats, principalement qualitatifs, ainsi obtenus et de concilier approches quantitatives et qualitatives de l’efficacité (Gage 1984).

3.2.2. Perspectives systémiques

Des chercheurs français en éducation empruntent cette orientation pour concevoir l’enseignement non comme résultant de l’action unilatérale de l’enseignant mais en faisant part à l’interaction qui se joue dans la classe.

Ils conservent l’idée qu’existe une marge d’action pour le maître qui n’est pas déterminée absolument par le contexte. Ainsi, dans une travail portant sur les pratiques d’enseignement, Altet, Bressoux, Bru, Lambert (1994)10 adoptent un point de vue critique à l’égard des résultats antérieurs des travaux processus-produit. Ils s’aperçoivent qu’il est difficile de relier les

10. Recherche sur les pratiques d’enseignement en CE2.

pratiques exprimées par des variables à des formes d’activité organisées.

Ils ne trouvent pas de profils d’enseignement homogènes, pas de “styles pédagogiques” qui rendraient compte de ce qui se passe dans les différentes classes. Ils montrent ainsi que la décomposition de l’enseignement en terme de variables supposées caractériser les comportements des enseignants ne permet pas d’atteindre les caractéristiques de l’action menée par les personnes. On retrouve donc la critique émise précédemment, relative à la catégorisation des

« processus » et à leur modélisation comme choix entre des variables indépendantes.

S’appuyant sur les théories cognitives de l’apprentissage, l’activité des élèves pour apprendre devient un point central, de sorte que l’enseignant n’est plus seul à agir, et il agit en interaction avec les élèves. Sa responsabilité est de conduire et réguler ces interactions en agençant les situations. Cette régulation est pensée en termes d’ajustements réciproques ou de désajustements de sous-systèmes. Ainsi est valorisée la variabilité didactique (Bru 1991), celle-ci entend insister sur l’idée qu’il n’y a pas de méthode unique, pas de meilleure méthode d’enseignement.

L’enseignant agit en situation, au regard du contexte. La capacité de changer de méthode devient une qualité de l’enseignant. Les pratiques sont analysées au regard de ce qui est supposé faciliter les apprentissages. Ainsi la précision des consignes, la place faite à la parole des élèves ou la “clarté cognitive” des actes du maître, qui sont de résultats des travaux processus-produits, sont considérées comme favorables. On repère des ajustements ou des décalages entre les processus cognitifs et socio-affectifs, montrant que les difficultés des élèves se construisent en classe et sont le produit de non-ajustement entre élèves et enseignants (Altet 1994, p.136). L’action éducative est représentée comme une action en situation (Clanet 1996), qui est à la fois en partie construite par l’enseignant mais aussi s’impose à lui. Est ainsi affirmée la nécessaire autonomie de l’enseignant. L’enjeu de ces recherches concerne sa formation professionnelle, seule susceptible de modifier les représentations qu’il a de son action.

Mon intuition selon laquelle le travail des enseignants s’opère en interaction avec les élèves se trouve confortée par ces critiques des modèles processus produit. Ces critiques argumentent l’impossibilité de saisir les composantes de l’action éducative en termes de variables caractéristiques des individus, du contexte ou des comportements. Elles conduisent leurs auteurs à proposer un autre cadre d’analyse, le cadre systémique. Les situations de classe sont analysées selon une grille repérant les opérations du maître et des élèves par des « fonctions » telles que : organiser, stimuler, inférer, réguler. En se rapprochant de la classe, la recherche devient qualitative et exploratoire. Les chercheurs analysant des séquences de classe se préoccupent des interactions langagières. Ils doivent trouver des découpages du temps des cours qui aient une certaine unité. Altet (1994) les nomme « épisodes ». Comme les autres recherches qualitatives de types compréhensif ou phénoménologique qui se disent descriptives, ils perdent les moyens d’une collecte de données susceptibles d’être traitées par des modèles de régression.

Cependant ces recherches se placent strictement dans le domaine pédagogique puisqu’elles portent uniquement sur la relation de communication entre les élèves et avec l’enseignant, indépendamment des contenus de connaissance qui font l’objet de l’activité commune.

Cette orientation, à mon sens, connaît une grave limite dans l’appréhension de l’action des professeurs. Elles adoptent en effet, un point de vue sur ce qui serait un bien agir de l’enseignant, orienté essentiellement vers un « bon ajustement » relationnel ce qui conduit précisément à laisser de côté la question des contenus d’enseignement.

L’idée est de lutter contre les malentendus de la communication, mais les appartenances sociales ou les adhésions idéologiques etc. des acteurs sont ignorées, comme si l’école était hors de la société.

Le modèle de l’action éducative est donc complexifié dans les travaux inspirés d’un paradigme systémique. Le modèle de l’action en situation

qu’ils adoptent n’est plus un simple modèle de choix, mais un modèle inspiré de l’idée du praticien réflexif. Cependant le critère du bien agir est tout entier du côté de la relation aux élèves. Du double agenda de l’enseignant, gérer les contenus et gérer la relation des élèves aux contenus, n’est retenue que la composante relationnelle, l’imbrication mutuelle de ces deux agendas est ignorée. L’idée de l’action du professeur qui en ressort reste donc tronquée puisque la spécificité de l’éducation scolaire qui est d’enseigner des connaissances valables n’est pas réellement inscrite dans ces descriptions de l’action.