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Les figures de la diversité

J’ai tenté de modéliser cette diversité des modes de faire des professeurs en construisant une grammaire des scénarios d’action possibles des professeurs (Chatel 1997 ; Chatel 2001). Ces scénarios sont élaborés en systématisant les hypothèses d’interprétation issues des travaux empiriques évoqués ci-dessus.

Deux dimensions sont retenues pour rendre compte de l’action éducative : la conception de l’action et celle de l’acteur. Sur chaque dimension sont opposées deux modalités polaires.

Ainsi l’action éducative est-elle caractérisée par son objet : apprendre pour savoir. Deux conceptions du savoir sont opposées. « Le savoir » (substantif) conçu comme un corpus, un ensemble de textes ou de règles et « savoir » (verbe) conçu comme une activité des personnes, nourrie du patrimoine culturel de l’humanité mais toujours à reprendre.

Sur la deuxième dimension relative à l’identité des acteurs, on oppose les acteurs conçus comme des individus, voire des personnes singulières, aux acteurs conçus comme fondus dans un rôle, identifiés par leur appartenance à une catégorie.

Quatre figures de l’action éducative naissent du croisement de ces caractéristiques. Ces figures sont des idéaux-types, nommés « monde possible d’éducation », en affinité avec la démarche de l’économie des conventions, affinité que j’exposerai plus loin dans cette note.

Les mondes d’éducation

SAVOIR VERBE: une activité qui se nourrit de l'expérience, réappropriation des connaissances d'autrui et de celles qui sont inscrites dans les livres ou dans les choses. dans un jugement dont les attendus sont débattus entre maître et élèves. chacun des élèves, mettre le savoir à sa disposition.

Elève: s'exprime durant l'enseignement, il est au fait qu'amorcer les apprentissages qui se font dans la durée.

Professeur: donne à voir à la classe son activité dans le savoir, réinterprète et adapte l'objet d'étude aux capacités de réception par la classe de son discours. Le professeur est savant, c'est un modèle.

Le maître est le juge de la qualité, de ces réalisations : problématiser et produire un travail achevé.

Incertitude : limitée par la formalisation du savoir et par les dispositifs d’enseignement.

Source : E. Chatel, Comment évaluer l’éducation ?, 2001a, p.147, modifé.

Ces catégories servent de grammaire pour l’analyse des cours qui ont eu lieu effectivement.

Elles permettent de montrer une certaine diversité de logiques d’enseignement exposées dans le tableau ci-dessus. Voyons par exemple les diverses modalités de gestion du temps de l’étude et de l’apprentissage : dans le monde didactique le temps est celui de l’appropriation par les élèves des connaissances issues des problèmes qu’ils résolvent, on retrouve l’après-coup décrit par les didacticiens ; dans le monde scolaire il y a synchronie entre l’enseignement et l’apprentissage. Chaque monde est aussi caractérisé par la forme d’évaluation qui y domine et par les dérives qui peuvent s’y produire. La dérive exprime la possibilité que le projet d’enseignement ou d’apprentissage ne soit pas réalisé, il résulte de la forme particulière d’incertitude propre à chaque monde. Dans le monde scolaire, les deux dimensions de l’incertitude sont limitées par le formalisme, dans le monde magistral l’incertitude sur le

savoir effectivement enseigné est limitée par la position haute du professeur, l’incertitude sur le résultat est reportée sur les élèves. Dans le monde pédagogique, c’est la relation qui est incertaine et qui fait l’enjeu de l’action éducative, dans le monde didactique l’incertitude porte sur la problématisation d’un savoir que l’élève doit s’approprier.

Les enseignements effectifs se révèlent largement orientés par les projets et les façons de faire habituelles de chaque professeur, par les caractéristiques des élèves, tout en étant aussi, mais à des degrés divers selon le « monde d’éducation » qui domine dans une pratique enseignante et une classe, susceptibles de s’écarter du projet prévu ex ante. Ces mondes permettent de retracer le passage éventuel d’une logique à une autre au cours de l’enseignement quand la classe résiste, s’agite, ne suit pas ou que le professeur n’est pas très sûr de lui, n’arrive pas à tenir le scénario qu’il avait en tête plus ou moins consciemment. Les cours peuvent échapper au projet initial du professeur. Sa maîtrise de la situation passe alors par sa capacité à maintenir la relation didactique en passant éventuellement d’un monde à un autre, obligé qu’il est d’assurer impérativement sur le temps de l’année la poursuite de sa relation aux élèves de sa classe. Dans certains cas, le cours n’aboutit pas à enseigner ce qui était prévu et peut connaître une certaine incohérence. C’est notamment le cas dans les classes où les problèmes de maintien de l’ordre scolaire et de la relation didactique sont les plus prégnants. La double contrainte de maintien de l’ordre, c'est-à-dire de la cohésion de la classe nécessaire à la poursuite de l’activité collective, et celle du maintien du caractère exact et globalement cohérent du propos, incitent à la gestion selon le monde magistral ou scolaire. Ceci explique leur prégnance dans le cadre organisationnel des classes de lycée.

Au-delà d’une caractérisation plurielle de la réalisation effective des cours, cela montre qu’émerge de ces enseignements effectifs une certaine pluralité légitime des significations effectivement enseignées sur un même item du programme de sciences économiques et sociales. Par ailleurs les cours effectivement réalisés peuvent se révéler partiellement inexacts ou incohérents au plan scientifique.

2. De la didactique des mathématiques à la didactique comparée : malentendus,