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Evaluer des attentes de significations

Chapitre 2. Comment évaluer l’éducation 15 ?

2. L’évaluation au service des enseignants

2.3. Evaluer des attentes de significations

Ces deux recherches pour évaluer les acquis des élèves, l’une en classe de terminale, l’autre en classe de première aboutissent à un même constat : il y a un large consensus pour juger bons ou mauvais les mêmes élèves. Que ce soit par des épreuves passées dans le cours habituel de l’enseignement (en classe de terminale et au baccalauréat) ou par une épreuve expérimentale (en classe de première), les analyses de données opposent nettement sur un premier axe d’inertie la réussite à l’échec. Ce résultat se retrouve dans les traitements des scores des évaluations de masse. Ce consensus pour considérer « bons » ou « mauvais » les mêmes élèves donne une certaine portée aux jugement sur les élèves, de plus, comme cela a été dit supra, il permet une mise en ordre des résultats des élèves assez stable mais qui reste grossière puisque la stabilité conduit à distinguer une partition en trois sous-ensembles : les élèves qui réussissent, ceux qui échouent et les instables entre les deux. On est loin du continuum de la mesure. Enfin on peut chercher ce que ces travaux nous disent des composantes de la réussite (ou de l’échec), pour aider les enseignants à y conduire les élèves.

A ce titre on remarque l’insistance sur les « contenus » et « raisonnements » dans les

appréciations portées sur les copies des élèves moyens plutôt que sur la méthodologie de l’exercice dissertatif, on note aussi la corrélation entre la réussite et la posture que nous avons appelée « implication dans l’activité intellectuelle ». Cette implication, signe d’une activité intellectuelle de l’élève semble une attitude favorable au succès.

La robustesse d’un classement des résultats des élèves en trois ensembles comme la remarque relative au rôle de l’implication dans la réussite scolaire trouvent un écho dans les résultats d’un travail récent de l’équipe ESCOL. Ce travail permet de plus de mieux définir la posture de réussite de certains élèves. Bautier, Crinon, Rayou, Rochex, (2004) caractérisent les élèves qui réussissent par leur capacité à mobiliser et confronter divers registres de savoirs.

Inversement, les élèves « moyens », bien que tentant formellement de s’engager dans les exercices scolaires demandés, ne réussissent pas car ils n’atteignent pas une posture dite de

« secondarisation ». Cette recherche consiste à retraiter les épreuves PISA (2000) passées par les élèves de 15 ans sur les thèmes de « compréhension de l’écrit ». Ce retraitement est un recodage des réponses des élèves de façon à faire ressortir d’autres critères de jugement que ceux qui ont servi à bâtir les scores lors du traitement officiel initial. Il vise à caractériser l’activité intellectuelle menée par les élèves lorsqu’ils effectuent l’épreuve. Dans leur codage, les auteurs essayent notamment d’opérationnaliser précisément la notion de « genre de discours » chez Bhaktine. Ils nomment secondarisation la capacité des élèves à se ressaisir des savoirs qui leurs viennent spontanément à l’esprit dans la situation scolaire d’exécution d’une tâche. Cette saisie seconde est jugée nécessaire pour reconfigurer leur activité en rapport avec la finalité du travail scolaire demandé. L’axe 1 de l’analyse de données, qui rend compte de la plus grande part de la variance des résultats, sépare les bons compreneurs des élèves en échec, cette opposition étant elle-même corrélée aux scores de PISA.

Les élèves « moyens », au sens de leurs scores à PISA, sont majoritaires. Les analyses statistiques et monographiques de cette recherche ne permettent pas d’établir de caractéristiques stables dans les façons de faire de ces groupes (caractérisés comme

« préleveurs d’information » et de « constructeurs de sens handicapés par un être conformiste au monde »). En effet leurs façons de faire varient selon les thèmes et les formats des tâches ; elles restent imprévisibles.

Pour la majorité des élèves qu’ils soient moyens ou faibles, la posture seconde n’est pas pleinement acquise à 15 ans. Le groupe des moyens forme un ensemble hétérogène du point de vue des façons de travailler.

Comment faire réussir ces élèves qui sont dans l’entre deux devient dans ces recherches non une question de progression sur la ligne d’un continuum d’acquisition de compétences, mais plutôt un basculement vers une posture « seconde ». La recherche précitée présente cette posture comme une capacité à mobiliser conjointement savoirs d’expérience et savoirs académiques pour qu’une confrontation permette un reconfiguration des premiers par les seconds. La question de la relation entre les savoirs d’expérience et les savoirs scolaires est particulièrement pertinente dans le cas de l’enseignement de sciences économiques et sociales, matière qui a été mon objet empirique privilégié dans ma réflexion sur l’action éducative. Je me suis, notamment, attachée à cette question lors d’une recherche action que j’ai conduite à l’INRP entre 1994 et 199644. L’objectif était d’envisager une « amélioration » de l’enseignement du thème « Economie et société de marchés », d’une part en profitant du travail théorique fait sur ce thème par l’équipe de professeurs associés, d’autre part en tentant délibérément dans les cours une « mise en activité intellectuelle des élèves ». En observant et analysant la mise en œuvre de cette intention, le but de la recherche était de réfléchir sur le sens donné par les professeurs de SES à ce que la profession nomme « pédagogie active », d’en proposer une sorte d’évaluation, éclairée par les pratiques d’enseignement effectif.

Douze classes ont été examinées45. Les premières instructions de SES (1967) enjoignent aux professeurs de pratiquer une pédagogie dite indifféremment inductive ou active ; cet attachement aux « méthodes actives » est ensuite devenu une source de clivages entre les professeurs. Les méthodes actives ont été décriées par les uns à cause des dérives qu’elles permettraient vers une « animation » de la classe peu soucieuse de l’exactitude scientifique des contenus (Beitone, Legardez 1992), soutenues par les autres pour l’autonomie qu’elle confère aux élèves dans la visée d’une éducation citoyenne. La pédagogie active est comprise généralement en SES comme l’obligation faite aux professeurs, aidés en cela par les manuels, d’accompagner tous leurs cours d’un dossier de documents (textes, iconographie, statistiques).

Ils souscrivent très généralement à cette pratique. Le dossier soutient la participation des élèves, participation encouragée et pratiquée en laissant plus ou moins d’espace à la parole des élèves. Il est vrai que plus cet espace est large, plus il s’avère difficile pour le professeur de canaliser l’incertitude sur les significations qui émergent dans la classe et plus il court un risque de débordement. Il arrive donc que la participation se restreigne à une vérification assez formelle de la capacité de lecture des documents sans approfondissement de cette

44. Elèves et professeurs en classe de Sciences économiques et sociales, Pédagogies actives et activités intellectuelles des élèves (Chatel et alii 2000). Ce rapport est joint.

45. En prélevant les cahiers et devoirs des élèves, en recueillant les préparations de cours des professeurs et en ayant avec eux un entretien semi directif sur leur façon de faire ce cours, en enregistrant les heures de cours sur le thème.

lecture. Cependant, il m’apparaît que le moment du cours de sciences économiques et sociales peut être l’occasion d’établir un lien entre les savoirs scolaires et l’expérience scolaire et non scolaire, du fait des thèmes abordés dans ce cours. La verbalisation de l’expérience, sa reprise en public, sa confrontation avec celle des autres élèves, avec la parole du professeur ou avec les contenus des documents, peut engendrer une prise de distance, une réflexion, une donation de sens grâce aux mots du professeur ou des documents étudiés (Chatel et alii 2000, rapport joint)). La pédagogie active qui se pratique dans certaines classes de notre échantillon comme le témoignage de certains élèves46 plaide dans le sens de cette hypothèse. Elle correspond à une action éducative selon l’idéal type du « monde didactique », tel que décrit dans le chapitre précédent. Elle peut être un moyen d’aider certains élèves « moyens » à atteindre une posture de secondarisation qu’ils n’adoptent pas de façon habituelle.

Les recherches passées en revue dans cette partie consistent à examiner des évaluations pédagogiques sur le modèle des exercices habituels effectués dans les classes et à leurs corrections selon les critères en usage. Ces évaluations pointent l’accès réussi ou non à des significations, des postures, des raisonnements. La réussite ressemble à un basculement stable sur lequel les jugements des enseignants convergent. Les constats de mes recherches sont confortés par les analyses en terme de « rapport au savoir » pour supposer que la posture de

« secondarisation », c’est à dire la capacité des élèves à mobiliser et à confronter divers registres de savoir, favorise leur réussite et leur implication dans l’activité intellectuelle requise dans les exercices scolaires. Une certaine forme de pédagogie active pratiquée en SES paraît propice à faciliter cet accès.

Je considère donc que l’enjeu d’une évaluation qui aide les enseignants consiste à mieux cerner les composantes de cette réussite, de ce basculement pour aider les élèves à y accéder.

La recherche d’une mesure arithmétique de leurs acquisitions ne peut avoir cette fonction car les progrès des élèves ne sont pas linéaires ni ne correspondent à une substance homogène, si on comprend l’éducation comme accès à la culture. Dans ce cas les évaluations qui peuvent aider les enseignants doivent permettre de pointer l’accès aux significations attendues et de repérer ce qui l’empêche.

3. Evaluation des résultats de formations professionnelles en direction des pouvoirs