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La métaphore considérée comme « marginale » selon Bouverot

1 1.1 La métaphore entre poétique et rhétorique selon Aristote

1.3. La métaphore considérée comme « marginale » selon Bouverot

Bouverot 45 se base sur le corpus de Frantext 46 pour montrer que la métaphore est vue comme marginale. Les écrivains de Frantext assurent Ŕ sans trop de rhétorique Ŕ la transition entre « la recherche des témoins » et les échos, traces et jugements dans la littérature.

Mais comment la métaphore peut être considérée comme marginale ? Pour répondre à cette question, Bouverot se base sur les trois milles références bibliographiques du corpus du juin 1989, que nous allons exposer quelques-unes d‟entre elles. La métaphore, objet d‟émerveillement pour la critique contemporaine, elle est parfois valorisée comme utile, mais surtout vantée comme l‟une des composantes des plus hautes formes de l‟art, déjà Rousseau qui la trouve nécessaire à la fonction expressive, et cela même dans le style épistolaire :

« Pour peu qu‟on ait de chaleur dans l‟esprit, on a besoin de métaphore et d‟expressions figurées pour se faire entendre vos lettres même en sont pleines sans que vous y songiez, et je soutiens qu‟il n‟y a qu‟un géomètre et un sot qui puissent parler sans figures »

Rousseau, J.J. la nouvelle Héloïse /1761, Seconde Partie. p. 322

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Ibid., p. 38

45 BOUVEROT (D.), "La métaphore vue comme marginalité par les écrivains de Frantext", in Grammaire des

fautes et français non conventionnels, Paris, Presses de l'École Normale Supérieure, 1992, pp. 305-314.

46 Frantext est une base de données de textes français de l‟institut national de la langue française, regroupe des

textes à dominante littéraire: choisis pour illustrer la plus grande variété des formes langagières conventionnelles ou non. Elle a été créée autour d'un noyau de mille textes, dans les années 70, Elle est régulièrement enrichie et comporte aujourd'hui près de 4000 références. Elle est la seule à proposer des recherches sur des textes qui vont de 1180 à 2009. Cette base de données avait d‟abord le but de fournir des exemples pour le dictionnaire Trésor

de la Langue Française, puis elle a été mise en ligne sur le web en 1998 par l'informaticien auteur de son moteur

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Et c‟est à Sainte-Beuve à utiliser l‟esthétique des genres oratoire et poétique :

« Or sans l’élocution, toutes choses restent comme inutiles et semblables à un glaive encore couvert à la gaine; sans METAPHORES, allégories, comparaisons et tant d’autres figures et ornements, toute oraison et poème sont nus et débiles, d’où il arrive que, si dans la lecture d’Un Homère, d’Un Démosthène d’Un Cicéron ou d’Un Virgile, vous passe d’un texte à la traduction vous semble passer de l’ardente montagne de l’Etna sur le froid sommet du Caucase. »

Sainte-Beuve, C.A. Tableau historique et critique de la poésie française et du théâtre français au XVIe siècle (1828). p. 48

D‟autres citations confirmaient les jugements de valeurs positifs. Il nous semble plus étonnant de constater les réserves et les critiques formulées par les écrivains eux-mêmes parfois sans autres explications que des formules métalinguistiques « ce n‟est qu‟une métaphore », pour parler sans métaphore « sans tomber dans la métaphore ». Les exemples suivants, sélectionnés parmi beaucoup d‟autres, traversent les siècles.

« L‟homme le plus dépourvu d‟imagination ne parle pas longtemps sans tomber dans la métaphore, or c‟est le style Métaphorique qui porte un germe de corruption : le style naturel ne peut être que vrai »

Rivarol, de l‟Université, Langue Fr. /1784, p. 60

Amiel est conscient d‟une sorte de faute, puisqu‟il se corrige lui-même :

« Nous ne voyons d‟ordinaire les choses qu‟à travers une double partie de besicles intellectuelles ou pour parler de métaphore à travers les intermédiaires interposés entre elles et nous. Ces deux milieux modificateurs sont le langage et le préjugé »

Amiel, H.F. Journal de l‟année 1866 /1866 lundi 28 mai 66

Lorsque Bally parle des langues disant :

« Seraient-elles des organismes existant par eux-mêmes, vivant de leur vie propre ? Cette analogie qui n‟est vraie que par Métaphore, crée une fiction

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dangereuse et tenace ; beaucoup de savants parlent encore couramment de la « vie du langage » de la « vie des mots » de la lutte pour la « vie des idiomes » Bally, C. Le langage et la vie /1913, p.14

Il rejoint Rivarol dans la conception de la métaphore comme « germe de corruption » comme « fiction dangereuse » opposée à la vérité ; à l‟idéal de l‟utile ou du beau se substitue celui du vrai, ainsi selon ces exemples et d‟autres du corpus ; celui qui écrit devrait choisir entre des valeurs incompatibles : pour certains, toute métaphore est bonne, pour d‟autres le respect de la vérité condamne toute métaphore.

Mais il faut compter avec ceux qui pratiquent une distinction subtile entre plusieurs utilisations de la métaphore, c‟est en particulier le propre des rhétoriciens que de tenir compte des cas, autrement dit des situations de communication, ou encore des genres littéraires, ces derniers classés et hiérarchisés, impliquent un code de convenance qui relève de la rhétorique perspective. C‟est le point de vue de Dumarsais, dont il faudrait relire les quatre-vingt et une citation du listage du genre de celle-ci :

« Il faut aussi avoir égard aux convenances des différents styles. Il y a des métaphores qui conviennent au style phonétique qui seraient déplacées dans le style oratoire »

Dumarsais, C. Des tropes, 1730 partie2 : La métaphore, p.139

Des réalisations individuelles et originales en discours de certains écrivains, il est facile de passer aux ressources plus communes et générales qu‟offre l‟argot. A ce propos ; Victor Hugo signale :

« Le propre d‟une langue qui veut tout dire et tout cacher c‟est d‟abonder en figures. La métaphore est une énigme où se réfugie le voleur qui complote un coup, le prisonnier qui combine une évasion. Aucun idiome n‟est plus métaphorique que l‟argot »

Hugo, V. les misérables /1862. 4ème partie. Idylle et épopée T2. p.198

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« L‟argot n‟est autre chose qu‟un vestiaire où la langue, ayant quelque mauvaise action à faire, se déguise. Elle se revêt de mots, masques et de métaphore haillons, de la sorte elle devient horrible »

Hugo, V. les misérables / 1862/4ème partie. Idylle et épopée T2. p.193

Pour conclure par des exemples cette série d‟exemples, retournons à la correspondance de Flaubert, à la lettre à Louis Bouilhet du 26 décembre 1852, dans un jeu sur le langage, y compris l‟archaïsme fantaisiste de l‟orthographe, l‟auteur poursuit dans une métaphore filée proche de l‟allégorie, un parallèle entre la rhétorique de l‟analogie et la maladie.

Le métalangage entre parenthèse explique que, par une métaphore in presentia revendiquée comme telle,

« Les métaphores sont des maladies qui enlèvent à la peau toute beauté : les papules, l‟acnée… le reproche communément fait aux métaphores leur « luxuriante » et leur caractère « grouillant », entraine une comparaison survie avec la vermine, qui provoque la corruption et la mort. »

Les métaphores contre la métaphore se retrouvent en vers dans les satires de Barbier, le poète y mime, contre lui-même, une critique littéraire, ou abonde le vocabulaire esthétique en usage dans les exemples de Frantext :

« Je livre sans gêne aux écarts du cerveau C’est qu’en moi je n’ai pas la faculté du beau Le sens d’un esprit juste, et que ma fantaisie N’est rien qu’extraordinaire et folle poésie

Comme pour rendre des tons de mon style plus vifs Et plus piquants, je fais des écoliers d’adjectifs. Que j’enfle et je mourais jusqu’à la pléthore Les margeurs de ma phrase avec la métaphore Ou que de leur vrai sens je détourne les mots Et leur fais contracter les hymens les plus faux Enfin, lorsque plongeant aux bas fonds populaires J’en tire effrontément les tours les plus vulgaires, Croyez –vous que j’ignore : en écrivant ainsi , Que j’enfonce la règle et le goût …? Pardieu Si,

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Barbier, A. Satires /1865, le secret des biens des gens. p.50

La théorie rhétorique établie des conventions, la métaphore étant l‟une d‟elles, pour l‟efficacité et la beauté du langage ; la critique littéraire qui en découle constate que certaines métaphores non conventionnelles sont des fautes de goût, les philosophes déplacent le problème en mettant l‟accent sur le vrai, que la métaphore même utile, travestit, en réalité, cette perspective chronologique, cache la simultanéité des plusieurs valeurs de tout temps rivales, l‟utile, le beau, le vrai.

Revenons aussi à la notion de conventions et de fautes, la diachronie en montre d‟ailleurs la relativité, la métaphore comme toute convention, n‟échappe pas à cette double marginalisation.