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Degré d’originalité des métaphores 1 Catachrèse

2. Essai de définition de la métaphore selon la tradition grammaticale

2.2. Métaphore au sens large :

2.2.2. Degré d’originalité des métaphores 1 Catachrèse

Il existe dans la langue un certain nombre de métaphores, c‟est-à-dire de mots dont on se sert, en détournant leurs sens ordinaires, pour désigner une réalité quelconque pour laquelle il n‟existe pas de terme approprié. Cette figure obligatoire s‟appelle catachrèse. Voici qu‟en dit Fontanier :

« Le mot aile ne désignait d‟abord, sans doute, que cette partie du corps de l‟oiseau qui lui sert à voler ; le mot bras, que cette partie du corps d‟un humain qui tiens à l‟épaule et se termine par la main ; le mot tête, que cette partie du corps de l‟animal, qui est le siège de la cervelle et des organes des sens. Mais combien d‟objets naturels ou artificiels ont des parties qui se présentent aux yeux, comme les ailes d‟un oiseau, comme les bras d‟un homme, ou comme la tête d‟un animal ! Au lieu de s‟occuper à créer de nouveau noms, on a consacré

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à de nouveaux usages les noms d‟aile, de bras, de tête, et l‟on a arrêté (c'est-à- dire décidé de) de dire les ailes d‟un moulin à vent, etc. ;par extension du second : un bras de mer, les bras de la rivière : les bras d‟un fauteuil (….) par extension du troisième : la tête d‟un arbre ; la tête d‟un clou ,d‟une épingle (…). Autant de métaphores forcées, quoique, sans doute, justes et naturelles ; par conséquent autant de catachrèses »12.

Nous ne percevons plus d‟images quand nous parlons des langues parlées dans le monde, des feuilles d‟un journal ou du pied d‟une table. Aussi les catachrèses ne sont elles pas à inclure parmi les figures de style, sauf si un auteur joue sur le dénoté premier. En ce cas, le phénomène rentre dans le cadre de la réactivation des métaphores que nous allons étudier un peu plus bas.

2.2.2.2. Métaphore figée (métaphore –cliché)

Au degré de liberté suivant, nous rencontrons des métaphores qui ne sont pas obligatoires mais qui sont complètement entrées dans la langue. Les métaphores figées du type : déclarer sa flamme, un cœur de pierre, santé de fer ont, non moins que les catachrèses, perdu leur pouvoir figuratif. Cependant, catachrèses et métaphores figées peuvent être réactivées par un usage linguistique qui leur redonne leur valeur d‟image initiale. Prévert, par exemple, a fait du réveil des métaphores un de ses deux favoris :

On a un beau avoir une santé de fer, on finit toujours par rouiller. (Jacques Prévert)

Le mot rouiller fait ressurgir le sème /métal/de fer. En fait, la métaphore aboutit à une syllepse puisque le mot fer est utilisé dans deux sens différents, de même que le mot rouiller. On a le développement simultané des deux isotopies.13 Sur un plan métaphorique, santé de fer /bonne santé /est en relation avec rouiller /être physiquement moins performant/, comme sur un plan non métaphorique, fer/métal/est en relation avec rouiller /processus d’altération d’un métal/.

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Pierre Fontanier, Manuel classique pour l‟étude des tropes ou Eléments de la science du sens du mot, dans Les Figures du discours, introd. de Gérard Genette (Paris, Flammarion, 1977), p.216, texte datant de 1821.

13 Isotopie : « plan commun rendant possible la cohérence d‟un propos » et qui repose sur la répétition de

certains sèmes. Julien Greimas, Sémantique structurale : recherche de méthode Paris Larousse, coll. Langue et langage, 1966)

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Autre exemple du développent de deux isotopies concurrentes :

La France est la fille ainée de l’église et Jésus Christ le cadet de mes soucis (Jacques Prévert)

A une première isotopie fille ainée /appui majeur /cadet de mes soucis/moindre de mes préoccupations /se superpose coassement l‟isotopie de la famille constituée par le rapprochement des termes fille ainée/fille la plus âgée /et cadet /fils le plus jeune.

Les métaphores figées tuer le temps et se tuer à sont resémantisées par le voisinage des termes vie et mourir dans les exemples suivants :

Le temps

Mène la vie dure

A ceux qui veulent le tuer.

(Jacques Prévert)

Quand quelqu‟un dit : Je me tue à vous le dire ! Laissez-le mourir. (Jacques Prévert)

De ce fait, Les métaphores figées que constituent beaucoup de proverbes se prêtent particulièrement bien au jeu de la resémantisation : en les réactivant, on montre précisément qu‟elles étaient mortes, et on suggère que la « la sagesse » qu‟elles expriment est tout aussi fossilisées. Prévert s‟est fait une spécialité de ce jeu, mais il ne lui appartient pas exclusivement. Voici un exemple de Paul Morand, dans lequel la réactivation de la métaphore permet le retournement de la morale :

L’oisiveté est la mère de tous les vices, mais le vice est le père de tous les arts. (Paul Morand)

2.2.2.3. Métaphore vive

L‟expression métaphore vive a été forgée par le philosophe Paul Ricœur pour souligner le pouvoir créateur de cette figure : « la métaphore est le processus rhétorique par

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lequel le discours libère le pouvoir que certaines fictions comportent de redécrire la réalité. »14 Laissant de côté les métaphores conventionnelles, « allégories poussiéreuses », Pierre Guiraud commente ainsi le fonctionnement métaphorique : « la métaphore actualise quelque analogie de forme, de couleur, de goût, d‟odeur, de comportement, de fonction, etc., dans une relation neuve et non encore perçue; relation singulière qui correspond à une vision originale, qui avait jusqu‟ici échappé à la langue. »15

Redécouvrir la réalité, relation neuve, vision originale : on voit la puissance attribuée au processus métaphorique, perçue comme le mode d‟expression par excellence de l‟imaginaire. Allant encore plus loin, Gilbert Durand, le définit comme « l‟antidestin », puisqu‟il permet d‟interpréter le réel, de le réinventer.