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Chapitre 1 – Contexte de l’étude

5. Médium d'enseignement

L'anglais a dominé le paysage linguistique et éducatif des milieux élitistes de Penang, et de la Malaisie en général, depuis les premières années du peuplement de l’île en 1771, en raison de la colonisation. Dès 1922, les écoles de langue anglaise comptaient 85% d’étudiants d’origine chinoise, un état de fait qui perdure encore aujourd’hui (Omar, 2007, p. 34337cité dans Samuel, 2010, p. 138). Cette domination linguistique anglophone du système éducatif a continué à la suite de l'indépendance grâce au statut international de l’anglais – langue de prestige pour les élites. Cependant, le malais a été réintroduit par étape dans le système éducatif et le gouvernement a fait de la langue vernaculaire un point central dans la construction de l’unité nationale. Le vocabulaire de la langue malaisienne ne correspondait pas d'un point de vue pratique aux besoins de l'enseignement ainsi qu'à d'autres secteurs de la vie courante et du travail et c’est la raison pour laquelle le malais a été instauré comme médium de communication par étapes. Le « Report of the Education Committee » de 1956 a pour but de redonner au malais une place dans la construction de l'Etat malaisien, en affirmant sa nature de langue officielle :

« Chapter III

The national language

17. As declared in our terms of reference, it is the intention of the government to make Malay the national language of the country.

18. It follows from this that Malay must be learnt in all schools, and we recommend that the teaching of Malay to and the learning of Malay by all pupils shall be a condition of Government assistance

37 Omar A. H. (2007). « Malaysia and Brunei », dans A. Simpson (dir.), Language and National Identity in Asia,

48

in all schools. » (Report of the Education Committee, p. 4)

« Chapitre III La langue nationale

17. Comme il a été déclaré en termes de référence, c'est l'intention du gouvernement de faire de la langue malaise la langue nationale du pays.

18. Il s'ensuit que le malais doit être appris dans toutes les écoles, et nous recommandons que l'enseignement et l'apprentissage du malais à et par tous les étudiants soit assisté par le gouvernement dans toutes les écoles. »38

Nous verrons en détail, dans cette partie, quelle aura été l'évolution de cette situation. a) Avant l'époque coloniale

Avant la colonisation, aucune politique éducative n'avait été clairement définie, ce qui a favorisé le développement d'écoles publiques organisées et prises en charge par les autorités locales. Le fait que la Malaisie soit un Etat fédéré, composé de différents sultanats avant la colonisation, n'a pas encouragé une politique éducative et linguistique unifiée et nationale. Les premières écoles en Malaisie préexistantes à la colonisation étaient principalement soit malaises, fondées par les pouvoirs locaux, soit missionnaires, fondées par des institutions religieuses étrangères (Ooi, 2004, p. 124). Les filles étaient particulièrement exclues de ce système et les pouvoirs religieux les principaux instigateurs d'un système éducatif. En Malaisie, les pondok ou pensantren, écoles du village, (traduction littérale: hutte, case) fournissaient une éducation dont le médium d'enseignement était principalement l'arabe et les textes étudiés, des textes religieux islamiques. Les étudiants, principalement les garçons se regroupaient autour d'un professeur qui utilisait une version arabe du Coran et en faisait mémoriser les sourates.

b) L'époque coloniale

49 A partir de la colonisation, nous retrouvons ce qui se nomme des free school ou écoles libres qui proposent un enseignement privé, dans les langues vernaculaires ou en anglais. L'attitude de laissez-faire du pouvoir colonial n'a jamais fondé les bases d'une quelconque unité sur le plan éducatif. Ainsi, les différentes ethnies ont été encouragées à développer d'elles-mêmes leurs propres systèmes éducatifs (Ooi, 2004, p. 82). Chaque ethnie possédait son propre système éducatif, chinois, tamoul ou malais et la langue d’enseignement se faisait dans la langue d’origine. Les enseignants étaient natifs et venaient du pays d’origine du pays concerné (Inde ou Chine). Les Anglais possédaient leur propre système éducatif et certains locaux, pour ceux qui pouvaient se le permettre, profitaient des possibilités offertes par l’enseignement anglais. Le système colonial britannique a encouragé la division ethnique déjà présente en appliquant sa devise « Diviser pour mieux régner » (Puteh, 2006). Ce système a également mis en place des clivages sociaux représentés par un système éducatif à plusieurs étages : une éducation internationale, en anglais, pour les élites et divers systèmes éducatifs correspondant à chaque groupe ethnique. L'ethnie malaise est celle qui est restée plus particulièrement en dehors du système et éloignée d'une éducation internationale en ce qui concerne les classes les plus populaires, souhaitant se protéger de l'influence étrangère et notamment religieuse dispensée dans les écoles internationales (Puteh, 2006). Les Malais les plus démunis ou vivant dans des lieux reculés restaient pour la plupart éduqués dans les

pondok (Ooi, 2004, p. 883). Le gouvernement colonial a également mis en place une

éducation en malais, ce qui a été une première pour les locaux, l'éducation se faisant auparavant en arabe sur la base de la religion musulmane, mais ces écoles séculaires39 rencontraient peu de succès.

En ce qui concerne la population d'origine chinoise, jusqu'à 1920, les écoles proposaient une éducation dans les différents dialectes chinois (teochew, hokkien, hakka et cantonais). Par la suite, une volonté d'unifier les syllabi malaisiens s'est imposée en proposant principalement une éducation en mandarin (Ooi, 2004, p. 883). Les écoles proposaient une éducation jusqu'au lycée et les professeurs étaient pour la plupart originaires de Chine continentale, expatriés dans le but d'enseigner.

39 Y étaient enseignés les trois « R' » : reading, writing and arithmetics (lecture, écriture et arithmétique) et les

50 c) Depuis l'indépendance (1957)

La ligne de conduite qui a défini les grandes lignes de la politique éducative malaisienne d’aujourd’hui a été élaborée dans un texte communément nommé le « Razak Report » de 1956. Ce document ébauche l’idéologie qui subsiste encore dans le pays et qui est défendue par l'actuel Premier ministre (Najib Razak) : créer un état uni, au-delà des clivages ethniques, religieux et linguistiques qui ont gangréné jusque-là la cohésion sociale du pays. Afin d’abolir cette ségrégation, préexistante à la colonisation, mais renforcée par cette dernière, le gouvernement recommande la création d’une école publique ouverte à tous où la langue d’enseignement sera progressivement le malais, langue de l’unification du pays et instrument de l’unité nationale. Or, à cette époque, la maîtrise du malais n’est pas aussi répandue chez les différentes ethnies qui composent le pays. Le « Razak Report » sera ainsi amendé au fil des années par des résolutions qui affirment petit à petit le malais comme langue d’enseignement, de façon progressive et continue, toujours dans l’optique d’arriver à la création d’une unité nationale. Suite à ce rapport, plusieurs décrets mettent ainsi en place les lignes directrices d’une éducation en langue malaise. L’Education Ordinance de 1957 évoque la création d’une unité nationale en matière d’éducation (Education Ordinance, p. 11) :

« The Education Policy of the Federation is to establish a national

system of education acceptable to the people as a whole which will satisfy their needs and promote their culture, economic, social and political development as a nation, with intention of making the Malay Langue the National Language of the country whilst preserving and sustaining the growth of the language and culture of the people other than Malays living in the country. »40

Ainsi, l’Education Act de 1961 reprend les grandes lignes de ce décret à la suite d’une analyse fournie dans le « Abdul Rahman Talib report » de 1960 reconnaissant l’acceptation du public

40 « La Politique Educative de la Fédération est d’établir un système national d’éducation qui soit acceptable à

l’ensemble de la population et qui pourra satisfaire leurs besoins et mettre en avant leur culture et leur développement social, économique et politique en tant que nation, tout en ayant le but de faire de la Langue Malaise, la Langue Nationale du pays, tout en préservant et maintenant l’épanouissement de la langue et de la culture des peuples non-malais résidant dans le pays…». Notre traduction.

51 ainsi que la faisabilité du projet. L’Education Act de 1961 définit ainsi le malais comme langue d’enseignement nationale pour les écoles publiques avec, grâce au National Language Act de 1967, une tolérance accrue envers l’utilisation modérée de l’anglais dans les salles de classe. Les écoles communautaires (chinoises ou tamoules par exemple) se voient autorisées à utiliser leurs langues vernaculaires comme médium d’enseignement pour le primaire et le développement parallèle de deux systèmes d’enseignement, aux médiums d’apprentissage différents, se poursuit. Au secondaire, les étudiants se retrouvent dans un système public national dont le syllabus est commun et le malais obligatoire.

Depuis 2003 (Samuel, 2010, p. 139), l’anglais devient à nouveau la langue d’enseignement des mathématiques et des sciences. Le programme d’instauration d’un enseignement en langue malaisienne pour toutes les matières formant la base de 2003 à 2012, date à laquelle toutes les écoles publiques sont censées appliquer un enseignement monolingue à partir de l’école secondaire. Alis Puteh (Puteh, 2006) note dans son étude que plusieurs recherches sur la mise en place du malais, comme langue d’enseignement, avaient démontré des limitations dès la décolonisation : manque de professeurs aptes à enseigner en malais, même parmi les natifs, par manque de terminologie et de ressources scolaires disponibles, mais aussi par manque de formation à l’enseignement en malais. Le chantier entrepris en 1957 est toujours d’actualité pour le Ministère de l’Education où le choix de la langue d’enseignement pour et de certaines matières fait toujours débat. Encore aujourd'hui, des clivages communautaires perdurent au niveau de la maîtrise des langues malaise et anglaise, comme le montre le tableau ci-dessous (Illustration n°6). Le malais est moins bien maîtrisé par les communautés indiennes et chinoises que par les Bumiputera, de même que l'anglais est moins bien maîtrisé par les Bumiputera que par les Chinois ou les Indiens. Cette situation est le reflet d'une éducation à deux vitesses et surtout montre les effets d'une éducation au médium d'enseignement différent pour chaque ethnie et d’un clivage sociétal qui se perpétue.

Accomplissement scolaire en anglais et malais (2010 et perspectives pour 2025)41

Etudiants qui ont obtenu au moins un crédit au SPM malais

Etudiants qui ont obtenu au moins un crédit au Cambridge anglais

52

Pourcentage Pourcentage

Bumiputera42 84 90 23 70 Chinois 63 90 42 70 Indien 57 90 35 70

Année 2010 2025 objectifs 2010 2025 objectifs

Illustration 6 - Pourcentage de réussite par origine ethnique au SPM en malais et anglais

Les chiffres présents dans le tableau « Illustration n°6 » mettent en exergue le gouffre qui peut exister entre les différents groupes ethniques malaisiens. Les étudiants d’origines indienne et chinoise maîtrisent l’anglais avec beaucoup plus d’aisance que les Malais et, les Malais maîtrisent beaucoup mieux le malais que les autres. Le gouvernement a fixé dans sa politique éducative un niveau de maîtrise équivalent pour tous les groupes d’origines ethniques différentes d’ici 2025.

Un système éducatif encore en construction

L’histoire des langues d’enseignement en Malaisie depuis la fin de l’époque coloniale n’a cessé d’être bouleversée. De nombreux décrets sont venus annuler les précédents et l’équilibre entre la langue anglaise et malaise dans l’enseignement n’a cessé de changer au fil de l’histoire et des nouvelles lois. Le malais domine toujours et la politique actuelle défend la suprématie de cette langue dans le système éducatif national. De nombreuses questions subsistent au vu du besoin de proposer une éducation compétitive au niveau international, car en effet, les Malais se voient nettement défavorisés en ce qui concerne la maîtrise de l’anglais par rapport aux autres et finissent par obtenir un accès restreint pour ce qui est de l’enseignement supérieur (Samuel, 2010, p. 139). Beaucoup de questions se posent, notamment en raison de l’importance de la langue anglaise au niveau international, du rayonnement important de Singapour dans la région et du fait que les ethnies indiennes et chinoises se voient favorisées dans la maîtrise de l’anglais par rapport aux Malais. Un exil massif des étudiants d’origines indienne et chinoise, vers les pays anglophones afin de

42 Bumiputera signifie « fils ou prince du sol » et désigne l’ethnie malaise sans tenir compte de leur foi

53 poursuivre leurs études supérieures a commencé dès 1957 et s’est intensifié au fil des années jusqu’à aujourd’hui (Kirkpatrick, 2007, p. 120).

d) L'éducation à Penang

Penang, en tant que terre d’accueil récemment fondée par Francis Light en 1771, ne possédait alors ni population, ni école. Le peuplement récent au XVIIIème siècle et l’immigration ethniquement très marquée sur l’île ont fait se développer différentes écoles et centres d’enseignement destinés à répondre aux besoins de chaque groupe ethnique. La plupart des Malais, relégués à la périphérie de l’île, regroupaient leurs enfants dans les

pondok traditionnels tandis que ceux de la ville, Georgetown, pouvaient aller dans les écoles

religieuses fondées dès le début du XIXème siècle par les Indiens musulmans (Tan, 2002, p. 7). A cette époque a été créée la première école de langue malaise sur l’île en 1826, la Gelugor Malay School. Penang Free School en 1816 développait une éducation en anglais, enseignée par des missionnaires chrétiens. Un enseignement en malais, mandarin et tamoul était disponible pour ceux qui souhaitaient apprendre leur propre langue et l’enseignement religieux n’était pas obligatoire pour les étudiants d’autres confessions. Penang Free School43 (1816) devint le symbole de l’excellence, par son ouverture sur le monde et le statut dont l’anglais pouvait jouir à l’époque (Ooi, 2009, p. 82). Penang Free school est aussi la première école anglaise du Strait Settlement, bien avant Singapour et Melaka dont les premières écoles anglaises ont été créées respectivement en 1823 et 1826 (Kirkpatrick, 2007, p. 119). Des écoles en tamoul furent, dès le début du XIXème siècle encouragées et fondées par les propriétaires de plantation d’hévéas pour les enfants de leurs ouvriers et la population chinoise a commencé à créer ses propres écoles afin de perpétuer la culture et la langue. Pour ces deux types d’écoles, les livres provenaient respectivement d’Inde ou de Chine et les professeurs étaient également des immigrés, parfois venant de Chine ou d’Inde dans le seul but d’enseigner.

Ainsi de 1771 à 1957, Penang a connu le même développement éducatif que le reste de la Malaisie – proposant une éducation en anglais, malais, mandarin, tamoul dans des écoles privées, publiques ou religieuses. La seule différence avec le reste du pays résidait simplement dans le fait que l’ethnie chinoise y avait toujours prédominé. L’attrait pour

54 l’anglais, sa prédominance en tant que langue de l’élite et de prestige, langue de communication interethnique y favorisait les échanges et y affichait une certaine suprématie. En 1957, lors de la décolonisation et surtout de la mise en place d’un système d’éducation nationale, Penang conservera ses grandes écoles privées44. Elles seront placées sous l’égide du curriculum national, leurs professeurs et dirigeants deviendront fonctionnaires de l’Etat. Encore aujourd’hui un uniforme commun au blason de l’école est porté, et le même examen national sanctionne le secondaire. Les écoles primaires peuvent toutefois conserver un enseignement en langue vernaculaire. En 2012, ces écoles aux origines privées représentaient 43% des écoles primaires implantées dans l’île, dont 33% étaient chinoises, les autres tamoules et le reste malaises (SERI, quarter 1, 2012).

Aujourd’hui Penang compte 8 écoles internationales : Dalat (collège et lycée chrétien américain), Prince of Wales Island International School, Uplands et Strait International School (collèges et lycées au curriculum anglais), Fairview et Tenby (lycées au curriculum anglais comprenant des éléments du curriculum malaisien), Saint Christopher (école primaire au curriculum anglais), Seri Pelita (école primaire, collège et lycée au curriculum anglais). Héritages de l’époque coloniale et du besoin de proposer une éducation élitiste, ces écoles restent l’apanage d’un système éducatif à deux vitesses et avec deux langues d’enseignement bien distinctes.