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Chapitre 1 – Contexte de l’étude

3. Langues et communication

Au vu de ces précisions sur la situation ethnique et géographique de la Malaisie, nous aimerions apporter quelques précisions sur des notions de base sur la communication dans des situations où plusieurs langues se retrouvent en contact. Tout d’abord, la notion de Lingua Franca ou de langue véhiculaire, la notion de lien entre la langue et l’identité et enfin la spécificité de la Malaisie, puis sur le rapport langue et identité et enfin sur ce rapport langue et identité en Malaisie.

a) La notion de lingua franca

La lingua franca décrit, dans cette sous-partie, une langue véhiculaire de masse, utilisée entre plusieurs communautés dont la langue maternelle diffère pour communiquer. Dans le cas de la Malaisie, plusieurs langues font office de lingua franca : l’anglais, mais aussi le malais, le tamil et le mandarin dans la mesure où ces langues peuvent permettre à certaines communautés de communiquer. Parfois même des dialectes peuvent servir de langues de communication au sein de certaines communautés linguistiques (comme le hokkien, le cantonais, etc.).

Il est difficile de parler d'enseignement des langues sans passer par la définition du statut des langues en contexte, celles qui sont utilisées, apprises et parlées au quotidien par les apprenants. Dans cette étude, l'anglais est la langue maternelle de plusieurs apprenants et le médium d'enseignement principal. En effet, l'anglais est une des langues utilisées en Malaisie pour la communication interethnique et est parlé par une grande partie de la population (Kirkpatrick, 2007, p. 122). En plus d’être un anglais localisé, anglais malaisien, l'anglais possède, en Malaisie, la place d’une langue de communication.

« In colonial times there was no strong need to impose a metropolitan spoken standard and many local varieties of English emerged – the so-called ‘new Englishes’ – from contact with local languages. Many new Englishes have since flourished, and have developed literatures and even grammar books and dictionaries », (Graddol, 2006, p. 84)24. L'anglais en tant que langue véhiculaire en Malaisie est ainsi nourri d’influences extérieures, dans le sens où selon

24 « Pendant l’époque coloniale, le besoin d’imposer un anglais standard métropolitain n’était pas de rigueur et

plusieurs variétés locales d’anglais ont émergés – ce que l’on a appelé « new Englishes » résultant du contact avec les autres langues. Depuis bon nombre de variétés d’anglais se sont développés et avec eux la littérature et même des grammaires ont vu le jour ». Notre traduction.

35 la région géographique l’influence des langues vernaculaires est plus ou moins marquée. Graddol (2006) évoque plusieurs de ces world Englishes : « Asian English », « Indian

English », « European English », etc.

Ces world Englishes sont nourris majoritairement de l'influence des anciennes colonies qui les ont développés, utilisés, pidginisés pour en faire une véritable langue véhiculaire dans les diverses communautés linguistiques. Ces world Englishes compréhensibles et accessibles par tous présentant cependant les singularités de la région géographique d’où ils sont issus. L’anglais en tant que lingua franca présente ainsi une ambivalence micro et macro- linguistique : à la fois, l’anglais est compréhensible et accessible par tous, mais peut présenter des caractéristiques socioculturelles spécifiques de certaines communautés et afficher les spécificités des langues vernaculaires sur plusieurs niveaux linguistiques. Les

world Englishes représentent donc des langues qui traduisent l’appartenance culturelle et

sociale d’une communauté, mais également sont des langues destinées à tous. Leur hégémonie dans le domaine de la communication et de la propagation d'une culture hybride n'est plus à remettre en question. Cependant, sa place dans une société plurilingue se pose et sa position face aux autres langues secondes enseignées dans le pays (Nederveen Pieterse, 2004).

« Elitism is a weak point in the profile of every global language. Every lingua

franca is a partial language – in the sense that not everyone knows it: it is a skill that needs to be acquired consciously by those who do not grow up with it, and that education often comes at high price. Global languages divide the societies that make use of them. Inevitably some end up mastering them and others do not – and this often makes a decisive difference to life chances. A sense of injustice can easily be associated with language, and the resistance this generates can easily lead to linguistic collapse. »25

25 « Un des points faibles des langues globales réside dans leur dimension élitiste. Chaque lingua franca demeure

une langue partielle, dans la mesure où elle n’est pas maîtrisée par tous : cette compétence s’acquiert de façon consciente par ceux qui ne grandissent pas avec et l’éducation entraîne souvent de grands sacrifices. Les langues globales divisent les sociétés qui les utilisent. De façon inéluctable, certains réussissent à la maîtriser tandis que d’autres non, entraînant d’irrémédiables conséquences sur les opportunités de chacun. La notion d’injustice peut facilement être associée avec la notion de langue, et le rejet qui peut en découler peut facilement en entraîner l’effondrement linguistique. ». Notre traduction, Ostler (2010, Préface).

36 Nicholas Ostler rappelle dans cet extrait la position ambivalente des langues globales, la plus puissante, actuellement pouvant être considérée comme étant l’anglais, et la position fragile de ces langues, puisque leur hégémonie est perpétuellement vouée à être remise en question et remplacée par une langue plus forte. Cette position dominante devient particulièrement fragile quand une partie de la population ne maîtrise pas cette langue et n’y a pas accès, l’inégalité créant un manque dans la capacité de communiquer avec tous. La pidginisation de la lingua franca est alors une des réponses linguistiques à ce déséquilibre entre les locuteurs. La situation des langues en présence en Malaisie reflète au plan national (l’opposition entre malais et anglais) et au plan international (tension entre le malais, l’anglais malaisien, l’anglais normé, le mandarin) des disparités et une course à la suprématie linguistique. Chaque langue en Malaisie recherche une place et tente de coexister dans un ensemble en affichant une utilité. Le gouvernement a, depuis l’indépendance ajouté, la présence du malais en tant que langue officielle et tente d’en faire une langue de communication interethnique, mais aussi une langue symbole de l’unité nationale.

En parallèle, l'anglais parlé en Malaisie est un exemple frappant d’une lingua franca où l'influence des langues vernaculaires avec lesquelles il coexiste est bien présente sur plusieurs niveaux linguistiques (sémantique, syntaxique, morphologique, phonétique, etc). Cet anglais est un amalgame de plusieurs types d'anglais, pidgins, différent lecte d’un continuum langagier qui se développe rapidement au sein de diverses communautés linguistiques. Grâce à la capacité linguistique des locuteurs de la région, habitués à utiliser plusieurs langues26, et à la flexibilité de certaines langues à assimiler et acquérir des formes linguistiques provenant d'autres langues27, l’anglais malaisien incorpore régulièrement de nouveaux éléments. L'anglais en tant que lingua franca est donc un objet linguistique en perpétuelle mutation soumis dans son emploi quotidien à une pression translinguistique très forte de la part des locuteurs qui le parlent, puisqu'il n'est pas obligatoirement leur langue maternelle. Cette pression linguistique agit sur plusieurs niveaux, l’accent, mais également la syntaxe, la sémantique. Nous pouvons aussi ajouter à cela les anglicisations de mots tirés des langues vernaculaires.

26 Depuis l’arrivée des chinois en Malaisie, les locuteurs de hokkien par exemple n’ont cessé d’incorporer des

expressions et morphèmes locaux dans leur discours. Ces expressions sont passées dans le langage utilisé au quotidien. (Teh et Lim, 2014, p. 245).

27 Le malais est une langue particulièrement favorable aux néologismes empruntés d’autres langues (Labrousse,

37 b) Statut de la langue, communication et identité

Ainsi, la Malaisie possède une langue officielle, qui est le malais et plusieurs langues de communication interethnique, intracommunautaire. A ces langues, s’ajoute l’anglais. Toutes ces langues jouissent de différents statuts, de différents territoires géographiques et humains28.

Le rôle de l’anglais est multiple et joue à plusieurs niveaux, car en effet, les politiques linguistiques reflètent deux dimensions que nous aimerions expliciter : « nationisme »29 et « nationalisme ». Selon Fishman (1968), les orientations linguistiques d’un pays peuvent révéler une volonté de développer l’image du pays à l’international et de créer une identité unique et nationale (le « nationalisme »). Ces choix peuvent aussi refléter le besoin de répondre à un besoin pragmatique et des orientations d’ordre pratique, par exemple standardiser le médium d’enseignement, les curricula, d’unifier la nation (le « nationisme »). La dichotomie de Fishman reflète parfaitement le besoin paradoxal du pouvoir malaisien d’unifier le pays, mais également de se donner les moyens d’exister au niveau international (Puteh, 2006).

En effet, si la ligne directive de la politique linguistique malaisienne reste de promouvoir le malais tout en tolérant les langues vernaculaires, le gouvernement affiche des choix parfois contradictoires qui tendent à répondre à l’exigence des deux orientations politico- linguistiques définies par Fishman. En 1995 et en 2002, le Premier ministre Mahatir impose à nouveau l’anglais dans certaines matières (notamment scientifiques) afin de rétablir un niveau éducatif compétitif sur le plan international (Samuel, 2006, p. 139). Le Premier ministre souhaite ainsi adresser les lacunes linguistiques que l’enseignement en malais ne peut combler par manque d’enseignants aptes à promouvoir dans cette langue les compétences scolaires fondamentales en raison de l’absence de terminologie scientifique en malais. Les déficiences linguistiques du malais font particulièrement défaut des suites d’un manque de recherches scientifiques conduites en malais avant la décolonisation et aussi en raison du manque de pratique des enseignants à utiliser cette langue comme langue d’enseignement (Puteh, 2006).

Ainsi la Malaisie cherche encore un consensus dans sa politique linguistique en adoptant

28 En effet, les dialectes chinois se situent là où les communautés qui les parlent sont les plus fortes comme

typiquement, le hokkien à Penang et le cantonais à Kuala Lumpur.

38 tour à tour des politiques linguistiques qui cherchent à promouvoir d’un côté son identité et de l’autre qui tentent de trouver des solutions à des besoins communicatifs et au système éducatif plurilingue. Les différents décrets linguistiques, parfois contradictoires, ne sont que l’expression de ces hésitations qui tiraillent le gouvernement et l’expression de la tension entre les notions de nationisme et de nationalisme.

La constitution malaisienne qui octroie au malais la place de la langue officielle, se voit également proposer des étapes dans la mise en place : dans le système judiciaire, l’anglais a été la langue officielle jusqu’en 1981 et la constitution avait prévu une période transitoire de 10 ans, au cours de laquelle l’anglais resterait la langue officielle. Une grande partie de l’élite malaise politique reste d’ailleurs formée en Angleterre (Samuel, 2010, p. 137). L’anglais hérite donc aussi en Malaisie du statut de langue de l’élite, de prestige, langue de la politique et de certaines fonctions officielles, mais surtout, il reste la langue de communication dans le monde des affaires et des hautes études (Samuel, 2010, p. 153).

c) Spécificités de l’étude

Le lieu de l’étude POWIIS représente ainsi parfaitement le besoin de certains Malaisiens de profiter pleinement d’un système éducatif étranger et de donner ainsi accès, pour les catégories aisées de la population, à une éducation anglaise, linguistiquement et culturellement, qui ouvrira aux étudiants les portes d’une éducation internationale. La cohorte d’étudiants représente ainsi une vue sur un microcosme malaisien représentant une partie de la population : la couche sociale plutôt aisée de la société malaisienne.

Notre public de jeunes apprenants est soumis à l'influence de cet anglais international et de ce milieu plurilingue malaisien, qui absorbe facilement les influences d'autres langues. Les jeunes, tout particulièrement, sont soumis à une l’influence de l’anglais à l’école, mais également en famille, puisqu’en effet, selon les questionnaires, nous pouvons voir que l’anglais est également beaucoup utilisé à la maison, même quand la langue maternelle est une autre langue30. Nous pouvons ainsi supposer que l'utilisation d'une lingua franca au quotidien, avec son taux de flexibilité linguistique engendrera une conception des langues de communication particulièrement flexible ou une conception des langues en général comme étant flexibles. Aujourd'hui, la Malaisie s’oriente, comme beaucoup d'anciennes colonies le

30 Les familles aisées incitent leurs enfants à utiliser l’anglais au maximum, parfois au détriment des langues

39 font, vers une politique nationaliste visant à promouvoir l'enseignement du malais comme langue officielle – dans une optique de nationisme – mais aussi comme lingua franca entre les différentes ethnies. Cette situation relativement nouvelle, permet d'entrevoir un frein à l'anglais comme seule langue de communication et beaucoup s’interrogent sur la viabilité de l'anglais comme langue de communication (Ostler, 2010, Préface).

Dans le contexte de l’école, l’anglais constitue une lingua franca ou langue de communication au sein de l’école. L’anglais qui y est enseigné est un anglais standard, de préférence britannique étant donné que l’école est une école britannique. Toutefois, le plurilinguisme des étudiants fait que l’anglais n’est pas leur langue maternelle – pas pour tous en-tout-cas – et que l’influence de l’anglais malaisien reste présente.