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Considérations sur les notions de temps et d’aspect

Chapitre 4 – Les langues de l’étude : temps, aspect et passé en malais, mandarin,

2. Considérations sur les notions de temps et d’aspect

Dans cette étude, nous avons décidé de présenter les notions de temps et d’aspect, en rapport avec l’analyse des données. Le mode n’a pas été pris en considération puisque les temps de l’étude concernent tous le même mode : l’indicatif, le mode de la réalité. Nous allons donc commencer par donner quelques définitions qui se voudront transverses pour les langues de l’étude et qui permettront de définir le cadre à l’étude, en commençant par la définition du temps, chronologique puis grammatical. Ensuite, nous introduirons la notion d’aspect ainsi que les différentes valeurs aspectuelles.

a) L’expression du temps

Afin de définir le temps linguistique, Guillaume (Guillaume, 2007, p. 155) le présente comme étant « essentiellement construit. Il a une architecture ». L’encodage du temps chronologique dans la langue peut se faire de différentes façons mais il est intéressant de noter des mots tels que « construit » et « architecture » dans la définition de Guillaume qui suggèrent une interdépendance des éléments du système. Pour les langues indo- européennes, dont l’anglais et le français, le temps est marqué grammaticalement à travers les formes verbales. Pour d’autres langues, le malais et le mandarin par exemple, d’autres marqueurs sont prépondérants pour le marquage temporel et le rôle du verbe est minimisé au profit d’autres éléments exprimant la notion de temps. Ces autres éléments peuvent être des adverbes, des adjectifs, des prépositions des conjonctions, des noms (Wilmet, 2003, p. 166) mais également des affixes, particules et compléments du verbe. Reichenbach propose en 1947 (Reichenbach, 1947, pp. 2087, 2088), une interprétation du temps linguistique en fonction de trois repères temporels qui font nécessairement partie intégrante du discours :

- Le temps du discours, qui est le temps d’énonciation de l’événement, le moment où le discours est prononcé.

144 - Le point de référence, qui est le point de référence par rapport auquel l’événement

se produit.

Pour Reichenbach (Reichenbach, 1947), les positions des repères sur la ligne temporelle correspondent à un nombre défini de configurations temporelles et aspectuelles. Chaque langue grammaticalise ou non ces configurations ou regroupe sous une même forme diverses configurations. Parfois, les repères se situent au même endroit sur l’axe temporel et sont ainsi confondus (comme dans l’exemple 4.2, où le temps de l’événement et le temps de référence sont concomitants) :

(4.1) 153 I had seen John J’avais vu John

Temps de l’événement Temps de référence Temps du discours

(4.2)154 I saw John J’ai vu John

Temps de l’événement Temps de référence

Temps du discours

Dans l’exemple (4.1), les temps de l’événement, de référence et du discours se succèdent sur la ligne temporelle. Dans l’exemple (4.2), le temps de l’événement et le temps de référence se situent au même moment que le temps du discours, ce qui correspond à la notion de passé. Dans cette nomenclature les notions de passé, de présent et de futur restent ainsi subjectives car dépendantes de la notion de temps du discours.

La définition du temps de Comrie (1976, p. I) indique également une interdépendance des différents points de référence :

« Tense relates the time of the situation referred to some other

153 Reichenbach, 1947, p. 288. 154 Reichenbach, 1947, p. 288.

145 time, usually the moment of speaking. »155 (Comrie, 1976, p. I)

Juste avant de déterminer l’aspect dans son ouvrage « Aspect » (1976, p. I)156, Comrie prend le parti de définir le temps linguistique et marquant ainsi l’interdépendance des notions de temps et d’aspect. Selon la citation supra, le temps verbal est la grammaticalisation du Temps chronologique (exprimant de la simultanéité, une succession d’événement, etc.). Pour Comrie, l’événement est placé sur la ligne temporelle, par rapport au temps de l’énonciation, le point de référence étant laissé de côté.

Comrie (1985, p.78) transforme également la théorie de Reichenbach en ajoutant pour certains temps plusieurs points de référence qui sont nécessaires à leur analyse (notamment le conditionnel). Le système de Reichenbach est ainsi simplifié pour les temps absolus (passé, présent et futur) ne nécessitant que deux marquages (Declerck, 1986, p. 308) : temps d’énonciation et temps de l’événement. Pour le passé, l’événement se situe avant le point d’énonciation, pour le présent les deux sont confondus et enfin, pour le futur l’événement se situe après l’énonciation. Pour Comrie, la véritable différence entre les temps linguistiques représentant chaque époque temporelle (passé, présent, futur) réside dans l’expression de la valeur aspectuelle (Comrie, 1985, p. 78) : « however perfect differs from past, it is not in terms of time location »157 et dans le positionnement du point de référence.

D’autre part, l’expression du Temps se formule également de façon non-grammaticale, mais lexicale. Le temps peut être porté dans une même occurrence par différents éléments qui la composent (Wilmet, 2003, p. 166) :

- Le verbe (temps grammatical) - Des adverbes (hier, demain) - Des prépositions (après, avant)

155 « le Temps reflète le temps de la situation par rapport à un autre temps, souvent le temps de l’énonciation ».

Notre traduction.

156 Nous définirons par la suite l’aspect, notamment de la manière dont le fait Comrie, en l’opposant au temps :

« tense is a deictic category, i.e. locates situations in time, usually with reference to the present moment, though also with reference to other situations. Aspect is not concerned with relating the time of the situation to any other time-point, but rather with the internal temporal constituency of the one situation » (Comrie, 1985, p. 5), (« Le temps est une catégorie déictique, c’est à dire qu’il situe les situations dans le temps, en général en référence au moment présent, mais aussi en référence à d’autres situations. L’aspect n’est pas prône à relier le temps de la situation avec d’autres repères temporels, mais plutôt avec la constitution interne et temporelle de la situation. ». Notre traduction.

157 « bien que le parfait diffère du prétérit, cette distinction ne réside pas dans sa situation dans le temps ». Notre

146 - Des conjonctions de subordination et locutions conjonctives (quand, lorsque) - Des adjectifs (antédiluvien, automnal, dernier)

- Des noms (samedi, l’année 1982)

Ces éléments, compatibles les uns avec les autres, peuvent se coordonner avec le temps grammatical pour préciser la position de l’événement sur la ligne chronologique. Il ne s’agit pas de donner dans cette liste une exhaustivité, mais de présenter plusieurs catégories existantes et de laisser ouverte la possibilité à d’autres langues de présenter d’autres catégories. Certaines langues, qui n’expriment pas le temps à travers leurs formes verbales, peuvent utiliser d’autres biais pour exprimer le temps chronologique158.

b) L’expression de l’aspect

Il s’agit de définir dans cette partie la notion d’aspect, tout d’abord en la contrastant à la notion de temps puis en présentant différentes catégories aspectuelles.

1. Définition

L’aspect a commencé à être étudié au 19e siècle dans les langues slaves et le concept a par la suite été étendu aux langues européennes (Comrie, 1976, p. 7). Avant d’aborder une définition de la notion d’aspect, nous voudrions rappeler la définition proposée par Guillaume (2007) qui oppose la notion de temps expliqué et de temps impliqué à laquelle nous allons substituer la terminologie de « temps externe » et « temps interne » :

« l’aspect se rapporte au temps que le verbe intériorise, qui fait partie de sa substance ; et le temps, au temps que le verbe extériorise, dans lequel le verbe, y compris le temps par lui intériorisé prend position, là où ce temps extérieur au verbe a fait l’objet dans l’esprit et dans la langue d’un suffisant état de définition. » (Guillaume, 2007, p.21)

La définition de Guillaume restreint l’aspect à sa dimension lexicale (temps intériorisé) qui se

158 Notamment le malais et le mandarin qui expriment le temps et l’aspect grâce à des adverbes et à des