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Mécanismes possibles pour la dissipation

La théorie élastohydrodynamique de Davis se focalise sur la région du liquide com- prise entre les deux surfaces qui s’approchent. Le fait que cette approximation rende bien compte des observations en eau profonde prouve qu’aucun effet de volume n’a

6.5. MÉCANISMES POSSIBLES POUR LA DISSIPATION 145 été omis. La différence entre les deux types d’expériences tient donc à la présence d’une interface. Nous allons ici examiner plusieurs phénomènes susceptibles de se produire à l’interface entre le liquide et l’air, et leur influence sur la dissipation d’énergie au cours de l’impact.

6.5.1 Émission d’ondes

Au cours des expériences présentées sur la figure 6.1, qui sont réalisées sur un film peu visqueux et épais, on observe que des ondes sont émises lors de l’impact et se propagent radialement à la surface du liquide. La longueur d’onde de ces ondes est de l’ordre de l’épaisseur δ du film, donc k ∼ 1/δ.

La relation de dispersion des ondes à l’interface liquide/air s’écrit : ω2 = gk (1 + (k

kc

)2) (6.9)

où le nombre d’onde kc =

!

ρg

γ = κ définit le changement de régime entre ondes

capillaires (k > kc) et ondes de gravité (k < kc).

Comme δ est du même ordre, ou plus faible, que la longueur capillaire κ−1, les ondes

émises lors de l’impact sont plutôt des ondes capillaires. La relation de dispersion devient dans ce cas :

ω2 ≃ g k

3

k2 c

(6.10) On en déduit la vitesse à laquelle les ondes se propagent :

vφ = ' ω2 k2 = ' γ ρδ (6.11)

La dissipation d’énergie est due à la viscosité du liquide, qui atténue les ondes au cours de leur propagation, à un taux caractéristique de : 1/τ = ηk2/ρ.

Ce taux de dissipation dépend de la viscosité du fluide. On peut alors évaluer la viscosité à partir de laquelle les ondes sont atténuées avant même d’avoir pu se propager. Il nous faut pour cela comparer la distance parcourue pendant le temps caractéristique d’atténuation vφτ à la longueur d’onde δ. Les ondes seront "invi-

sibles" si δ > vφτ , c’est-à-dire si :

146 CHAPITRE 6. PROPRIÉTÉS ANTI-REBOND D’UN FILM MOUILLANT

Fig. 6.8 – Chronophotographie d’une bille d’acier de 6 mm de diamètre rebondissant sur un

film d’huile silicone (η = 12 500 mPa·s, δ = 440 µm). Le changement de signe de la vitesse a lieu entre la 2° et la 3° image. On s’intéresse à la position du front liquide sur la bille. Intervalle entre deux images consécutives : 150 µs.

Pour un film d’huile silicone de 400 µm d’épaisseur, on trouve η∗ ≃ 100 mPa·s.

Dans presque toutes nos expériences, la viscosité est au moins égale à cette valeur critique ; pourtant les lois mesurées pour la hauteur de capture diffèrent du cas immergé. On ne peut donc pas expliquer cette différence par la dissipation d’énergie par les vagues.

6.5.2 Dissipation aux lignes de contact

La présence d’une interface liquide-air dans notre système implique celle de lignes triples : la bille, initialement sèche, rentre en contact avec le liquide. Un front liquide se propage alors à sa surface, au sein duquel les trois phases liquide, solide et air sont en contact. Lors de l’enfoncement de la bille dans le liquide, et probablement aussi lors de sa sortie du film, ce front se déplace.

La géométrie de la ligne de contact est définie par un paramètre : l’angle de contact θ. A l’équilibre, cet angle est fixé par l’équilibre entre les forces exercées sur la ligne par les trois interfaces [106]. Lorsque la ligne avance, l’angle de contact est modifié [107]. Bien que le mécanisme n’en soit pas parfaitement compris, on sait qu’une forte dissipation d’énergie est associée au mouvement de la ligne triple et que la quantité d’énergie dissipée est liée aux propriétés de mouillage de la surface par les deux fluides en présence [80].

Pour mettre en évidence d’éventuels effets de la ligne de contact, nous nous proposons de comparer l’impact sur un film d’eau de deux billes de verre. L’une de ces billes est simplement nettoyée à la soude, elle est donc hydrophile (θ ≃ 0). L’autre est passée quelques secondes à la flamme d’une bougie. Il se forme alors à sa surface un dépôt rugueux de suie hydrophobe : elle devient superhydrophobe (θ ≃ 180°). Du point de vue de la théorie élastohydrodynamique, ces sphères sont équivalentes car elles ont la même taille, la même densité et les mêmes propriétés élastiques, elles ne diffèrent que par le traitement de surface.

6.5. MÉCANISMES POSSIBLES POUR LA DISSIPATION 147

Fig. 6.9 – Photographies de deux billes de verre de 9 mm posées sur une couche d’eau de 2,7

mm d’épaisseur. (a) La bille est hydrophile. (b) La bille a été rendue superhydrophobe par un dépôt de suie.

La figure 6.9 montre la façon dont les propriétés de mouillage d’une bille affectent la forme du ménisque qui entoure cette dernière, lorsque celle-ci est posée sur un film d’eau. La bille mouillante est recouverte d’un film liquide, qui a été aspiré du substrat par capillarité. La bille non-mouillante est quant à elle au centre d’un "cratère" : le film s’incurve pour minimiser l’aire du contact entre la bille et l’eau. Dans les deux cas, du fluide a été déplacé par rapport à la situation initiale : vers le haut dans le cas de la bille mouillante, radialement et loin du site d’impact pour la bille non-mouillante.

Les détails du processus de rebond sont montrés sous forme de séries de photogra- phies sur la figure 6.10. Deux billes de verre, l’une hydrophile et l’autre hydrophobe, sont lancées à la même vitesse sur un film de glycérol de 900 µm d’épaisseur. On remarque sur les premières images que la forme du pont liquide qui relie la bille au film pendant le rebond change avec la mouillabilité de la bille. Dans le cas d’un impact hydrophile, c’est un véritable filament qui se forme et persiste bien après que la bas de la bille a dépassé la surface libre du film. Ce filament finit par se pincer lorsqu’il devient trop mince, généralement peu avant que la bille atteigne sa hauteur de rebond maximale. En revanche, la bille hydrophobe n’est jamais visiblement re- liée au film par un pont liquide. Après l’impact, un film de suie flotte à la surface du film, ce qui indique qu’il y a bien eu un contact entre le liquide et la bille, mais ce contact est très bref.

Malgré une morphologie très différente au cours du rebond, les billes hydrophile et hydrophobe semblent rebondir à des hauteurs comparables. Pourtant, dans un cas la bille a été recouverte de liquide alors que dans l’autre il ne semble pas qu’une ligne de contact ait pu s’établir, et encore moins avancer. Il semble donc que le rôle de la friction aux lignes de contact dans la dissipation soit mineur.

148 CHAPITRE 6. PROPRIÉTÉS ANTI-REBOND D’UN FILM MOUILLANT

(a)

(b)

Fig. 6.10 – Chronophotographie de deux billes de verre de 9 mm de diamètre lancées sur un

film de glycérol de 900 µm d’épaisseur à 2,6 m/s. (a) Bille hydrophile (b) Bille recouverte de suie. Intervalle entre deux images consécutives : 8 ms.

La friction dans les lignes de contact permet d’expliquer la différence entre les nombres de Weber critiques pour la traversée d’un film de savon par une goutte ou par une bille (chapitre 5, paragraphe 5.2.3). La différence d’énergie mise en jeu est alors, pour une bille et une goutte de même densité et de rayon 1 mm :

∆Eligne = 1 2m(V 2 c bille− Vc goutte2 ) = 2π 3 γR 2(W e c bille− W ec goutte) (6.13)

On trouve ∆Eligne ≃ 0,3 µJ. Or l’énergie dissipée lors de la capture d’un projectile

par un film visqueux est de l’ordre de : ∆Ef ilm =

1 2mV

∗ 2 (6.14)

Pour une bille d’acier de 0,8 mm de rayon sur un film d’huile de viscosité 1000 mPa·s et d’épaisseur δ = 400 µm, on a ∆Ef ilm≃ 70 µJ, soit plus de 200 fois ∆Eligne, alors

que la taille des billes sur lesquelles les lignes de contact se déplacent est la même. Les mécanismes de dissipation en jeu dans l’anti-rebond sur une surface mouillée sont donc d’une amplitude bien supérieure à celle de la dissipation aux lignes de contact.