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Entraînement discontinu

B.2 Entraînement de mousse par une fibre

B.2.2 Entraînement discontinu

Seuil d’entraînement par paquets

La figure B.3 montre les dépôts obtenus sur une même fibre lorsqu’on augmente la vitesse de tirage :

– A basse vitesse, la fibre n’entraîne pas de mousse.

– Au-delà d’un premier seuil V′, de l’ordre du centimètre par seconde, des pa-

quets de mousse s’accrochent mais ne suffisent pas à former une gaine uniforme autour de la fibre.

– Lorsqu’on continue d’augmenter la vitesse, on arrive à une vitesse V′′ à partir

de laquelle la fibre entraîne une gaine continue de mousse d’épaisseur mesu- rable : la fibre est à proprement parler enduite de mousse.

La figure B.4 représente la variation de V′ avec le rayon b de la fibre. Pour les

fibres d’un diamètre supérieur à 100 µm, on observe une décroissance de la vitesse seuil en fonction du rayon. Les fibres les plus grosses sont donc les plus susceptibles d’entraîner du liquide.

168 ANNEXE B. ENDUCTION D’UNE FIBRE AVEC DE LA MOUSSE

Fig.B.4 – Variation de la vitesse seuil d’entraînement discontinu Vavec le diamètre de la fibre,

pour des fibres de Nylon (•) ou de nickel (").

Taille et longueur d’ondes des paquets

Les paquets observés dans la fenêtre de vitesses comprise entre V′ et V′′ semblent

avoir toujours une taille de l’ordre de 100 µm, ce qui correspond à quelques tailles de bulles, comme on le voit bien sur la première image de la série B.5. Ces photographies montrent que la dimension caractéristique de ces agrégats de bulles ne semble varier ni avec la vitesse de tirage V , ni avec le rayon b de la fibre.

En revanche la longueur d’onde à laquelle ils sont émis change en fonction de la vi- tesse de tirage : plus celle-ci est importante, plus les paquets sont rapprochés, comme on l’observe qualitativement sur les photographies de la figure B.3 et quantitative- ment sur le graphe de la figure B.6. On remarque de plus sur cette dernière courbe que les données obtenues avec deux fibres de rayons différents semblent se superpo- ser : ainsi, cette longueur d’onde dépendrait seulement de la vitesse de tirage, mais pas du rayon de la fibre.

Origine de la discontinuité

Ce régime de dépôt discontinu n’est pas dénué d’intérêt, notamment grâce à la pos- sibilité de contrôler la longueur d’onde d’émission des paquets par le biais de la vitesse de tirage. Lorsqu’on approche du seuil d’entraînement continu, la distance entre deux grappes de bulles devient de l’ordre de la taille des paquets et du diamètre de la fibre. Si le liquide moussant contient une espèce chimique capable de s’adsorber sur le solide ou de le faire réagir, on peut texturer la fibre à l’échelle de la dizaine de micromètres, ce qui serait difficile avec une technique classique de lithographie,

B.2. ENTRAÎNEMENT DE MOUSSE PAR UNE FIBRE 169

Fig.B.5 – Photographie des paquets émis lors de l’enduction d’une fibre de Nylon. De gauche

à droite : (V = 40 mm/s, b = 40 µm), (V = 200 mm/s, b = 40 µm), (V = 100 mm/s, b = 75 µm).

Fig. B.6 – Longueur d’onde d’émission des paquets, en fonction de la vitesse de tirage, pour

170 ANNEXE B. ENDUCTION D’UNE FIBRE AVEC DE LA MOUSSE utilisée généralement pour texturer des surfaces planes. L’entraînement par paquets pourrait donc s’inscrire dans le contexte de l’utilisation de liquides en microfabri- cation, qui permet d’élaborer des structures en trois dimensions [110]. Cependant, dans la plupart des procédés d’enduction, on souhaite recouvrir un solide d’un film liquide d’épaisseur uniforme. On cherche donc à savoir dans quelles conditions on peut obtenir un revêtement discontinu.

On pourrait imaginer que les gouttes régulièrement espacées que l’on observe ré- sultent de la fragmentation d’un manchon liquide. En effet, une gaine liquide sur une fibre se déstabilise le plus souvent en gouttelettes, sous l’effet d’une instabilité de type Plateau-Rayleigh [111]. La fibre se retrouve alors garnie d’une chaîne de gouttelettes, de longueur d’onde :

λ ∼ 2π√2b)1 + e b

*2

(B.2) Or la longueur d’onde des colliers de bulles produits dans notre expérience semble indépendante du rayon de la fibre. Un scénario à la Plateau semble bien improbable, compte tenu de l’absence de tension de surface pour la mousse. D’ailleurs, l’observa- tion à la caméra rapide de la fibre à la sortie de l’échantillon de mousse montre que les paquets se forment dès la sortie du tube. La fibre n’est jamais recouverte d’un film qui se déstabiliserait ensuite, il faut donc trouver un mécanisme qui explique la formation des paquets dès la sortie du tube.

Lors de l’enduction d’une fibre par de l’eau pure, il arrive qu’on observe l’émission de gouttes [112]. Ce phénomène a été remarqué par de Ryck et se produit aux grandes vitesses de tirage, lorsque la force due à l’entraînement inertiel par la fibre excède la force capillaire. Le ménisque devient alors instable et libère une goutte. Dans notre cas, c’est aux petites vitesses de tirage qu’on observe l’émission de paquets, on ne peut donc l’expliquer par un argument inertiel.

Sachant que la mousse est un fluide complexe, on se demande si l’entraînement par paquets est lié aux caractéristiques non-newtoniennes de la mousse. Les expé- riences réalisées par de Ryck pour une solution de POE (polymère soluble dans l’eau) montrent qu’à vitesse de tirage donnée, l’épaisseur déposée croît avec la concentra- tion en polymères [113]. Ce phénomène est interprété comme un signature de la présence de contraintes normales dans la solution polymère : lorsque celle-ci est ci- saillée par le tirage de la fibre, elle gonfle dans la direction normale, ce qui crée un film plus épais. La viscoélasticité a donc une influence sur l’épaisseur entraînée, mais cette épaisseur reste constante.

B.2. ENTRAÎNEMENT DE MOUSSE PAR UNE FIBRE 171 la mousse. D’autres expériences effectuées par de Ryck portent sur des émulsions [112] : on enduit une fibre avec une émulsion et on s’intéresse au régime de basses vitesses, dans lequel on attend une épaisseur plus faible que la taille des gouttes d’huile. On se demande alors quelle est l’épaisseur et la composition du film entraîné. L’huile est toujours entraînée, même à très basse vitesse, dans le cas où des forces de van der Waals attractives existent entre la fibre et la phase organique. On s’attend en revanche à n’entraîner que de l’eau dans le cas où ces interactions sont répulsives. Il semble donc que l’hétérogénéité de la mousse ne soit pas non plus la source des discontinuités observées.

On peut aussi se demander si l’entraînement par paquets est la conséquence d’une autre propriété rhéologique de la mousse : le seuil d’écoulement. Les simulations effectuées par Hurez et Tanguy pour un fluide de Bingham ne semblent pas indi- quer de discontinuité dans l’enduction des fibres [114], mais les seuils d’écoulements utilisés dans leurs calculs sont faibles (de l’ordre de 5 Pa). Nous avons répété notre expérience avec deux autres fluides à seuil : du gel coiffant (σY ≃ 60 Pa) et du den-

tifrice (σY ≃ 200 Pa). Aucun de ces deux liquides n’a permis d’obtenir des paquets.

Il semble donc que l’existence d’un seuil d’écoulement ne soit pas la source de ce phénomène.

Enfin, on pourrait également interpréter l’entraînement par parquets comme une manifestation de la nature solide de la mousse. En soufflant un jet d’air sur une mousse bidimensionnelle, Hilgenfeldt et al. ont montré que celle-ci peut se fracturer comme un solide [115]. On pourrait donc imaginer que, dans notre expérience, la fibre casse l’échantillon de mousse, y créant un tunnel dans lequel le reste du fil peut avancer sans toucher le fluide. Puis, en raison de l’élasticité de la mousse, ce tunnel pourrait se refermer, déposant alors un peu de liquide sur la fibre.

Finalement, c’est peut-être la combinaison entre plusieurs de ces effets qui est à l’origine des discontinuités du revêtement. Par exemple, une compétition entre élas- ticité et inertie en présence d’un seuil d’écoulement peut mener à un phénomène de type stick-slip, dont on sait qu’il existe dans les mousses à l’échelle des bulles qui se réarrangent [116], et qui peut produire des structures périodiques [117].