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Mécanisme de cicatrisation

4.4 Traversée d’un film par un projectile

4.4.2 Mécanisme de cicatrisation

Si, dans le cas de la traversée du film par une goutte, on peut penser que la phase liquide est toujours continue, il est surprenant que le film parvienne à cicatriser après le passage d’une bille solide. On s’attend en effet à ce qu’un trou de la taille du projectile (quelques millimètres) entraîne la rupture du film. Comment expliquer sa survie lors de la traversée ?

Mécanisme de tension de ligne

Un film de savon est un système membranaire, comme une membrane biologique ou une bicouche lipidique. Toutes ces membranes ont une structure en bicouche, dans

104 CHAPITRE 4. FILMS ET BULLES DE SAVON laquelle une phase hydrophile et une phase hydrophobe sont isolées par une pellicule de molécules amphiphiles. Elles forment des objets de géométrie plane ou courbée selon un rayon beaucoup plus grand que l’épaisseur de la bicouche (vésicules, bulles). Les membranes biologiques, sans cesse traversées par de nombreux composants, sont elles aussi capables de se réparer.

Si l’on perce dans une bicouche d’épaisseur e et de rayon R un trou de rayon r (e << r << R), on crée sur le contour de ce trou un bord, sur lequel l’arrangement des molécules amphiphiles est perturbé par rapport à la structure en bicouche [74]. Sur ce bord, la courbure s’écrit 1/e au lieu de 0, ce qui crée un surcroît d’énergie de courbure : Ec = 1 2K # dS e2 = π Kr e (4.16)

où la constante K, qui a la dimension d’une énergie, est de l’ordre de 100 kBT . En

contrepartie, le film gagne une énergie de surface

Es= 2πr2γ (4.17)

Le trou se referme donc si les effets de courbure sont trop défavorables, soit pour un rayon inférieur à

rc =

K

4γe (4.18)

Pour une vésicule, e est de l’ordre du nanomètre, K ≃ 100kT et γ vaut environ 10−3

mN/m. rc peut alors atteindre 100 µm, mais pour un film de savon, plus épais (1 à

10 µm) car il contient de l’eau, et avec une tension de surface plus grande (environ 30 mN/m), rc est plutôt de l’ordre d’une longueur moléculaire ! Le mécanime de

traversée d’un film de savon par une bille ne peut donc s’expliquer par le fait qu’un trou se referme sous l’effet de sa tension de ligne.

Si l’on fait un simple bilan d’énergie de surface, on peut trouver une autre borne pour le rayon critique du trou. On suppose que le trou est de rayon r. Dans une configuration sans trou, l’interface film/air a la forme de deux disques parallèles de rayon r. L’énergie de la configuration plane est donc

Ep = 2πr2γ (4.19)

Si on remplace dans cette zone le film par un trou de rayon r, l’interface est alors courbée, et l’énergie de la configuration avec trou s’écrit

Et= πrπeγ (4.20)

4.4. TRAVERSÉE D’UN FILM PAR UN PROJECTILE 105

r < rc = πe/2 (4.21)

Cette fois le rayon critique est de l’ordre de l’épaisseur du film,soit quelques microns, mais il reste beaucoup plus petit que la taille du projectile.

Nous envisageons alors deux autres mécanismes de cicatrisation. Mécanisme de type endocytose

Dans ce scénario (figure 4.15.A), le film de savon se comporte comme une membrane cellulaire lors de l’endocytose d’un composant extérieur. Même si la membrane plas- mique peut supporter d’être ouverte sur une grande échelle, l’endocytose est en pratique un processus local, qui implique la formation d’une vésicule de transport à partir de la membrane cellulaire. Dans ce scénario, la surface du film croît locale- ment, formant une "vésicule" savonneuse qui emprisonne la bille - ainsi qu’un peu d’air. Cette vésicule reste attachée au film par un tube qui s’allonge et s’amincit. Or un tube de liquide n’est pas stable. Il suffit pour s’en convaincre d’effectuer l’ex- périence décrite par Boys dans [75] : on utilise deux anneaux sur lesquels on crée deux films de savon. On approche les anneaux l’un de l’autre en les maintenant parallèles : une caténoïde (forme tubulaire de courbure nulle) se forme entre eux. Si l’on étire cette caténoïde au-delà d’une longueur critique, elle se brise. Ainsi, dans notre modèle, quand le tube reliant le film à la bille atteint une longueur critique, il se déstabilise : le film et la "vésicule" se séparent.

Progression d’une ligne triple

Dans ce mécanisme (figure 4.15.B), on considère que la bille est en contact direct avec le liquide. Dans ce cas il existe une ligne triple circulaire qui entoure la bille. Initialement nulle, la longueur de cette ligne croît jusqu’à atteindre πd où d est le diamètre de la bille, puis diminue à nouveau. Lorsque ce cercle de contact a atteint un rayon suffisamment faible (de l’ordre de e), les ménisques formés de part et d’autre de la bille se rejoignent, permettant au film de se refermer.

Mécanisme réel

Pour observer le détail de la traversée, on filme l’expérience avec une grande fré- quence d’acquisition (10 000 images/s). Les images obtenues sont présentées sur la figure 4.16. On ne forme pas cette fois le film sur un anneau car il serait impossible de l’observer de face sans être gêné par le contour de cet anneau. De plus l’anneau, souvent léger, vibre parfois après l’impact. A la place, on crée un film en trempant dans la solution savonneuse un tube en verre de 3 cm de diamètre que l’on redresse

106 CHAPITRE 4. FILMS ET BULLES DE SAVON

Fig.4.15 –Mécanismes susceptibles d’expliquer la traversée du film par une bille macroscopique.

Fig. 4.16 – Déformation du film pendant sa traver-

sée par une bille de plastique de rayon 1,2 mm. L’in- tervalle entre deux images est de 0,8 ms. On voit que l’échelle caractéristique de la déformation est le rayon de la bille. On devine également la présence d’une ligne triple. Ci-contre : agrandissement de la dernière image de la série, sur laquelle on observe une portion de bulle restée attachée au sommet de la bille.

4.5. ÉCLATEMENT 107