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Décollage de la surface

6.5.3 Entraînement d’un film liquide

On peut aussi envisager que la hauteur moindre obtenue lors du rebond sur une surface mouillée soit liée au fait que la bille qui remonte n’est pas sèche mais par- tiellement recouverte de liquide. Sa masse est donc légèrement supérieure à la masse qu’elle avait avant de toucher le liquide. L’énergie potentielle de pesanteur atteinte au sommet du rebond z dépend donc de la masse ml de liquide entraîné :

(m + ml)gz = mgzsec (6.15)

Le coefficient de restitution e s’écrit alors : e =(z/h = ' m m + ml zsec h = ' m m + ml esec (6.16)

On trouve bien un coefficient de restitution plus faible sur une surface mouillée que sur une surface sèche mais ce scénario est incompatible avec plusieurs observations expérimentales :

– L’épaisseur de liquide entraînée est toujours inférieure à 200 µm. Même pour une bille légère, comme une bille de polypropylène de 5 mm de diamètre, on trouve alors un rapport ml/m ≃ 0,3 et un coefficient de restitution e de

l’ordre de 0, 9 esec, ce qui au-dessus des coefficients observés dans la plupart

des expériences.

– Lorsqu’on enduit un solide de liquide en le sortant d’un bain, l’épaisseur en- traînée croît avec la vitesse de tirage [108]. Ainsi ml devrait croître avec la

vitesse d’impact, et par conséquent e décroître avec le nombre de Stokes, ce qui n’est pas le cas.

6.6 Décollage de la surface

Dans les théories élastohydrodynamiques, on suppose que quasiment toute l’énergie est dissipée dans la phase d’approche. Nous envisageons la possibilité qu’une partie de la dissipation ait lieu au cours de la phase de redécollage de la bille.

6.6.1 Mise en évidence expérimentale

Filmons de près l’impact à la caméra rapide, de façon à pouvoir mesurer avec préci- sion la position de la bille en fonction du temps. On obtient une courbe telle que celle présentée sur la figure 6.11 (a). Si la dissipation était effectivement limitée à la phase

150 CHAPITRE 6. PROPRIÉTÉS ANTI-REBOND D’UN FILM MOUILLANT

(a) (b)

Fig. 6.11 – (a) Position du bas de la bille en fonction du temps (t=0 correspond au moment

de l’impact), pour une bille d’acier de 6 mm de diamètre et un film d’huile silicone (η = 12 500 mPa·s) de 480 µm d’épaisseur. La courbe en pointillés correspond à une trajectoire balistique avec une la vitesse de décollage mesurée expérimentalement ; la ligne horizontale représente la position du film. (b) Agrandissement de la zone située autour du point de rebond.

d’approche, la première portion du graphe devrait être très courbée, impliquant de forts ralentissements, ce qui n’est pas le cas. On observe sur la figure 6.11 (b) un changement de pente, signe d’un ralentissement de la bille, mais seulement sur les deux ou trois derniers points avant le changement de signe de la vitesse. On compare dans cette figure la courbe z(t) expérimentale avec une courbe balistique calculée en utilisant la vitesse de décollage après rebond, mesurée expérimentalement, et en tenant compte de la gravité. Les deux courbes ne se superposent pas et le décalage entre les deux, tant que la bille est dans le film, est aussi important à droite qu’à gauche du point d’impact. On remarque également que lorsque la bille est sortie du film, l’écart continue à croître de façon plus que linéaire avec le temps, comme si la bille, après sa sortie du film, continuait à être retenue dans son mouvement.

De ces deux remarques, on conclut que la moitié au moins de la dissipation se produit dans ce que nous appelons la phase de décollage. Celle-ci commence alors que la bille est encore dans le film et que sa vitesse vient juste de changer de signe (c’est-à-dire quand t > 0 sur la figure 6.11), en même temps que se forme un filament visqueux, que nous décrivons en détail dans le paragraphe qui suit.

6.6. DÉCOLLAGE DE LA SURFACE 151

Fig.6.12 – Volume de liquide compris dans le filament en fonction du temps lors du redécollage

d’une bille d’acier de 6 mm de diamètre rebondissant sur un film d’huile silicone (δ = 480 µm, η = 12 000 mPa·s).

6.6.2 Rôle du filament

On observe sur la figure 6.10 que lorsque le film mouille la bille qui rebondit, il se forme entre eux un filament. Ce filament s’étire pendant que la bille remonte et se rompt un peu avant qu’elle atteigne son apogée.

La première question que l’on peut se poser est la quantité de liquide que ce filament contient. La figure 6.12 représente la variation du volume d’un filament en fonction du temps. Pour effectuer cette mesure, on extrait des vidéos le profil du filament et on en déduit son volume en supposant qu’il est axisymétrique. On observe que la phase de remontée se fait à volume constant : une fois mis en mouvement, le filament n’entraîne pas plus de liquide en provenance du film. Ce volume vaut typiquement une fraction de mm3. On compare ce volume à une estimation du volume de liquide

déplacé sous la sphère : Ω0 = a2δ, en notant a =

Rδ le rayon de la zone mouillée. On a donc Ω0 ≃ Rδ2. Pour une bille de 6 mm de diamètre rebondissant sur un

film de 500 µm, on trouve Ω0 ≃ 0,75 mm3, ce qui est proche des 0,5 mm3 mesurés

expérimentalement (figure 6.12).

Ceci signifie que le liquide de cette région est très étiré au cours de la remontée de la bille. En réalisant la même expérience avec des polymères de différentes masses moléculaires, on pourrait augmenter progressivement la viscosité élongationnelle et quantifier la proportion des pertes énergétiques qui sont associées à cet étirement. La contrainte visqueuse s’écrit en fonction de la viscosité élongationnelle σ = ηelVz.

152 CHAPITRE 6. PROPRIÉTÉS ANTI-REBOND D’UN FILM MOUILLANT

Fig. 6.13 – Chronophotographie de l’impact d’une bille d’acier de 6 mm de diamètre sur une

film d’huile silicone (δ = 480 µm, η = 12 000 mPa·s). Intervalle entre deux images consécutives : 64,5 µs sur la première ligne, 258 µs sur la seconde. On observe que le diamètre du "filament" augmente en fonction du temps, trahissant la présence d’une bulle. Clichés Guillaume Dupeux.

∆Ef il= ηel

V zr

2z = ηelV Ω

z (6.17)

Sachant que pour un liquide newtonien la viscosité élongationnelle vaut le triple de la viscosité de cisaillement, on calcule pour la bille d’acier correspondant à l’expérience présentée sur la figure 6.12 ∆Ef il ≃ 6 µJ. Or l’énergie perdue par la bille au cours de

son rebond s’écrit ∆Etot = mg(h − z) et vaut 950 µJ. Encore une fois, le mécanisme

proposé ne permet pas d’expliquer la quantité d’énergie perdue lors du rebond. Enfin, on observe au sein du filament un autre phénomène, illustré par la figure 6.13 : il semble sur cette série d’images qu’une bulle de cavitation apparaisse au coeur du filament. L’apparition d’une telle bulle dans un film d’épaisseur x est possible dès lors que la contrainte visqueuse ηV/x est égale à la pression atmosphérique. Pour une huile de viscosité 1000 mPa·s, on trouve x ≃ 10 µm, du même ordre de grandeur que la distance sphère-plan dans nos expériences. La pression au sein de cette bulle est quasiment nulle, on pourrait donc imaginer que cette dépression retienne la bille par aspiration.