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3.2 Les années 1930 : Poitiers

3.3.1 Lyon

La faculté des sciences de Lyon est la faculté de province où le plus de doctorats sont soutenus pendant l’entre-deux-guerres et ceci de façon constante pendant toute la période125. Il n’y a pas non plus de rupture avec la période entre 1900 et 1914126. La faculté des sciences de Lyon ne semble pas avoir été un nouveau pôle de recherche mathématique créé par les mathématiciens français pendant l’entre-deux-guerres. Il n’y a pas d’augmentation brusque des nombres de doctorats soutenus, comme cela a été le cas successivement à Strasbourg et à Poitiers.

La faculté des sciences de Lyon présente des spécificités qu’il s’agit de déterminer. L’analyse des sujets des doctorats qui sont présentés à Lyon montre l’importance des mathématiques appliquées parmi les thèmes abordés, première différence d’avec Stras- bourg et Poitiers. Seuls deux mémoires appartiennent au domaine de l’analyse : celui de Rambaud en 1931127, et celui de Fayet en 1937128. Ils se rapportent à l’étude de certaines équations différentielles.

Il peut être intéressant de comparer rapidement les travaux de Rambaud, ancien élève de l’école Polytechnique129, et ceux de Marie Charpentier qui au même moment, en 1930, soutient également une thèse d’analyse sur l’étude des points de Peano d’une équation différentielle linéaire du premier ordre. Rambaud se réfère à des travaux de Briot et Bouquet ainsi qu’à des articles de Horn parus dans le journal de Crelle130 qui datent du XIXème siècle131. L’article le plus récent qu’il mentionne est un mémoire de Watanabe132 datant de 1915. Rambaud utilise en outre dans son mémoire des mé-

124. Buhl et Deltheil sont respectivement pendant l’entre-deux-guerres titulaires des chaires de calcul différentiel et intégral et mathématiques générales. Paloque est astronome, chargé de conférences en astronomie, et il remplace Cosserat à cette fonction.

125. Entre 1914 et 1930, la part des thèses soutenues à Lyon représente en effet 30% des thèses soutenues en province pendant la même période (2 sur 7) et entre 1930 et 1945, cette part est encore de 25% (8 sur 32).

126. Pendant le premier quart de siècle, 25% des thèses soutenues en province le sont à Lyon (3 sur 12).

127. Étude des points singuliers pour une équation linéaire du premier ordre.

128. Invariants de quelques équations différentielles et réduction de celles-ci à des équations à coef- ficients constants.

129. Je n’ai pu trouver d’autres renseignements que celui-ci sur Rambaud. On peut penser qu’Henri Dulac alors professeur titulaire de la chaire de Calcul différentiel et intégral de la faculté de Lyon mais également examinateur d’analyse à l’École polytechnique pourrait avoir fait venir soutenir Rambaud à Lyon.

130. Rambaud 1931, pp. 7-9.

131. Ses références sont imprécises contrairement à celles du mémoire de Marie Charpentier, aucun ouvrage mathématique précis n’est ainsi cité et aucune bibliographie n’est présente dans le mémoire.

thodes fondées sur l’étude de séries entières et il ne mentionne aucun emploi de théories mathématiques plus récentes. Marie Charpentier, au contraire, s’inspire de la théorie des ensembles telle qu’elle est travaillée par Fréchet et de la théorie des fonctions de la variable réelle de René Baire. Les références citées par les deux doctorants sont des premiers indicateurs de la différence de portée mathématique entre ces deux travaux, pourtant soutenus à la même période. En outre, la thèse de Marie Charpentier est remarquée par des mathématiciens français éminents tels Paul Montel et Émile Picard qui la recommandent ensuite pour une bourse Rockfeller. Je n’ai pu trouver aucune mention de travaux mathématiques de Rambaud dans les répertoires bibliographiques de l’époque tels que le Jahrbuch, ou encore dans l’historiographie de l’époque en ana- lyse. On peut interpréter en partie cette différence de réception de ces travaux, pourtant relatifs à un même domaine des mathématiques pures, comme un indice des places in- tellectuelles respectives occupées par les facultés de Poitiers et de Lyon. Celle de Lyon apparaît alors au second plan du milieu de la recherche en mathématiques pures.

Les huit autres thèses qui sont soutenues à la faculté de Lyon appartiennent toutes au domaine des mathématiques appliquées : deux d’entre elles sont en mécanique et les six autres traitent de sujets d’astronomie.

Les deux mémoires de mécanique portent sur deux sujets distincts. Celle de Jean Mandel133est en mécanique des fluides. Elle traite d’un sujet qui concerne la théorie de la plasticité, théorie des problèmes relatifs à l’écoulement des corps solides soumis à des forces progressivement croissantes. Ce type de sujet n’est étudié pendant toute l’entre- deux-guerres que dans un seul autre mémoire de doctorat : celui d’Édouard Callandreau soutenu à Paris en 1931134. Celle de Marie-Auguste Morel en 1919 se rapporte à un sujet de mécanique appliquée, de balistique plus précisément : Contribution à l’étude balistique des canons de gros calibre et à très longues portées. Il s’agit de l’unique thèse d’État française dont le sujet est directement influencé par la première guerre mondiale. Dans Morel 1919, p. 6, Maire-Auguste Morel mentionne ainsi que « les canons de très gros calibres qui ont été créés en France durant cette guerre affreuse sont encore sans tables de tir ». Le but de son travail est alors de « montrer les avantages et les inconvénients de ces canons géants et d’indiquer [. . . ] leur emploi judicieux. » Il décrit d’ailleurs son mémoire « si modeste que soit le travail présenté » comme « utile à l’artillerie moderne »135. Se trouve ainsi formulée dès l’introduction du mémoire une application d’une thèse de sciences mathématiques à un domaine des sciences militaires, l’artillerie. Ce cas est unique parmi tous les doctorats de l’entre-deux-guerres.

133. Sur les équilibres par tranches planes des corps solides à la limite de l’écoulement.

134. Sur l’application et l’extension des méthodes de Boussinesq à la détermination des coefficients de poussée dans les massifs pulvérulents à talus inclinés.

Mis à part la thèse de Charles Caillate, présentée en 1944136, les six doctorats d’as- tronomie ont tous été élaborés en relation avec l’Observatoire de Lyon. Ces thèses ont comme sujet commun la photométrie stellaire137. Les doctorants étudient des questions relatives à la diffusion et à l’absorption de la lumière dans l’espace. La photométrie stellaire est étudiée comme technique astronomique138. Elle est également appliquée à l’étude particulière de certains astres (leur densité ou leur spectre)139. Pendant l’entre- deux-guerres, ces thématiques ne sont reprises dans aucune autre thèse de sciences mathématiques, classées en mathématiques appliquées et en astronomie. Si on regarde les dates auxquelles sont soutenus ces doctorats d’astronomie, on remarque une concen- tration des travaux entre 1935 et 1940, quatre sur six étant soutenus ces années-là140. Notons de plus que trois de ces doctorants sont chinois : Ssu-Pin Liau, Wang Shih-Ky et Tcheng Mao-Lin. Leur venue est sans sans doute une conséquence des liens particu- liers qui existent entre la faculté des sciences de Lyon et certaines universités chinoises telle que l’université de Canton141.

On peut s’interroger sur le rôle que joue Jean Dufay, entré à l’observatoire de Lyon en 1929 et nommé directeur en 1933142, dans l’élaboration des thèses soutenues à la faculté de Lyon, dans le choix des sujets. Les doctorants expriment tous des remercie- ments, au moins formels, envers Jean Dufay. L’influence intellectuelle de ce dernier sur leurs travaux n’est cependant pas aussi manifeste que celle de Bouligand sur les thèses soutenues à Poitiers. Elle est explicite uniquement dans le travail de Wang Shih-Ky, Recherches sur la diffusion de la lumière dans la voie lactée, présenté 1936. Ce dernier se réfère à des recherches antérieures de Jean Dufay143. Le premier chapitre de sa thèse est consacré à un résumé « des résultats qu’il a obtenus en collaboration avec M. Dufay sur le rôle des étoiles faibles dans la lumière du ciel ». Enfin, un autre de ses chapitres développent des calculs « exposés très sommairement » par l’astronome144. Les autres doctorants ne mentionnent pas de publications de Jean Dufay.

On peut cependant penser que ce dernier exerce une certaine influence, au moins indirecte. En effet, dans Observatoire de Lyon 2002, p. 9, les auteurs de cette

136. Sur la figure des planètes.

137. Selon, Gallissot dans Gallissot 1922, p. 7, « la photométrie stellaire a pour objet la déter- mination du rayonnement des astres ».

138. comme dans par exemple le mémoire de Gallissot.

139. comme les étoiles variables Go et X Cygni dans la thèse de Ssu-pin Liau ou Gamma Cassiopeiae dans la thèse de Tcheng Mao-Lin.

140. Les deux autres sont soutenus en 1922 (celui de Charles Galissot) et en 1944 (celui de Charles Caillate).

141. Cf. Nye 1986, p. 163. Mary Jo Nye évoquant des archives de l’université de Lyon mentionne des accords passés entre les deux universités à la suite d’une entente entre les gouvernements français et chinois, accords notamment concrétisés par la venue en 1926 de 67 étudiants chinois à Lyon.

142. Cf. Kopal 1968.

143. sur la luminosité du ciel nocturne et sur la liaison entre la diffusion et l’absorption interstellaire, cf. Shih-Ky 1936, pp.7-8.

brochure signalent comme fait marquant de l’histoire de l’observatoire de Lyon, l’arrivée en 1929 de Jean Dufay et sa nomination comme directeur en 1933 : « associé à H. Grouiller145, il va introduire en quelques années la spectroscopie et la photométrie modernes à l’Observatoire de Lyon ». Or ces deux techniques sont développées et appliquées à l’étude de certaines questions dans les thèses soutenues dans les années 1930 à Lyon. Certains des mémoires sont fondés sur des observations. Les techniques et les appareils mis à disposition à l’observatoire de Lyon influencent alors ses travaux. L’étude des doctorats soutenus à la faculté de Lyon met en valeur le rôle de l’université de Lyon comme un lieu davantage concentré sur les recherches appliquées des sciences mathématiques, une faculté où les mathématiques pures sont au second plan de la recherche qui est développée. En outre, la majorité des thèses portent sur un sujet d’astronomie, domaine à la marge des sciences mathématiques pendant l’entre- deux-guerres. On peut alors penser que la faculté des sciences de Lyon, malgré le nombre important de doctorats qui y sont soutenus, est à la marge du milieu de la recherche mathématique.