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2.4 Résultats du premier niveau d’analyse

2.4.2 Analyse quantitative des sujets

Pour le premier niveau d’analyse quantitative des sujets, je considère les domaines des sciences mathématiques de premier niveau de mot-clé parmi lesquels l’ensemble des doctorats est classé, c’est-à-dire l’arithmétique et l’algèbre, la géométrie, l’analyse, les mathématiques appliquées (qui incluent la mécanique, la physique mathématique, ainsi que l’astronomie et la géodésie), la théorie des ensembles, le calcul des probabili- tés. Il faudrait aussi ajouter le domaine de la philosophie112 dans lequel est référencé une unique thèse, celle Jacques Herbrand, en 1930, Recherches sur la théorie de la démonstration.

En comparant les domaines abordés par les doctorats d’État avant la première guerre mondiale puis pendant l’entre-deux-guerres, on constate tout d’abord que deux nouveaux domaines apparaissent : celui de la théorie des ensembles et celui du calcul des probabilités. Ce phénomène n’est pas créé artificiellement par les changements d’indexation du Jahrbuch. En effet, j’ai indiqué dans mon étude précédente sur la période entre 1900 et 1914 en me référant aux travaux d’Hélène Gispert, Gispert 1991, que des notions de théorie des ensembles commençaient à être travaillées dans le cadre de thèses d’analyse dès le premier quart du XXèmesiècle, mais qu’aucun mémoire de doctorat n’y est entièrement consacré113. De plus, la section du Jahrbuch existe dès 1905, et aucun travail n’y est pourtant recensé entre 1900 et 1914. Les premiers mémoires à y être classés datent des années 1930. La recension des doctorats dans ce domaines ne coïncide donc pas avec l’apparition de ce domaine dans les rubriques du répertoire. Les années 1930 marquent alors l’émergence de ce domaine parmi les sujets de la recherche mathématique française.

112. Il s’agit de la section « philosophie » du chapitre du Jahrbuch « Histoire, philosophie et pédagogie ».

113. Comme le décrit Hélène Gispert dans Gispert 1995a, le rôle de la théorie des ensembles en France à l’époque est celui d’être un outil pour l’analyse.

Arithmétique et algèbre Géométrie Analyse Mathématiques appliquées 1900-1904 2 4 11 6 1905-1909 1 4 10 11 1910-1914 4 3 10 16 1915-1919 1 3 6 3 1920-1924 0 10 9 9 1925-1929 3 10 18 13 1930-1934 3 5 22 17 1935-1939 5 12 15 16 1940-1945 2 10 8 20

Théorie des ensembles Calcul des probabilités Philosophie

1900-1904 0 0 0 1905-1909 0 0 0 1910-1914 0 0 0 1915-1919 0 0 0 1920-1924 0 1 0 1925-1929 0 0 0 1930-1934 6 0 1 1935-1939 1 5 0 1940-1945 1 2 0

Table 2.1 – Évolution des sujets des thèses de sciences mathématiques entre 1914 et 1945

Quant au domaine du calcul des probabilités114, d’après l’historiographie de ce domaine dont je ferai un bilan dans le sixième chapitre de la présente thèse, il s’agit ici d’un domaine qui acquiert ce statut pendant les années 1930. Auparavant il n’était pas considéré par la communauté mathématique comme un domaine des mathématiques. L’émergence de ce domaine et son importance croissante à la fin des années 1930 se traduit concrètement par le nombre de thèses soutenues dans ce domaine.

À côté de ces deux domaines qui émergent parmi les sujets de doctorats, l’équilibre entre les domaines traditionnels des mathématiques françaises, que sont l’arithmétique et l’algèbre, la géométrie, l’analyse et les mathématiques appliquées, évolue de façon sensible entre les périodes 1900-1914 et 1914-1945. Une certaine évolution a également lieu au cours de l’entre-deux-guerres.

La part de l’arithmétique et de l’algèbre reste à peu près constante et ne connaît pas de grande variation115. En revanche, la part de la géométrie ainsi que celles de l’analyse et des mathématiques appliquées évoluent entre les deux périodes. L’analyse ne représente pas l’unique thème de recherche des doctorants. Cela était déjà le cas

114. qui existe dans le classement du Jahrbuch dès les années 1900, car le mémoire de Bachelier de 1900 s’y trouve référencé.

115. Cette part représente en moyenne 6-7 %, excepté entre 1920 et 1924 ou aucune thèse de ce domaine n’est soutenue.

avant la première guerre mondiale où l’analyse et les mathématiques appliquées étaient les principaux domaines travaillés de façon équivalente en nombre par les doctorants116. L’analyse quantitative par sujets montre en fait une division de l’entre-deux- guerres en trois périodes : de 1914 à la fin des années 1920, la première moitié des années 1930 et la seconde moitié des années 1930 jusqu’à la seconde guerre mondiale. À chaque période correspond un équilibre différent entre les domaines. Pendant les années 1920, la géométrie, l’analyse et les mathématiques appliquées se partagent l’essentiel des sujets. Cet équilibre constitue un changement notable par rapport à l’avant-guerre avec la part croissante du nombre de mémoires de géométrie (entre les deux périodes, cette part double). Le nombre de thèses d’analyse reste cependant encore supérieur à celui des autres domaines. Dans la première partie des années 1930, la part de la géo- métrie diminue brusquement au profit essentiellement de la théorie des ensembles117. Le nombre de thèses en analyse et en mathématiques appliquées reste stable. En re- vanche, dans la deuxième partie des années 1930, la part de l’analyse diminue, cette fois-ci au profit du calcul des probabilités. Cette diminution se confirme pendant la deuxième guerre mondiale. La proportion des thèses d’analyse atteint à peine 20%, alors que celle des thèses de mathématiques appliquées approche les 50%. La dyna- mique de la recherche en analyse s’essouffle dans le sens où ce domaine n’attire plus autant de doctorants et que sa part parmi les autres domaines de la recherche diminue. On peut constater que cette diminution correspond à celle du nombre global des doc- torats soutenus. La question se pose alors de l’interprétation de cette correspondance : le domaine de l’analyse n’attire-t-il plus autant les doctorants par rapport à d’autres sujets plus appliquées ou plus nouveaux, ou bien faut-il y voir une conséquence de la seconde guerre mondiale, et si oui laquelle ?