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Analyse quantitative du nombre de doctorats

2.4 Résultats du premier niveau d’analyse

2.4.1 Analyse quantitative du nombre de doctorats

Le tableau ci-dessous donne l’évolution du nombre de thèses d’État soutenues dans l’ensemble des facultés des sciences en France. On observe un découpage très net de la période de l’entre-deux-guerres. Après une chute du nombre de doctorats soutenus pendant la première guerre mondiale, ce nombre croît de façon très prononcée pendant les années 1920. En l’espace de cinq années entre 1920 et 1924, les effets du conflit ont en partie été effacés (le nombre de doctorats soutenus entre 1920 et 1924 égalant approximativement celui de la période entre 1910 et 1914) et ont disparu dans l’intervalle de temps suivant. En effet, si la croissance du nombre n’avait connu aucune discontinuité du fait de la guerre, l’augmentation serait de cinq doctorats par intervalle de temps, on atteindrait alors pour la période entre 1930 et 1934 le nombre de 53 ce qui est à une thèse près le nombre obtenu. Les effets de la guerre se font donc sentir essentiellement pendant la guerre et au début des années 1920. Le massacre causé par le conflit se traduit par une baisse du nombre des soutenances pendant le conflit et par un plus faible nombre de ces soutenances entre 1920 et 1924110. À partir de la deuxième partie des années 1920 les doctorants sont des étudiants qui pendant la guerre n’avaient pas l’âge de combattre. Cette période de l’après-guerre apparaît donc comme une période, où les effets quantitatifs du conflit, après avoir été fortement ressentis, sont peu à peu gommés. Le nombre de doctorats se stabilise et stagne ensuite pendant les années 1930, signe manifeste de classes démographiquement creuses. Il diminue ensuite durant le deuxième conflit mondial du fait de la mobilisation, des prisonniers de guerre, de la désorganisation des facultés à cause de l’occupation. Dans un contexte de tensions internationales croissantes au cours des années 1930, on pourrait chercher

109. L’« année de thèse » correspond à l’année de la soutenance. Dans le cas de l’université de Paris, le corpus des rapports de thèse fournit l’année d’écriture des rapports des thèses. En comparant cette date avec celle de la soutenance, on constate qu’il existe souvent un délai assez important (de quelques mois à une année parfois). Cette différence rend impossible une analyse quantitative par année de soutenance. Diviser en intervalles de cinq ans la période de l’entre-deux-guerres permet alors de distinguer six périodes qui permettent de percevoir certaines évolutions, comme l’a montré mon DEA, Leloup 2004.

110. L’effet ressenti ici est dû au nombre de morts parmi les jeunes étudiants qui entre 1920 et 1924 auraient été en âge de soutenir une thèse. Le nombre des étudiants normaliens qui correspondent à cette tranche d’âge et qui sont décédés lors du conflit témoigne de l’étendue des pertes. On peut signaler que les pertes ne touchent pas uniquement la population des jeunes étudiants mais également celle des jeunes docteurs. Dans les registres d’examens ont été conservées certaines lettres relatant la mort de certains d’entre eux. Aucune ne concerne un docteur ès sciences mathématiques. On peut toutefois citer l’exemple de M. Wohlgemuth, docteur ès sciences physiques en juin 1914 et mort au champ de bataille en mai 1915.

à expliquer ce ralentissement de la croissance des doctorats par une diminution de la part des étudiants étrangers parmi les doctorants alors qu’ils représentent une partie non négligeable de la population des docteurs des années 1920. Il n’en est cependant rien et un nombre important d’étudiants étrangers continuent à participer, y compris pendant la deuxième moitié des années 1930, à la vie universitaire et mathématique française. 1900-1904 1905-1909 1910-19141111915-1919 1920-1924 1925-1929 1930-1934 1935-1939 1940-1945 23 28 33 13 29 44 54 54 43 0 10 20 30 40 50 60 1900-1904 1905-1909 1910-1914 1915-1919 1920-1924 1925-1929 1930-1934 1935-1939 1940-1945

Nombre de thèses d'Etat en sciences mathématiques

Figure 2.1 – Évolution du nombre de doctorats soutenus en France entre 1900 et 1945

Signalons également qu’il n’est pas certain que l’ensemble des thèses indiquées ci-dessus comme soutenues pendant la seconde guerre mondiale aient effectivement été présentées devant un jury selon les usages de soutenance de doctorat. J’ai pu constater en consultant les registres d’examens que les annotations « mobilisés » ou « prison- niers » figuraient beaucoup plus fréquemment sur les procès-verbaux des doctorats présentés entre 1939 et 1945 que pour ceux soutenus pendant la guerre de 1914-1918. Les situations difficiles vécues par certains doctorants ont entraîné des écarts de temps importants entre les dates d’écriture des mémoires, de l’écriture des rapports et de la soutenance en elle-même. Si l’on prend par exemple la thèse de Raphaël Salem : sur le manuscrit du mémoire est indiquée la date du 16 septembre 1939 et la mention « mo- bilisé » est indiquée sur le registre d’examen. Aucune date ultérieure n’est écrite et le

111. Toutes les thèses de 1914 sont soutenues avant le début de la première guerre mondiale en France (1er

août 1914). C’est pourquoi j’ai décidé d’inclure l’année 1914 dans l’intervalle 1910-1914, afin de mieux percevoir les conséquences de la première guerre mondiale.

rapport de soutenance de son doctorat ne figure d’ailleurs pas aux Archives nationales, à la suite du rapport de thèse. Dans le cas de Jean Kuntzmann, la même date de 1939 figure sur le manuscrit et sur le rapport de la thèse. Le doctorat est référencé dans le Catalogue des thèses en 1941, et la soutenance a lieu en avril 1942. Je n’ai relevé aucun exemple de ce type parmi les thèses soutenues pendant la première guerre mondiale. On peut ainsi penser que, du fait de l’occupation du territoire, les institutions univer- sitatires françaises sont davantage désorganisées en 1939-1945, qu’en 1914-1918 : des soutenances programmées ne peuvent se dérouler.