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PARTIE III SAVOIRS NATURALISTES LOCAUX ET BIODIVERSITE VEGETALE BIODIVERSITE VEGETALE

CHAPITRE 9 Les processus écologiques

9.1.3 Lutte et entraide entre les végétaux

Les villageois appréhendent la régénération forestière comme une compétition pour la lumière entre les espèces végétales :

“Quando passa o fogo, não são todos os matos que vão crescer: eles competem pela luz. É a luz do céu que dá a força pela árvore crescer. Aqueles que sobrevivem, vão crescer e vão fazer sombra pelos outros que vão morrer por falta da claridade. O mato pequeno para de crescer. Tem aqueles que nascem e se desenvolvem, outros que ficam pequenos. Agora se o grande cai, o pequeno vai crescer, já pegou a força do crescimento da luz. Na sombra não desenvolve.”[14]

“Quand le feu passe, ce ne sont pas tous les matos qui vont pousser: ils entrent en compétition pour la lumière. C’est la lumière du ciel qui donne de la force aux arbres pour grandir. Ceux qui survivent, vont grandir et faire de l’ombre aux autres qui vont mourir par manque de clarté. Le petit mato arrête de croître. Il y a ceux qui naissent et se développent, d’autres qui restent petits. Maintenant, si le grand [mato] tombe, le petit va grandir, il a pris de la force pour croître grâce à la lumière. A l’ombre, il ne se développe pas.”[14]

“Todas as árvores gostam da luz, do claro. Na sombra desenvolve menos. Eles procuram dobrar onde tem luz....”[2]

“Tous les arbres aiment la lumière, la clarté. A l’ombre, ils se développent moins. Ils essaient de surcimer (doubler) les autres arbres où il y a de la lumière.”[2]

Les différentes stratégies de croissance de végétaux sont distinguées en fonction de leur besoin en lumière et de leur stade de développement, les deux étant souvent liés :

“O cajueiro gosta da luz, o abacateiro precisa da sombra e do sol. Já o algodão que a gente planta, se deixa no sol, morre.” [13]

“Le cajueiro aime la lumière, l’abacateiro a besoin d’ombre et du soleil. Par contre, le coton que l’on plante meurt s’il reste au soleil.”[13]

“Depois do fogo vai aparecer diversos tipos de mato que vão crescer rápido: castanha de arara, ipê, piquiá, embaúba jutaízeiro, marfím. Outros ficam baixos e desenvolvem menos como o lacre. Tem famílias que não são para crescer altas.”[2]

“Après le feu il va apparaître divers types de mato qui vont grandir rapidement :

castanha de arara, ipê, piquiá, embaúba, marfím. D’autres restent petits (bas) et, se

développent moins comme le lacre. Il y a des familles qui ne sont pas faites pour grandir beaucoup.”[2]

Ainsi, certaines espèces sont perçues comme étant sciaphiles ("que gostam da

sombra/"qui aiment l'ombre"). Elles restent dans la strate du sous-bois soit de façon

temporaire, lors des premiers stades de vie par exemple, soit de façon définitive : “Tem diversas espécies que gostam da sombra quando são novinhas como a andiroba, o cedro mogno ou o parapará. Só pegam claridade na cabeça delas e as raizes ficam na sombra, no frio. Quando está com dois metros, a árvore já tem como se defender da quentura do sol. Ela tem folhas e faz sombra para ela mesma.”[2]

“Il y a diverses espèces qui aiment l’ombre quand elles sont jeunes comme l’andiroba, le cedro-mogno ou le parapará. Elles profitent de la lumière (prennent la clarté) juste au niveau de leur cime [de leur tête] et leurs racines restent à l’ombre, au frais. Quand il atteint deux mètres de haut, l’arbre peut déjà se défendre contre la chaleur du soleil. Il a des feuilles et se fait lui-même de l’ombre.”[2]

“Agora tem alguns que gostam da sombra, como a palha de curuá. Ela sempre fica por baixo, ele não passa por cima. O lacre não sobe, ele não multiplica tanto e não desenvolve tanto. Agora quando ele tá em uma floresta que nunca foi queimada, ele cresce alto. Mas acho que gosta mais da sombra.”[4]

“Mais il y en a qui aiment l’ombre, comme le palmier de curuá. Il reste toujours petit, il ne dépasse pas les autres. Le lacre ne grandit pas beaucoup (ne monte pas), ne se reproduit pas et ne se développe pas beaucoup. Par contre, quand il est dans une forêt qui n’a jamais été brûlée, il grandit haut. Mais je crois qu’il préfère l’ombre.”[4]

D'autres espèces au contraire "aiment la lumière" ("que gostam da luz, que são do

sol"/ " qui aiment la lumière, qui sont du soleil") et, pour mieux y avoir accès, adoptent

une stratégie de croissance rapide ("passam por cima das outras árvores"/"elles dépassent les autres arbres"). Ces espèces sont aussi désignées sous le terme local

madeiras altas ("arbres/bois hauts"). Elles correspondent aux espèces pionnières

héliophiles en écologie :

“O taxizeiro e o murucututu gostam mais do sol, pois eles passam dos outros. Se ficam na sombra, não desenvolvem.” [3]

“Le taxizeiro et le murucututu aiment le soleil car ils dépassent les autres [arbres]. S’ils restent à l’ombre, ils ne se développent pas.” [3]

“A piririqueira, o murucututuzeiro, o jutaízeiro, a envira branca e a envira preta crescem rápido na capoeira, passam por cima das outras todinhas. Também, a sucuuba, o bacuri, a embaúba crescem ligeiros.” [15]

“La piririqueira, le murucututuzeiro, le jutaízeiro, l’envira branca et l’envira preta croissent rapidement dans la capoeira, ils passent au-dessus de tous les autres. La

sucuúba, le bacuri, l’embaúba croissent rapidement aussi.” [15]

La croissance rapide de ces espèces pionnières vient du fait, selon les informateurs, que les arbres se développent en étalant leurs feuillages sans contrainte spatiale vis-à-vis des espèces voisines et captent ainsi la lumière nécessaire à leur développement. Cela se traduit dans le discours local par la capacité du végétal à "se balancer" (ce qui renvoie à la notion de timidité des cimes en écologie):

“As árvores crescem mais no claro porque podem se balançar. Se a árvore não se balança, vai pegar os vizinhos e não cresce alto. As outras árvores vão crescer e cobrir ela. Ela vai ficar sem força de subir.”[7]

“Les arbres grandissent plus à la lumière (à la clarté) car ils peuvent se balancer. Si l’arbre ne se balance pas, il touche ses voisins et ne grandit pas [très] haut. Les autres arbres vont grandir et le recouvrir. Il va rester sans force pour croître.”[7]

D’autres espèces tentent également de se développer dans la strate du sous-bois tant que l'apport en lumière reste suffisant. Mais lorsque celui-ci diminue de façon trop importante, leur croissance en hauteur est stoppée et certaines espèces vont "tomber malade" et mourir car elles "ne supportent pas la chaleur/la résistance des autres arbres". Les notions de chaleur et de résistance font référence à l’ombre causée par les espèces voisines ainsi qu’à leur plus grande faculté de croissance. Ces espèces héliophiles n'apparaissent donc que dans les premiers stades de la succession forestière :

“Se não gosta da sombra, o mato vai adoecer se fica lá o tempo todo. Assim acontece também com as árvores : se não gostam da sombra, não vão desenvolver, vão ficar baixas.”[7]

“S’il n’aime pas l’ombre, le mato va tomber malade s’il reste là tout le temps. Cela arrive aussi avec les arbres : s’ils n’aiment pas l’ombre, ils ne vont pas se développer, ils vont rester petits (bas).” [7]

“A embaúba, a castanha de arara, a samomera, o morototó são árvore que crescem muito depois do fogo. Aí, tem diversas árvores que a gente não tem o conhecimento que crescem. Elas passam das outras. Aí, aquelas que ficam por baixo delas, na sombra delas, não conseguem mais crescer, até morrem, aquelas que gostam do claro, da luz... A madeira fraca, também o espinho, eles não sobrevivem na sombra. A jurubeba, uma árvore de espinho, cresce no claro da luz mas não passa as outras, ela não fica árvore grande. A média é máximo oito metros de altura quando ela tá no limpo. Mas se ela tá abafada, ela cresce pouco, máximo quatro metros e com a sombra, ela morre.”[2]

“L’embaúba, la castanha de arara, la samaumeira, le morototó sont des arbres qui grandissent beaucoup après le feu. Il y a divers arbres que l’on ne connaît pas qui se développent à ce moment là. Ils dépassent les autres. Ceux qui restent en dessous d’eux n’arrivent plus à grandir, et s’ils aiment la lumière, ils meurent…Le bois faible [bois tendre] et les broussailles ne survivent pas à l’ombre. L’arbre épineux

jurubeba croît avec de la lumière mais il ne dépasse pas les autres, il ne devient pas

un grand arbre. Il mesure en moyenne huit mètres quand il est dans un espace dégagé (propre). Mais s’il est étouffé, il grandit peu, au maximum quatre mètres et, avec l’ombre, il meurt.”[2]

“Nascem muito sementes de sucuúba na mata, só que a maioria morre por causa da sombra, quando tá abafado encima. Elas não podem crescer a vontade, falta o ar, o vento...”[15]

“Beaucoup de graines de sucuúba naissent dans la forêt mais la majeure partie meurt à cause de l’ombre, quand c’est fermé (étouffé) au-dessus. Elles ne peuvent pas pousser (grandir), il [leur] manque de l’air, du vent...” [15]

“Tem várias árvores que morrem na sombra, pois, não agüentam o calor das outras. A embaúba vai até uma certa altura, pois ela não agüenta o calor da outra madeira porque a outra tem mais resistência. Ela não agüenta a resistência da outra...” [13]

“Il y a plusieurs arbres qui meurent à l’ombre car ils ne supportent pas la chaleur des autres [arbres]. L’embaúba va jusqu’à une certaine hauteur car elle ne supporte pas la chaleur de l’autre arbre (bois) car l’autre a une plus grande résistance. Elle ne supporte pas la résistance de l’autre...” [13]

“Na juquira, aparece a jurubeba que é um espinho que aparece em muita quantidade, também tem a jacitara, a tiririca, a itaúba...Tem madeiras fininhas na juquira que morrem depois na capoeira, porque os outros nascem encima como a envira, a vassoureira, o taquarizeiro, a ingáxixica, a muúba, a sucuúba, o abíu... A jurubeba é uma dela, talvez porque ela não gosta ficar com pouca luz e em um lugar que não seja ventilado. Na capoeira, o que cresce mais é o murucututuzeiro, a embaúba, o jutaízeiro... ” [15]

“Dans la juquira, la jurubeba, qui est un épineux, apparaît en grande quantité, de même que la jacitara, la tiririca, l’itaúba... Il y a des arbres (bois) très fins dans la

juquira qui meurent ensuite dans la capoeira car d’autres se développent (naissent) au dessus comme l’envira, la vassoureira, la taquarizeiro, l’ingáxixica, la muúba, la

sucuúba, l’abíu. La jurubeba est l’une d’elles, peut être parce qu’elle n’aime pas

rester avec peu de lumière et dans un endroit pas aéré. Dans la capoeira, le

murucututuzeiro, l’embaúba, le jutaízeiro poussent le plus...” [15]

Parallèlement à cette compétition pour la lumière entre les végétaux, les Ribeirinhos perçoivent aussi une compétition pour l'eau disponible dans le sol, en faisant allusion au transfert de la "force" d'un arbre à un autre :

“A embaúba não agüenta ficar na sombra de uma outra árvore. A outra cresce mais e fica sugando a embaúba, pois ela é uma madeira que tem água [na raiz]. Aí, a outra tem mais resistência com a água da embaúba, cresce mais e a embaúba morre. A outra, enquanto ta engrossando, vai cobrir outras árvores pequenas... Aí, aqueles que podem crescer, crescem puxando a água do chão e procurando o espaço deles para crescer. Mas a embaúba não vai poder crescer, ela só passa essa altura e morre. O cumaru por exemplo, ele vai passar a embaúba, ele vai crescendo, vai procurando o espaço dele no meio dos galhos... Depois que ele vara62 encima, ele vai puxar a água da embaúba todinha pela resistência dele. A raiz dele vai pegando na raiz da embaúba que é mais fraca, vai puxar a força dela. Aí, por isso que cresce, que nem a maracatiara, o angelim, o lacre vermelho, são todas madeiras altas.”[13]

“L’embaúba ne supporte pas de rester dans l’ombre d’un autre arbre. L’autre se développe (grandit) plus et aspire l’embaúba, car c’est un arbre qui a de l’eau [dans la racine]. L’autre arbre devient alors plus résistant avec l’eau de l’embaúba, il grandit plus et l’embaúba meurt. L’autre arbre, au fur et à mesure qu’il grossit, va recouvrir d’autres petits arbres... Ceux qui peuvent grandir se développent alors en

62 Ce verbe est très fréquemment utilisé par les Ribeirinhos. Varar signifie, dans son sens local, se frayer un passage dans la forêt (le plus souvent avec une machette).

pompant l’eau du sol (en tirant l’eau) et en cherchant leur espace pour grandir. Mais l’embaúba ne va pas se développer, elle dépasse juste une certaine hauteur puis meurt. Le cumaru par exemple va dépasser l’embaúba, il va grandir et chercher de l’espace au milieu des branches...Après s’être frayé un passage là haut, il va tirer toute l’eau de l’embaúba pour [augmenter] sa résistance. Sa racine va prendre celle de l’embaúba qui est plus faible, va lui prendre (lui tirer) sa force. C’est grâce à cela qu’il se développe, tout comme la maracatiara, l’angelim, le lacre vermelho, ce sont tous de grands arbres.”[13]

Paradoxalement, ce transfert d'eau ou de force est également perçu comme une aide réciproque entre les plantes, s'il est alterné entre les individus ("as duas árvores crescem

iguais"/"les deux arbres grandissent égaux") et que la croissance de l’un ne se fait pas

au détriment de l’autre (pas de "transfert de force" de l’une à l’autre). Cette disposition d’un végétal à croître enparallèle avec un autre apparaît alors comme une « stratégie » de survie découlant d’un choix ou d’une affinité des plantes, avec d'un côté celles qui "aiment aider" ("que gostam ajudar as outras") et de l'autre, les solitaires ("com vontade

de crescer só"/ "voulant grandir seule") qui portent préjudice au développement des

arbres voisins. Les plantes sont perçues non pas comme des objets mais comme des sujets doués de sentiments, d’affinité et d’intention. En opérant cette distinction entre deux types de «comportements» chez les plantes (rapports d’entraide et de compétition), ils établissent un parallèle avec des comportements humains tel que l’altruisme ou l’individualisme.

“Cada madeira tem um pouco de água. Se o ingazeiro é mais alto que a envireira preta, o ingazeiro já puxa a água dela, até a madeira ter pouca água. A árvore vai roubar a água da outra que dá força para crescer. Aí, crescem iguais as duas árvores... uma cresce um pouco, a outra cresce um pouco.. essa que tem que crescer alta, ela cresce alta, essa que tem que crescer pouco, fica baixa. Por isso que uma ajuda a outra...Pode ter árvores que não gostam ajudar as outras. A árvore que tem mais espaço, ela ta com vontade crescer só, ela não ta com vontade ajudar as outras. Aí, árvore dela cresce grande e diminui o crescimento das outras por causa da sombra.”[13]

“Chaque arbre (bois) a un peu d’eau. Si l’ingazeiro est plus haut que l’envireira

preta, il va tirer de l’eau de celui-ci et ne lui en laisser qu’un peu. L’arbre va voler

l’eau de l’autre arbre qui lui donne la force de grandir. Alors, les deux arbres grandissent pareil. L’un grandit un peu, l’autre grandit un peu... Celui qui doit être grand s’élève en hauteur, celui qui doit peu grandir reste petit. C’est pour cela qu’ils s’aident (l’un aide l’autre). Il peut y avoir des arbres qui n’aiment pas aider les autres. L’arbre qui a le plus d’espace veut se développer seul, il ne veut pas aider les autres… Alors, cet arbre grandit beaucoup et freine la croissance des autres à cause de son ombre.”[13]