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PARTIE I CONTEXTE, METHODE ET DESCRIPTION DU SITE D’ETUDE SITE D’ETUDE

1.2.4 Forêts nationales et populations traditionnelles

Si la mise en place d’unités de conservation d’utilisation durable va de pair avec la reconnaissance du rôle des populations locales dans la conservation de la biodiversité, plusieurs distinctions sont néanmoins établies selon le type d’unités. Ainsi, la présence de populations dites traditionnelles est une condition nécessaire à la création d’UC de types Réserve de développement durable et Réserve extractiviste. Dans le cas des Flona, les populations locales (également considérées traditionnelles) sont seulement admises, à condition que leur présence soit antérieure à la création de l’UC (décret nº 1298 de 1994, MMA/Ibama, 2006). Les autres aires protégées d’utilisation durable autorisent le maintien de populations sans que celles-ci aient obligatoirement cette reconnaissance de «populations traditionnelles».

La notion de population traditionnelle, avec ses implications politiques et sociales,a été discutée par de nombreux auteurs (Lima, 1999; Esterci, 2002 ;Barretto, 2001; Diegues, 1998). Dans son acception courante, l’expression s’applique en Amazonie aux populations rurales non amérindiennes, qui vivent le plus souvent de l’extractivisme et de l’agriculture (Pinton et Aubertin, 2004). A partir de 1980, la conjonction des mouvements sociaux et environnementaux lui donne une nouvelle dimension. Les populations traditionnelles sont alors considérées comme détentrices « d’organisations et de connaissances favorables à l’aménagement et la gestion des milieux naturels » (Pinton et Grenand, 2005). Mais pour Vianna (1996), le terme même de « traditionnel » est polysémique : il est employé pour qualifier à la fois « des types de gestion, des types de sociétés, des formes d'utilisation des ressources et d'occupation du territoire, ou des modes de vie des groupes sociaux ». Cette catégorie de «population traditionnelle » est qualifiée d’extensive par Cunha et Almeida (2001) car elle incorpore progressivement de nouveaux groupes, parfois sans lien avec une ethnie particulière. Pour Barretto (2001) il s’agit d’un « concept-parapluie » qui rassemble des groupes sociaux ayant en commun des relations fortes avec leur environnement naturel et une exploitation des ressources naturelles considérée de faible impact. La définition de population traditionnelle repose ainsi a priori sur les capacités des populations locales à gérer et conserver la nature. Dans ce contexte, cette notion apparaît pour certains auteurs comme une construction avant tout occidentale dans le débat portant en particulier sur la présence de groupes humains dans les aires protégées (Ioris, 2005; Pinton et Aubertin, 2004). Barreto (2001) dénonce le fait que cette notion, en minimisant la diversité des pratiques culturelles, tend à réduire les groupes sociaux à de simples instruments

politiques, susceptibles de répondre aux objectifs de conservation et de plans d'aménagements élaborés par les politiques publiques.

Du point de vue juridique, ce concept a gagné un statut officiel avec la création en 1992 du Centre national du développement durable des populations traditionnelles (CNPT), rattaché à l’ICMbio, ayant pour finalité de «promouvoir l´élaboration, l´implantation et le développement de plans, programmes, et actions demandées par les populations traditionnelles à travers leurs entités représentatives et/ou indirectement via des organismes gouvernementaux créés à cette fin, ou via des organismes non gouvernementaux » (CNPT, 2008). Les populations traditionnelles sont alors définies par le CNPT comme « les populations qui traditionnellement et culturellement tirent leur subsistance de l'extractivisme et des ressources naturelles renouvelables».

Par la suite, la Politique nationale de développement durable des peuples et traditionnelles (PNPCT) instaurée en 2007, dont la mise en place est coordonnée par la Commission nationale du développement durable des peuples et communautés traditionnelles (CNPCT) créée en juillet 2006 (Brasil, 2006a), précise ce concept. Elle définit les «peuples et communautés traditionnels» comme étant «des groupes culturellement distincts se reconnaissant comme tels, possédant des formes d’organisations sociales qui leur sont propres, et qui occupent et utilisent des territoires et des ressources naturelles comme condition à leur reproduction culturelle, sociale, religieuse, ancestral et économique, en utilisant des connaissances, innovations et pratiques produites et transmises par la tradition» (Brasil, 2007b). Rappelons que ce concept n’inclut pas, au point de vue juridique, les populations amérindiennes bien que celles-ci soient souvent prises comme référence dans cette catégorie (Carneiro da Cunha et Almeida, 2001). Avec le CNPCT, l’auto-proclamation par un groupe social de son identité traditionnelle (en tant que peuple ou communauté) devient donc l’un des critères essentiels pour la reconnaissance officielle de ce statut (Marinho, 2007).

Ainsi, l’attribution du statut « traditionnel » accordé, six ans auparavant, aux populations locales des trois catégories d’aires protégées (RDS, Resex et Flona) découle d’un processus exogène imposé par le gouvernement, et non d’une démarche revendicative de la part des populations locales. Ceci est particulièrement clair dans le cas des Forêts Nationales. En ce sens, la critique de Barreto (2001) précédemment évoquée paraît justifiée dans ce cas particulier d’aires protégées et rejoint celle de Ioris (2005) qui voit dans l’imposition de ce statut, un moyen pour le gouvernement de

«limiter l´autonomie des groupes sociaux en assujettissant leurs formes d´organisations sociales à une rationalité politique environnementaliste extérieure» (Ioris, 2005: 207). Les populations locales de ces aires protégées sont ainsi considérées a priori comme susceptibles d’assurer une gestion durable des milieux naturels et des ressources conformément à la définition associée à leur nouveau statut.

Afin de nuancer la pertinence d’un tel postulat et adapter, dans la mesure du possible, les règles de gestion de ce type d’aires protégées aux réalités locales (et non l’inverse), il est indispensable de s’intéresser à la réalité des rapports qui lient les populations à leurs milieux. L’étude des savoirs locaux est d’autant plus importante dans les Flona que l’objectif général de ce type d´aire protégée est « de garantir une utilisation multiple et durable des forêts qui garantisse la présence des communautés locales » (MMA/Ibama/Diref/Promanejo, 2006).

1.3 Site d’étude

Le choix de la Forêt nationale du Tapajós (Flona Tapajós) comme site d’étude se justifie de par sa localisation dans une zone particulièrement sensible d’Amazonie, au cœur de forts enjeux de gestion et d´exploitation des ressources forestières. Située dans la région de Santarém, dans l´État du Pará, d’une superficie totale de 600 000 hectares, elle est limitée à l’est par la route BR 163 (axe Cuiabá-Santarém) et à l’ouest par le fleuve Tapajós (Carte 2). Elle fut stratégiquement implantée, lors de la mise en place du Pin, à l´intersection des deux axes routiers de grande importance dans la colonisation de l´Amazonie (la Transamazonienne et la BR163) afin de contrôler l´accès aux ressources forestières dans la région et faciliter l´exploitation commerciale du bois (Carte 2). La présence de la BR163 a engendré de fortes pressions anthropiques dans la région de Santarém en favorisant la remontée du front pionnier agricole. La culture intensive de soja et l´élevage extensif y ont entraîné une très forte augmentation de la déforestation (passant de 14 000 ha/an en 2000 à 28 000 ha/an en 2004). Les enjeux actuels de gestion et d´exploitation des ressources forestières dans cette région sous influence directe de la BR163 se traduisent par un éventail de politiques publiques allant de l’implantation de concessions forestières à la création d’un district forestier durable, en passant par la consolidation des aires protégées existantes, constituant ainsi une mosaïque de territoires soumis à des règles de gestion (Carte 3).

La récente loi nº 11.284 du 2 mars 2006 a en effet profondément modifié les formes de gestion forestière dans les terres publiques. Elle reconnaît trois modalités de gestion : la gestion directe de forêts nationales, des états, ou municipales, celle faite par les

populations locales (Resex, RDS, différents instruments de régularisation foncière issus du Programme national de la réforme agraire) et celle issue de concessions à des particuliers (entreprises privées ou ONG) sur des forêts nationales, selon une logique d’appel d’offres (Brasil, 2006b). Ces concessions d’usage, tout comme les autres modalités d’exploitation, sont soumises à différentes formes d’évaluations environnementales selon les situations et à l’élaboration d’un Plan de gestion forestière durable (MMA, 2008). Crée par cette même loi, le Service forestier brésilien, rattaché au Ministère de l’environnement, est responsable de la mise en œuvre de cette législation.

Deux concessions forestières ont vu le jour jusqu’à présent en Amazonie brésilienne : celle de la Flona Jamari, de près de 100 000 ha, dans le Roraima, et celle de la Flona Saracá-Taquera, d’environ 140 000 ha, à proximité de la Flona Tapajós (Carte 3). Suivant une logique d’ordonnancement territorial et de synergie entre différents instruments, les districts forestiers durables (DFS) sont crées en 2006. Un DFS est un «complexe géoéconomique et social» où sont encouragées les activités forestières durables, associées à une politique de développement industriel, d’assistance technique, d’éducation et de gestion des aires publiques (Brasil, 2006c). Le DFS de la BR163, le premier jamais créé en Amazonie (datant de février 2006), s’étend sur plus de 19 millions d’hectares et inclut la Flona Tapajós (Carte 3).

Dans ce contexte régional,la Flona Tapajós apparaît comme une unité de conservation de grande importance pour des raisons à la fois écologiques et socio-économiques. Elle représente en effet un îlot de forêt clairement mis en évidence par les images satellites. Un tiers de sa surface totale est occupée par des forêts ombrophiles de terre ferme, ce qui lui confère une grande représentativité à l’échelle de l’Amazonie brésilienne où ce type de formation végétale couvre approximativement 60% de l’aire totale de la région (Padovan, 2002). Dix sept unités phytoécologiques y ont été cartographiées (Annexe 1). Cette Flona fait de plus l’objet de forts enjeux sociaux concernant la gestion et l’exploitation des ressources forestières. Suite à un long conflit d’intérêt qui opposa l’Etat à la population locale sur cette question, une gestion participative de l’aire protégée a finalement été mise en place, ainsi qu’un projet d’exploitation commerciale du bois par ses habitants. De par le caractère novateur à l’échelle nationale d’une telle gouvernance18, la Flona Tapajós est à présent érigée en modèle pour les autres aires

18 Pour la commission de la gouvernance Globale, la gouvernance représente « l’ensemble des différents moyens par lesquels les individus et les institutions publiques et privées gèrent leurs affaires communes. C’est un processus continu de coopération et d’accommodements entre des intérêts divers et conflictuels. Elle inclut les institutions officielles et les régimes dotés de pouvoirs exécutoires tout aussi bien que des arrangements informels sur lesquels les peuples et les institutions sont d’accord ou qu’ils perçoivent être

protégées, et particulièrement pour les autres Flona d’Amazonie. Elle est devenue à ce titre un territoire de réflexion sur l’adéquation des normes institutionnelles de gestion des ressources naturelles aux normes locales, en vue d’actions ultérieures dans d’autres aires protégées. Le caractère expérimental des actions qui sont en cours met en avant la nécessité d’une meilleure compréhension des savoirs locaux en vue de leur prise en compte dans des projets de gestion et de valorisation des ressources naturelles.

de leur intérêt » (Commission on Global Gouvernance, 1995, in Pascal, 2008, p2-3). Cette notion de gouvernance cherche à rendre compte de «la multi-dimensionnalité des processus de gestion et d’action collective » (Pascal, 2008).

Carte 2. Localisation de la Forêt