• Aucun résultat trouvé

PARTIE II. L’ESPACE ET SES RESSOURCES : REGLES ET GESTION

CHAPITRE 5 De la forêt à l’abattis

Ce chapitre analyse les pratiques de conversion des forêts à des fins agricoles, en mettant en évidence les multiples critères intervenant dans le choix de la localisation et du nombre d’abattis ainsi que du type de cultures. Nous nous intéressons également au traitement réservé au manioc, plante centrale de l’abattis, et aux pratiques de gestion de la diversité variétale.

5.1 La mise en place de l’abattis

La plupart des abattis se rencontre à proximité de la rive du fleuve, dans les forêts secondaires post agricoles (capoeiras) situées majoritairement sur des terres sableuses (Carte 6). Ces forêts se sont formées suite à l’abandon d’anciens abattis au cours des trois dernières décennies. Actuellement, peu d´habitants établissent leurs abattis sur les terres argileuses du fait de leur éloignement du village. Il faut en effet marcher en moyenne deux heures pour atteindre ces sols qui se retrouvent essentiellement dans la serra (plateau situé en amont du village, Figure 6). Les terres argileuses dites "froides" sont considérées plus productives que les terres sableuses "chaudes et sèches". On peut y cultiver maïs, riz, canne à sucre et aussi des fruitiers comme l’oranger, le citronnier, les bananiers, le cupuaçu, l’avocatier…, toutes espèces qui ne produisent que peu ou pas dans les terres sableuses.

La majorité des villageois limite à présent leur production à la culture de manioc, préférant acheter directement le riz ou les haricots en ville, autres aliments de base après le manioc. Peu exigeant quant à la fertilité des sols, le manioc est planté sur les sols sableux ou argilo-sableux des alentours du village, à une distance compatible avec le transport à dos d’homme de la production, de l’abattis vers la casa de farinha, la "maison de farine" où sont préparés les divers dérivés du manioc.

“A maniva agüenta mais anos no barro que na areia. Na areia, agüenta um ano, um ano e meio porque a areia esquenta muito. O barro não, ele é frio. A areia é muito mais sólida que o barro. Quando tá chovendo, não fica muito molhando.” (Irudina, Acaratinga, 46 anos, novembro 2006)

“Le manioc résiste plus longtemps dans l’argile que dans le sable. Dans le sable, il résiste un an, un an et demi car le sable se réchauffe beaucoup. L’argile non, elle est froide. Le sable est beaucoup plus solide que l’argile. Quand il pleut, il ne reste pas humide (mouillé).” (Irudina, Acaratinga, 46 ans, novembre 2006)

Figure 6. Toposéquences des terrains de trois familles d’Acaratinga (les termes attribués aux différentes forêts seront détaillés dans le chapitre 8). Note : Les distances ne sont pas à l’échelle.

Cette configuration est relativement récente, probablement de l’ordre d’une trentaine d’années. Elle fait suite à une utilisation préférentielle des terres argileuses pour l’agriculture, induite par les ravages provoqués par les saúvas, fourmis phytophages du genre Atta, dans les abattis initialement cultivés en bordure du fleuve. En l’absence de tout traitement possible, les terres sableuses localisées près du village étaient donc délaissées au profit des terres argileuses plus en amont. Une vieille villageoise d’Acaratinga mentionne ainsi, qu’étant jeune, elle aidait ses parents dans un abattis situé à plus de deux heures de marche. Elle quittait le village à l’aube et ne revenait qu’à la tombée de la nuit. Les gens construisaient également des abris provisoires en forêt afin de séjourner plusieurs jours consécutifs près des abattis sans avoir à rentrer au village. Ils survivaient alors grâce à la chasse et à la farine de manioc ramenée du village. Les anciens abattis, laissées depuis des décennies en friche, sont à présent désignées par le terme de capoeiras dos Antigos ("forêts secondaires des Anciens", Figure 6). De même, la présence de plantations pérennes en forêt, essentiellement des hévéas, témoigne de l’ancienne présence d’abattis. C’est une innovation technique, l’incorporation de formicides, achetés en ville, qui a permis un retour sur les anciennes terres sableuses. Le choix de l’emplacement d´un abattis dépend du type de forêt à «travailler». Les sols de mata virgem sont jugés plus fertiles que ceux des forêts secondaire post agricole

(capoeira) et donc plus productifs. Cette différence de fertilité se traduit dans leurs

discours par l´opposition entre terra forte da mata ("la terre forte de la mata") et terra

fraca da capoeira ("la terre faible de capoeira"). La mise en place d´un abattis en mata virgem requiert plus de travail que dans une jachère forestière au moment de l´abattage

des arbres et un plus long délai de séchage de la végétation avant la mise en brûlis. De ce fait, les travaux de préparation de la parcelle doivent être réalisés plus précocement qu´en forêt secondaire et nécessitent davantage de main d´œuvre. L´entretien de l´abattis y est en revanche facilité du fait de la faible production d´adventices. Ces caractéristiques sont celles propres à l’agriculture sur brûlis en général

L'évolution même de l´organisation du travail à l'échelle communautaire (Encadré 4) explique en partie la faible distribution des abattis en mata virgem. En effet, il y a encore une trentaine d’années, les villageois réalisaient collectivement les gros travaux agricoles (ce qu'ils appelaient alors le mutirão), à savoir le nettoyage du sous-bois (roça), l'abattage des arbres (derruba) et la mise en brûlis (queima), en travaillant dans les abattis successifs de chaque famille. Ce mutirão réunissait aussi bien les hommes que les femmes, celles-ci aidant principalement dans la préparation des repas et la distribution du tarubá (boisson à base de manioc fermenté, légèrement alcoolisée et

consommée en très grande quantité lors de cet événement). Cette pratique du mutirão ayant aujourd’hui disparu48, l’ouverture d’abattis en mata virgem est rare car difficilement réalisable pour les membres d’une seule famille, étant donnée le gros travail physique que cela représente. L’usage récent de la tronçonneuse, s’il a réduit la charge de travail pour abattre les arbres, est quant à lui limité à quelques agriculteurs en raison de son coût direct ou de celui de la rémunération du propriétaire d’un tel outil.

Outre ces facteurs intervenant dans la logique d´implantation des abattis, l´Ibama impose ses restrictions quant à la localisation des futurs abattis : ils ne peuvent être situés à moins de 100 mètres de la rive du fleuve, ni à moins de 30 mètres des ruisseaux (igarapés), ni à moins de 20 mètres des chemins. Il est également interdit de déforester les igapós (forêts inondées) qui sont des aires de protection permanentes (cf. chapitre 1), afin de protéger la ressource en eau. Un quota annuel de déforestation leur est de plus imposé pour l’ouverture des abattis. Chaque famille doit déclarer tous les ans la superficie qu’elle envisage de déboiser, ne pouvant dépasser un hectare en mata virgem et deux hectares en forêt secondaire. L´installation d´abattis en mata virgem n´est de plus pas autorisée d´une année sur l´autre, sauf si l´agriculteur ne dispose pas de

capoeira pour cultiver de nouveaux abattis. Le déboisement en mata virgem à des fins

de pâturage est formellement interdit. Une fois la déclaration d’intention établie, l´Ibama délivre une autorisation de déforestation (autorização de supressão da

vegetação) et vient relever au GPS les emplacements exacts des futurs abattis.

48 Les travaux d’intérêt collectif au sein du village, également désignés sous le terme mutirão, se sont néanmoins maintenus jusqu’à aujourd’hui et réunissent les villageois environ une matinée par semaine (construction de carbet communautaire, nettoyage des chemins, du terrain de foot, entretien du débroussaillage le long des limites latérales du territoire communautaire…).

Encadré 4: Principales modalités de répartition du travail dans les abattis dans les