• Aucun résultat trouvé

PARTIE I CONTEXTE, METHODE ET DESCRIPTION DU SITE D’ETUDE SITE D’ETUDE

1.2.2 Création des aires protégées

La mise en place des aires protégées au Brésil provient d’un processus lent de structuration de l’Etat et d’élaboration d’une politique publique en matière de protection de la nature. Medeiros et al. (2006) y distinguent trois phases.

Durant la décennie 1930, les premiers outils juridiques relatifs à la création des aires protégées virent le jour, avec pour principal référence le Code forestier de 1934. Ce code, en reconnaissant les forêts comme domaine d´intérêt public, attribua à l´Etat la responsabilité de gérer et de protéger les ressources forestières. Les premières aires protégées furent créées principalement dans la région sud-est du pays pour répondre à une demande de la société de protéger la forêt atlantique, particulièrement menacée. Le modèle de ces toutes premières aires protégées s’inspira des parcs nationaux américains, dans une optique de préservation d’écosystèmes remarquables. Le parc national d’Itatiaia fut le premier à être crée en 1937. Certaines forêts furent aussi protégées en vue de maintenir des services environnementaux spécifiques. Ce fut le cas en particulier du parc national de Tijuca crée en 1961 à Rio de Janeiro afin de maintenir un couvert forestier (en partie replanté) indispensable au maintien des ressources hydriques nécessaires au développement de la ville8 (Drummond, 1988).

Sous la dictature militaire (1964-1984), de nouvelles aires protégées furent créées à l’échelle nationale : 18 en Amazonie légale et 47 dans le reste du pays9. Le gouvernement militaire modifia en 1965 le Code forestier et le remplaça par un nouveau

8 La Forêt Atlantique originellement présente sur l’aire de ce parc a en effet été largement déboisée à partir de la deuxième moitié du XVIIème siècle en vue d’y pratiquer une exploitation agricole intensive (cannes à sucre au XVIIème siècle puis café les deux siècles suivants).

9 Avant 1964, il existait déjà respectivement 1 et 15 aires protégées dans ces deux ensembles géographiques.

qui renforça le contrôle des forêts par l´Etat fédéral et introduisit une politique de valorisation économique de ces forêts. Durant cette période, divers organismes gouvernementaux tels que le Secrétariat à l’environnement, la Sudam et l’Institut brésilien du développement forestier (IBDF) virent le jour pour traiter la question environnementale. Ce dernier, créé en 1967 et rattaché au Ministère de l’agriculture, devint responsable de l´élaboration, de l´implantation et de l´administration des programmes de politiques publiques environnementales.

A la suite de la chute du régime militaire (période post 1984), il y eut un renforcement de la politique de protection et de création des aires protégées : un ministère de l’environnement fut crée en 1985 et, quatre ans plus tard, un organisme responsable de l’implantation et de l’administration des aires protégées : l’Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles durables (Ibama) qui résulta de la fusion du Secrétariat à l´environnement, de la Surintendance du caoutchouc, chargé de la surveillance de cette activité et la Surintendance de la pêche. La nouvelle constitution brésilienne, élaborée en 1988, intégra la thématique environnementale. Durant cette période, pré Eco-92, l’influence des ONG dans l’élaboration et l’application des politiques publiques de protection de la nature se fit de plus de plus en plus forte. L’Etat modifia son rôle et décida de se centrer sur la conception et la coordination des politiques liées aux aires protégées, en déléguant la réalisation des actions locales à des partenaires institutionnels. De nombreux partenariats internationaux furent alors instaurés pour financer les programmes de protection de la biodiversité. Cette politique de protection des aires protégées s’est par la suite consolidée et organisée avec la création du Système national des aires protégées en 2000 (Snuc), et, plus récemment, avec le Plan national des aires protégées (Pnap, cf. infra).

Ce processus de création d’aires protégées a abouti à la distinction de deux classes d’espaces destinés à la protection des écosystèmes et des ressources naturelles :

- les espaces protégés existants au sein de chaque domaine publique et/ou propriété privée : ils visent à la préservation d’un type particulier de ressources (cas des aires de protection permanente dont le but est de préserver tous les cours et réserves d’eau), ou à la protection d’écosystèmes particuliers (cas des réserves légales qui assurent la protection d’un pourcentage défini de végétation non altérée dans toutes les propriétés privées, dans des proportions variant selon les biomes et les zones

géographiques10). Ces deux types d’espaces protégés, créés par le Code forestier de 1965, ont pour objectif d’éviter la surexploitation des forêts et des biomes originaux par l’élevage ou l’agriculture, et de garantir la préservation d’une surface significative des divers biomes existants au Brésil.

- les espaces protégés délimités territorialement par l’Etat : ils correspondent aux « unités de conservation » (UC), dont les usages et les modalités de gestion ont été clairement définis dans le Snuc. Ce dernier a permis d’unifier les critères et les normes concernant la création, la mise en place et la gestion de toutes les UC existantes. Le Snuc n’a cependant pas fixé définitivement le nombre et le type de catégories d’UC, laissant la possibilité d’intégrer de nouvelles catégories. A ce jour, douze catégories d’UC fédérales sont définies (Tableau 1), réparties en deux groupes suivant leur degré de protection (Brasil, 2000) :

- les unités de conservation de protection intégrale (unidades de

conservação de proteção integral) où sont interdites toutes les activités pouvant

compromettre la préservation des ressources naturelles ainsi que la présence de groupes humaines,

- les unités de conservation d’utilisation durable (unidades de conservação

de uso sustentável), où sont permises certaines activités économiques respectant une

gestion à long terme des ressources ainsi que le maintien des populations locales et leur accès aux ressources naturelles (Brasil, 2000). Ce type d’UC rompt avec le paradigme d’une conservation portée uniquement par des écosystèmes non altérés.

Chaque sphère du gouvernement, qu’elle soit fédérale, de l’état ou municipale, possède un organisme responsable de la création et de la gestion des UCs. Les UC fédérales ont pendant longtemps été sous la responsabilité de l’Ibama mais depuis août 2007 et le démembrement de cette institution, la création et la gestion de celles-ci dépendent de l’Institut Chico Mendes de conservation de la biodiversité (ICMbio) (Brasil, 2007a)11. Les UC créées sur des terres appartenant aux Etats (UC estaduais) sont sous la responsabilité de la Sema (Secrétariat de l’état de l’environnement) de chaque Etat. Dans le cas -encore non inexistant- de création d’UC à l’échelle des municipalités (UC

10 Ce pourcentage s’élève actuellement à 80% dans le cas des forêts d’Amazonie, mais peut diminuer à 50% dans le cas de la mise en place d’un Zonage écologique-économique dans les propriétés (article 16 du Code forestier (Ideflor, 2009). Il est de 35% dans le cas de cerrado situé en Amazonie légale et de 20% dans le reste du pays. De fortes pressions existent actuellement pour faire passer le seuil de la réserve légale en Amazonie de 80 à 50 % (en dehors de tout Zonage écologique-économique).

11

L’Ibama a, depuis cette date, restreint son rôle à l’attribution d’autorisations environnementales et d’autorisations d’usage des ressources naturelles, et aux activités de contrôle environnemental (Brasil, 2007a).

municipais), ce rôle revient à la Semma (Secrétariat municipal de l’environnement)12. La création peut également être issue d’une demande de la société civile. C’est le cas des réserves particulières du patrimoine naturel (RPPN), établies dans des domaines privés13 suite à la demande des propriétaires.

Tableau 1. Catégories d’unités de conservation au Brésil (établies à l’échelle fédérale).

On compte actuellement 303 UC fédérales (hors RPPN) sur le territoire brésilien, la majorité étant d’utilisation durable (Figure 1). Ce nombre s’élève à 731 unités si l’on comptabilise les RPPN (Ibama, 2007) mais, en termes de superficie, Medeiros et al. (2006) estiment que l’impact de cette dernière catégorie d’aires protégées est faible14. Les UC occupent au total 9,6 % du territoire brésilien dont un peu plus d’un tiers en Amazonie15 (hors RPPN). À partir de la décennie 1990, le nombre d’UC d’utilisation durable a fortement augmenté dans cette région, allant jusqu’à dépasser le nombre d’UC de protection intégrale (Figure 1).

12

Néanmoins, très peu de Semma sont à ce jour structurés et la décentralisation de la gestion des UC vers les municipalités commence tout juste à se mettre en place (comm. pers. F. Ferreira, 2009, Ideflor).

13 Ces RPPN sont reconnues d’intérêt public et inscrits dans le Registre public foncier (alinéa 1 de l’article 21 du SNUC, Brasil, 2000).

14

Les données de la majorité des RPPN n’étant pas disponibles, nous n’avons pas pu calculer la superficie totale occupée par cette catégorie d’aires protégées.

15 Pourcentage calculé à partir des données brutes de l’Ibama (2007) et de l’ICMbio/MMA (2007).

Unités de conservation de protection intégrale

Unités de conservation d’utilisation durable

Réserve écologique (Estação

Ecológica) - EE

Aire de protection environnementale (Área de

proteção ambiental) -Apa

Réserve biologique (Reserva

biológica) -RB

Aire d'intérêt écologique (Área de relevante

interesse ecológico)-Arie

Parc national (Parque

nacional)-PN Réserve extractiviste (Reserva extrativista)-Resex

Monument naturel (Monumento

natural)-MN Forêt nationale (Floresta nacional) -Flona

Refuge de la vie silvestre

(Refúgio da vida silvestre)-RVS Réserve de développement durable (Reserva de

desenvolvimento sustentável)-RDS

Réserve de la faune (Reserva de fauna)-RF

Réserve particulière du patrimoine naturel (Reserva

3 3 2 6 2 1 13 12 5 2 18 12 22 19 52 36 26 45 63 61 36 78 91 98 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 N° total d'UC 30-39 40-49 50-59 60-69 70-79 80-89 90-99 2000-2008 Protection intégrale-Amazonie Usage durable-Amazonie

Protection intégrale-hors Amazonie Usage durable-hors Amazonie

L’ensemble des UC relevant de la sphère fédérale occupe 12,1% de l’Amazonie, avec des superficies équivalentes entre les deux grandes catégories d’unités (Figure 2). Si on y ajoute les UC relevant de la sphère des états, c’est 12,6% de l’Amazonie qui est sous protection, et près de 30 % si l’on compte les Terres Indigènes (Albert et al., 2009).

Figure 1. Evolution du nombre d’unités de conservation (UC) fédérales au Brésil (hors réserves particulières du patrimoine naturel) (d’après les données Ibama, 2007; ICMbio/MMA, 2007).

Si les Terres Indigènes jouent un rôle importance dans la protection des ressources naturelles, elles ne sont toutefois pas incluses dans le Snuc car la constitution brésilienne garantit des droits territoriaux aux populations amérindiennes en dehors de toute considération de conservation des ressources biologiques (Carneiro da Cunha et Almeida, 2001 ; Albert et al., 2009). Ces populations ont l’usufruit exclusif des terres qui leur sont attribuées, à l’exception des ressources du sous-sol, les terres restant la propriété de l’Union fédérale. Le rôle des terres amérindiennes, et celles des

Quilombolas16, dans la conservation de la diversité biologique a été néanmoins reconnu en 2006 dans le Plan national des aires protégées. Cette reconnaissance s’appuie sur les récents travaux scientifiques ayant mis en évidence l’efficacité de ce types d’unités sur le plan de la conservation des ressources et des milieux, en montrant notamment qu’elles constituent un frein considérable au déboisement et aux incendies de forêt (Nepstad et al., 2006, in Albert et al., 2009). L’une des directives du Pnap vise en effet à « assurer les droits territoriaux des communautés quilombolas et des peuples indigènes comme instrument de conservation de la biodiversité »(Brasil, 2006a).

16Les Quilombolas désignent les descendants d’esclaves noirs fugitifs des plantations de cannes à sucre, qui s’étaient regroupés en communautés appelés « quilombos ». Les communautés actuelles bénéficient d’un droit d’usage collectif des terres, initialement accordé en dehors de toute considération de protection de l’environnement et des ressources.

Le Plan national des aires protégées a comme objectif principal de renforcer le Snuc et de gérer l’hétérogénéité des aires protégées existantes. Il reconnaît celles-ci comme des instruments efficaces pour la conservation de la diversité biologique et socioculturelle, de même que les différentes formes de connaissances et pratiques de gestion durable des ressources naturelles. Son objectif principal est d’ « orienter des actions permettant d’établir un système étendu d’aires protégées écologiquement représentatif, géré de manière effective et intégrant les paysages terrestres et maritimes les plus diversifiés jusqu’en 2015» (Préambule des principes et directives du Pnap, Brasil, 2006a). Il prône l’intégration des populations locales, traditionnelles et amérindiennes dans la gouvernance des aires protégées.

Le Pnap repose sur plusieurs principes de base orientés sur la question de la gouvernance. Le principe XIX traite en particulier de l’ « articulation des actions des gestions des aires protégées entre les politiques publiques aux trois niveaux du gouvernement et avec la société civile », cependant que le principe XX concerne « la promotion de la participation, de l’intégration sociale et de l’exercice de la citoyenneté dans la gestion des aires protégées, afin de favoriser de manière durable le développement social ». Les directives X et XI visent respectivement à « encourager la participation sociale dans toutes les étapes de mise en place et d’évaluation du Pnap », et à « assurer la participation et la qualification des différents acteurs sociaux dans le processus de prise de décision pour la création et pour la gestion des aires protégées, en garantissant le respect des savoirs et des droits des peuples indigènes, communautés

quilombolas et communautés locales » (Brasil, 2006a).

Les dispositifs juridiques ou politiques créés comme le Snuc, le Pnap ou la Politique nationale de la biodiversité17 incitent à préserver les pratiques culturelles, sociales et économiques des populations locales et/ou traditionnelles dans un objectif de maintien de la biodiversité. Ils reconnaissent l’intérêt de protéger à la fois les aspects tangibles (les ressources naturelles…) et intangibles (savoirs locaux associés à la biodiversité) de la biodiversité (Santilli, 2004).

17

La PNB (Política nacional de biodiversidade), élaborée en 2002 par le ministère de l’environnement brésilien suite à la ratification de la Convention pour la diversité biologique, a comme objectif de définir des actions intégrées pour assurer la conservation de la biodiversité, l’utilisation durable de ses composants et la répartition juste des bénéfices tirés de l’utilisation des ressources génétiques (Brasil, 2002). Cette PNB vise notamment à protéger les droits intellectuels collectifs des peuples indigènes, quilombolas et autres communautés locales (en référence à l’article 8(j) de la CDB).

Le système des aires protégées brésilien résume à lui seul la diversité des statuts des espaces naturels protégés à travers le monde (Depraz, 2008). Selon Medereiro et al. (2006), il se caractérise par :

- la préservation-conservation comme instrument géopolitique ;

- une diversité de catégories d’aires protégées créées qui répond à la dimension continentale et pluri-culturelle du pays ;

- une logique de conservation et d’usage, incluant la participation de la société civile, parallèlement à une logique de préservation, à l’origine des deux grands types d’UC existantes.

Cette logique à la fois de conservation et d’usage des ressources s’applique en particulier aux forêts nationales (Flona).