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PARTIE III SAVOIRS NATURALISTES LOCAUX ET BIODIVERSITE VEGETALE BIODIVERSITE VEGETALE

CHAPITRE 9 Les processus écologiques

9.1.1 Espaces et plantes sensibles

Les terres sableuses sont perçues par les informateurs locaux comme étant les plus propices au passage du feu, du fait de leur relative sécheresse par rapport aux terres argileuses et de la présence de racines superficielles qui favorisent la propagation du feu.

“Na terra de barro, o fogo não se dá muito bem no verão de queimar porque a terra não aquece direito como na areia. O barro não enxuga direito como a areia e fica mais difícil pelo fogo andar nele para queimar a mata.” [7]

“Sur la terre argileuse, le feu ne propage pas beaucoup en été car la terre ne chauffe pas autant que le sable. L’argile ne sèche pas bien comme le sable et il est plus difficile pour le feu d’avancer pour brûler la forêt.” [7]

57 Désigne des processus ou mécanismes qui évoluent dans un écosystème, et qui lient les organismes et leur environnement : production, décomposition, cycle des éléments nutritifs, perturbations et évolution de la succession des espèces, apports énergétiques et interactions entre les organismes au sein d'un écosystème.

“Onde tem barbas (pequenas raizes na superficia do chão) o fogo passa. No barro não tem dessa barba, só na areia.” [2]

“Là où il y des petites racines à la superficie du sol, le feu passe. Sur l’argile, il n’y a pas de ces petites racines, [il n’y en a] que sur le sable.” [2]

Un informateur attribue en particulier au feu la capacité de ressentir le chaud et le froid (on retrouve ici le parallèle opéré entre humidité et froideur, et chaleur et sécheresse) et, dans une certaine mesure, celle de choisir son itinéraire en fonction des types de sols :

“Tem partes da floresta onde passou o fogo, mas algumas partes escapara. São as partes mais abafadas como as grotas. Quando o fogo sente que é frio, ele não passa.” [10]

“Il y a des endroits dans la forêt où le feu passe mais d’autres en réchappent. Ce sont les parties les plus étouffantes comme les bas-fonds. Quand le feu sent que c’est froid, il ne passe pas.” [10]

Les zones forestières à forte densité de végétation, qualifiées à ce titre de "laides", sont les plus vulnérables au passage du feu, à l'inverse des zones "propres" (limpas, c'est-à-dire plus ouvertes, plus dégagées). Le feu brûle en premier lieu les plantes du sous-bois, celles qui constituent la strate du mato, les arbres adultes et sains n'étant que partiellement endommagés.

“Quando o fogo passa na mata, não queima todo, só o feio, o mato, os cipós...As árvores vivas não queimam fácil.” [3]

“Quand le feu passe dans la forêt, il ne brûle pas tout, seulement le laid, le mato, les lianes…Les arbres vivants ne brûlent pas facilement.” [3]

“Mesmo com fogo, as árvores grandões não morrem, só o mato. O mato miúdo vai crescer de novo depois.” [1]

“Même avec le feu, les très grands arbres ne meurent pas, [c’est] seulement le mato. Le petit mato va pousser à nouveau après.” [1]

“O fogo passa onde é mais feio, pois tem muito mato para queimar. Onde era limpo, queima menos. Nas partes mais limpas, o fogo passa a quentura rápida pois não tem muito para queimar.” [2]

“Le feu passe où c’est le plus laid car il y a beaucoup de mato à brûler. Où c’est propre, cela brûle moins. Dans les parties les plus propres, la chaleur du feu passe rapidement car il n’y a pas beaucoup de chose à brûler rapidement.” [2]

Les arbres ayant subi le passage du feu sont fragilisés et sont susceptibles par la suite de tomber ou d'être déracinés lors d'une intempérie :

“O fogo queima muitas árvores, mas também muitas delas só queimam pouco. Aí,

com temporal da chuva, a árvore vira e cai. Ai acaba de morrer. Aí, vaõ apodrecer a casca, a parte branca da madeira, e fica só o cerne no chão.” [2]

“Le feu brûle beaucoup d’arbres mais beaucoup aussi ne brûlent que partiellement.

C’est lorsqu’il y a une grosse pluie que l’arbre bascule et tombe. Ensuite, il finit par mourir. L’écorce et la partie blanche du bois [l’aubier] vont pourrir et il ne reste que le bois de cœur au sol.” [2]

La vulnérabilité des espèces au feu dépend, selon les Ribeirinhos, de plusieurs facteurs : - les propriétés de combustion du bois : ils distinguent ainsi les arbres "bons" ou "mauvais de feu" (árvores bons/ruins de fogo) et associent leur bonne ou mauvaise combustion à la densité de bois (madeira com cerne/ dura et madeira branca/ leve, "bois avec un coeur/bois dur58" et "bois blanc/bois léger"), et à une affinité réciproque (ou non) entre le végétal et le feu ("o fogo gosta/não gosta de tal madeira"/ Le feu aime/n’aime pas tel bois…", "árvores que gostam do fogo"/"les arbres qui aiment le feu", "árvores bons para chamar o fogo"/ "les arbres capables d’attirer [appeler] le feu").

“O fogo gosta mais daqueles que têm cerne porque ele não gosta de todas as madeiras brancas. Quase todas as madeiras de cerne é bom de fogo. O cumaru é madeira de cerne, é duro. Mas com o fogo, vai queimar e vai virar poeira. Já a madeira branca, como o morão, ele pode cair, mas não vai queimar. Não é muito bom de fogo não. O angelim queima até final também.” [14]

“Le feu préfère ceux qui ont du bois de cœur parce qu’il n’aime pas les bois blancs. Presque tous les arbres ayant un bois de coeur brûlent bien. Le cumaru est un arbre possédant un bois de cœur, il est dur. Mais avec le feu, il va brûler et se réduire en poussière. Alors que le bois blanc comme le morão, il peut tomber mais il ne va pas brûler. Il n’est pas très bon de feu. L’angelim brûle entièrement aussi.” [14]

- la présence de résine (breu) ou d´autres exsudats59 qui "attirent le feu", de même que la présence de fentes ou de cavités dans les troncs susceptibles de laisser entrer le feu :

“Tem outros paus também que não agüentam o fogo e morrem por causa do breu, da resina que eles têm: é o jutaízeiro e o jatobá, por exemplo. Eles são bons para chamar o fogo. Se o fogo toca numa resina do jutaí, ele queima mesmo. A resina é o leite dele. A pororoca também ela gosta do fogo: se ela pega, queima todinha e morre. Ela tem uma resina também, tipo breu, que o fogo gosta.” [13]

“Il y a d’autres arbres qui ne supportent pas le feu et qui meurent à cause du breu, de la résine qu’ils ont : c’est le cas du jutaízeiro et du jatobá par exemple. Ils attirent le feu (sont bons pour appeler le feu). Si le feu touche la résine du jutaí, celui-ci brûle entièrement. La résine est son lait. La pororoca aime également le feu: si elle le touche, elle brûle entièrement et meurt. Elle possède aussi une résine semblable au

breu que le feu aime.” [13]

“Qualquer galho do jutaízeiro tem essa resina. Então se tem um buraco, o fogo entra e acaba com a árvore.” [15]

“N’importe quelle branche du jutaízeiro a une résine. C’est pourquoi, s’il y a un trou, le feu y entre et achève (finit) l’arbre.” [15]

“O pau d'arco, ele é ocado, tem buraco no toco dele, por isso que o fogo queima ele e acaba com ele. O toco dele é quase todo podre.” [6]

“Le pau d'arco est creux, il y a un trou dans son tronc, c’est pour cela que le feu le brûle et le tue. Son tronc est presque tout décomposé (pourri).” [6]

58

Le bois de cœur ou duramen est la région interne du bois qui correspond aux zones d'accroissement les plus anciennement formées, qui ne comportent plus de cellules vivantes. Il s'agit d'un bois dur, compact, dense et sec et souvent plus sombre que l’aubier.

59 Les exsudats sont nommés par différents termes : "lait" (leite) lorsqu’il s’agit d’un exsudat assez liquide, blanc ou coloré (ex : cumaí, amapa, hévea, sucuúba, apuí), "huile" (óleo) lorsqu’il est plus liquide (copaíba), résine (breu) lorsqu’il est plus solide et relativement collant (jatobá, tenteiro vermelho). L’expression «sang de l’arbre» est aussi utilisé pour désigner les exsudats ou la sève.

Ces fentes sont le plus souvent causées par les termites (cupins) qui affaiblissent l´arbre, limitent sa croissance et le rendent plus vulnérable au feu. Il apparaît clairement une analogie entre la physiologie des êtres animés et celle des végétaux (référence à la fois au "sang" et à "l'intestin" des arbres pour désigner respectivement la sève et l'aubier).

“Se tem cupins na tronqueira da palha e que o fogo consegue pegar no cupim, aí sim, vai queimar. Não vai nascer mais palha nem nada. Se não tem cupim, o fogo vai rodar por aí e vai continuar saindo palha.”[2]

“S’il y a des termites dans le stipe de la palha [palmier curuá] et que le feu arrive à prendre les termites, alors oui, il [le palmier] va brûler. Plus rien ne va pousser après, ni palmier, ni rien. S’il n’y a pas de termites, le feu va passer par ici et d’autres palmiers vont pousser.”[2]

“É o cupim que comença a fazer o buraco dentro da árvore. Ele se cria dentro da madeira desde pequeno. Ela [a madeira] vai criando, e vai aumentando aquele cupim por dentro dela. Daí, vai crescer doente. O cupim acaba com a força da árvore, sugando o sangue da madeira. Ela ainda tem raiz, mas o intestino dela tá podre...” [10]

“Ce sont les termites qui commencent à faire les trous à l’intérieur de l’arbre. Le bois se forme et la termitière va se développer dans le bois.L’arbre va grandir malade. Les termites épuisent la force de l’arbre en lui suçant le sang. Il a encore des racines mais son intestin est pourri.” [10]

Les termites ont une préférence pour les bois dits "tendres" (madeiras moles), également appelés bois blancs (madeiras brancas), à cause de l’importance de l’aubier (cf. chapitre 10 pour une meilleure explication de ces termes locaux). Certaines espèces possédant un bois de cœur (ou duramen) peuvent être aussi parasitées si celui-ci n'est pas trop dur :

“O cupim prefere algumas árvores como o itaúba, o muirapixuna que têm um bichinho na madeira, que o cupim come. O cupim prefere a madeira mole.” [3]

“Les termites préfèrent certains arbres tels que l’itaúba, le muirapixuna qui ont un petit insecte dans le bois que les termites mangent. Les termites préfèrent le bois tendre.” [3]

“O cupim come a carne só da madeira mole. Ele come só algumas madeiras de cerne como o itaúba se ela tem uma falha, um buraco nela. Daí, ele pode entrar e vai comendo. Só algumas mesmo porque as outras são duras e ele não consegue entrar e comer. Tem madeiras com cernes duros e outros menos duros, que são mais faceís para trabalhar. Olha, o jutaípororoca é muito duro mas uma vez derrubado, ele não agüenta [a umidade] e fica mole. Aí, o cupím come rápido. É rapido para apodrecer.” [2]

“Les termites mangent seulement la chair du bois tendre. Ils mangent seulement des espèces à bois de coeur comme l’itaúba si celui-ci a une fente, une cavité. Alors, ils peuvent entrer et commencent à manger. Cela concerne seulement certains bois car les autres sont durs et elles n’arrivent pas à y entrer et à les manger. Il y a des bois avec un cœur dur et d‘autres avec un coeur moins dur, qui sont plus faciles à travailler. Tiens, le jutaípororoca est très dur mais une fois abattu, il ne supporte pas l’humidité et devient tendre. Alors, les termitent le consomment rapidement. Il pourrit vite. ” [2]

“Aqueles que pegam cupins são, por exemplo, a seringa, o itaúba (o cupim gosta muito dela), a muirapixuna (o cupim pega mas não consegui comer pois o cerne é duro), o cajueiro... O cajueiro é fácil de matar-o: o cupim vai roendo, até que morre. É só uma vez que tá morto, que ela está seca, que o cupim come...” [2]

“Ceux qui ont des termites sont par exemple l’hévéa, l’itaúba (les termites l’aiment beaucoup), la muirapixuna (les termitent l’envahissent mais n’arrivent à le manger car le coeur est dur), l’anacardier. C’est facile de tuer l’anacardier : les termites le rongent jusqu’à ce qu’il meurt. Ce n’est qu’une fois mort, lorsqu’il est sec, que les termites le mangent.” [2]

En revanche, certaines espèces sont plus résistantes au feu du fait de la présence d’une écorce interne fibreuse (envira, également appelées estopas) qui protègent l'arbre :

"A envireira é ruim de fogo: ela não vai queimar mesmo que teve no fogo pois, ela está saindo água "[8]

“L’envireira est mauvaise de feu: elle ne brûle pas même si elle prend feu, car elle exsude de l’eau. ” [8]

Toutes les espèces à envira ne sont pas cependant ruins de fogo, cela dépend de la taille mais également de l’épaisseur ou de l’humidité de cette écorce interne fibreuse :

“As enviras pretas ou brancas não agüentam o fogo pois a envira delas é fina, não protege. Só a castanheira que agüenta mesmo pois ele é alta e a estupa dela protege bem. É difícil ela morrer...” [14]

“Les enviras noires ou blanches ne supportent pas le feu car leur écorce interne fibreuse est très fine [et] ne protège pas. Seule la castanheira supporte vraiment [le feu] car elle est grande (haute) et son écorce interne fibreuse la protège bien. C’est rare qu’elle meure...” [14]

“Não são todas as madeiras que tem enviras que queimam. Se a envira não é seca, ela é resistente ao fogo. Mas se seca um pouco, a resistência acaba. É a envira que dá segurança na madeira.” [4]

“Ce ne sont pas toutes les essences qui ont des enviras qui brûlent. Si l’envira n’est pas sèche, elle est résistante au feu. Mais si elle sèche un peu, sa résistance disparaît. C’est cette envira qui protège l’arbre.” [4]

9.1.2 Formation de rejets et germination

Les informateurs décrivent de façon précise les processus de régénération de la végétation après le passage du feu en forêt, que ce soit dans la mata queimada ou la

capoeira. Ils distinguent les phénomènes de multiplication végétative avec la formation

de rejets de souche60 ("brotar do toco"/"pousser du tronc", "brotar do lado da

mãe"/"pousser du côté de la mère") et le drageonnement61 ("brotar da raiz"/"pousser de la racine"), et la régénération sexuée, via la germination de la banque de graines enfouie dans le sol.

60 Cependant, selon certains auteurs, la formation de rejet devrait être plutôt qualifiée de « persistance végétative » que de véritable multiplication végétative (à l’inverse du drageonnement) dans la mesure où la plante se perpétue dans le temps et non dans l’espace (Bellefontaine, 2005).

61

Le drageonnement est un phénomène naturel tandis que le drageonnage est obtenu après introduction par l’homme (Bellefontaine, 2005) : il s’agit de la production de pousses à partir des racines superficielles de l’arbre-mère.