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PARTIE I CONTEXTE, METHODE ET DESCRIPTION DU SITE D’ETUDE SITE D’ETUDE

CHAPITRE 3 LA FORET NATIONALE DU TAPAJÓS

3.2 Historique de l’aire protégée

Lors du processus d’implantation de la Flona Tapajós en 1974, l´Etat n´a à aucun moment pris en considération la présence de la population locale. Celle-ci fut ignorée, preuve en est l´absence de données démographiques ou sociales lors de la création de cette aire protégée (Almeida et Silva, 1990). LesRibeirinhos ne prirent conscience de la mise en place d’une Flona sur leur territoire qu’à partir de 1978, date à laquelle fut réalisé le premier inventaire démographique par l´IBDF dans le but d´appliquer par la suite une politique d´expropriation des terres. L´implantation et la régularisation des Flona supposaient en effet, selon le Code Forestier de 1965, que les terres soient complètement libres d´occupation ou de possession de titres de propriété foncière (Mappa, 1993).

Des familles entières furent ainsi expulsées, que ce soit le long de la BR163, du fleuve Cupari ou sur la rive droite du fleuve Tapajós (Leroy, 1991, Ibama/MIRAD, 1998, Carte 4). Trois communautés situées au nord de la Flona, à l’intérieur des terres, furent complètement « vidées » de leurs occupants (communautés de São João, Terra Rica et Jacamim) moyennant cependant une indemnisation des villageois possédant un titre de propriété légalement reconnu par l’Etat.

Lors de ce processus d’expulsion, le manque de coordination entre les politiques publiques aboutit à des situations absurdes : l´Incra, qui dépendait pourtant du même Ministère que l’IBDF (Ministère de l´Agriculture), ne fut informée de l´implantation de la Flona Tapajós que trois ans après sa création (Imaflora, 1996). Pendant ces années, elle continua donc à attribuer des terrains (des lotes) inclus dans les limites de cette aire protégée à des familles de colons, alors que l’IBDF tentait d’expulser ses habitants. Cette superposition d´intérêts pour un même territoire compliqua la situation foncière et mena à redéfinir plusieurs fois les limites de cette Flona. Suite à cette politique autoritaire menée par l´IBDF, les habitants s´unirent afin de résister aux expulsions. Divers syndicats, dont celui des travailleurs ruraux de Santarém, se joignirent à la lutte des Ribeirinhos pour faire respecter leurs droits de résidence sur des terres habitées et exploitées depuis des décennies.

En 1983, devant le refus persistent de la population locale à quitter leurs lieux de vie, l´IBDF fut contraint de reconnaître provisoirement l´exclusion des territoires communautaires (communautés de la rive droite du fleuve Tapajós) des limites de l’aire

protégée. Cette institution annonça alors aux communautés riveraines sa volonté de délimiter une aire où leur résidence serait autorisée, sans préciser toutefois la superficie de ce nouveau territoire. Ce revirement fut également motivé par le manque de conditions financières et humaines nécessaires pour appliquer une politique d´expulsion efficace et un réel contrôle dans les limites de l’aire protégée33. Cette décision fut bien accueillie par la population locale, qui vota en sa faveur lors d´une rencontre organisée à Santarém (IBDF/Flona Tapajós, 1983).

Suite à cette annonce, l´IBDF demanda à l´armée de délimiter les territoires communautaires sur une distance de quatre kilomètres en partant de la rive du fleuve vers l’intérieur des terres, soit, une superficie totale de 26 700 hectares pour l’ensemble des villages. Cette décision de fixer à quatre kilomètres la limite des terres des communautés fut prise sans consultation préalable de la population locale. Celle-ci jugea ce territoire insuffisant pour maintenir les activités de subsistance et extractivistes, fondées sur l’exploitation extensive de la forêt. De fait, les agriculteurs établissaient à l´époque des abattis à plusieurs kilomètres de la rive, pour accéder à des terres argileuses jugées plus fertiles (cf chapitre 5).

Les habitants se mobilisèrent afin d´empêcher la poursuite des travaux de délimitation initiés par les agents de l´IBDF et la police militaire, en leur interdisant l´accès aux forêts situées sur les terres communautaires. Ils entreprirent également de délimiter eux-mêmes les domaines forestiers jugés nécessaires à leurs besoins actuels et futurs, soit en déboisant sur quelques mètres, soit en plantant des piquets le long des limites revendiquées. Cette délimitation opérée par les villageois fut communément désignée comme étant le pico das comunidades ("le chemin, ou layon, des communautés") s´opposant en cela au pico do IBDF. Les territoires communautaires ainsi délimités s’étendirent jusqu’à dix kilomètres vers l’intérieur des terres en partant de la rive du Tapajós, soit plus du double de la surface initialement accordée par l´IBDF.

En 1990, l´Ibama, qui succéda en 1989 à l´IBDF, réalisa un inventaire forestier en vue d’implanter dans la Flona un grand projet d´exploitation forestière, geré par l'Organisation internationale des bois tropicaux (Itto en anglais) et fondé sur une gestion rationnelle de la forêt (IBDF/Programa Tapajós, 1982). Ce projet, intitulé Gestion de la

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... c´est-à-dire expulser les riverains mais aussi éviter l´installation de nouvelles familles, conviées par les habitants menacés d´expulsion afin de compliquer l´évacuation à grande échelle des villages (de tels cas ont été relatés par Ioris (2005).

forêt nationale du Tapajós pour une production durable de bois industriel34 fut officiellement autorisé par le gouvernement brésilien, suite au lancement du Programme pilote de gestion de Flona Tapajós en 1982 (également appelé Programme Tapajós). Le projet de l’Itto fut le premier mis en place dans le cadre de ce programme et fut planifié pour exploiter 5 000 hectares de forêts.

Les habitants réagirent mal à l´annonce du lancement de ce projet et ce, pour deux raisons principales. D´une part, parce qu’un quart du territoire retenu dans le cadre de ce projet se superposait aux territoires revendiqués par les communautés locales. Et d´autre part, parce qu´ils vécurent comme une injustice le fait que ce projet ait obtenu le droit d´exploiter la forêt alors qu´eux-mêmes se voyaient interdire par l’IBDF/Ibama l´accès aux ressources naturelles dont ils dépendaient pourtant directement pour vivre (interdiction d’établir des abattis, de chasser ou de prélever du bois au-delà des quatre kilomètres accordés). Enfin, ce projet ne prévoyait aucune retombée financière directe pour les communautés, excepté l´emploi de quelques habitants comme main d´œuvre pour la coupe des arbres. De par ces différentes raisons, dont la principale étant l´invasion de leurs territoires, leurs protestations à l’encontre des politiques publiques et du gouvernement s’intensifièrent.

Cette situation aboutit à l´organisation d´une grande assemblée intercommunautaire dans le village de Piquiatuba en 1992, réunissant la majorité des Ribeirinhos de la Flona. Le directeur de l´Ibama de Santarém et d´autres fonctionnaires de cette institution y furent invités. Durant ce rassemblement, la population revendiqua une nouvelle fois son droit à vivre sur son territoire et se positionna officiellement contre l´installation du projet Itto dans les limites du pico das comunidades. Cet événement fut un tournant important puisque les villageois obtinrent de l’Ibama l’arrêt des expropriations, bien que celui-ci ne fût officialisé que deux ans plus tard, en 1994. Cette annonce engendra une évolution positive dans les relations entre la population locale et l´Ibama puisque cette institution acceptait dorénavant de prendre en compte les intérêts de la population locale dans l´aménagement du territoire « Flona». Cette assemblée fut de plus l´occasion pour les Ribeirinhos de promouvoir la formation d´une commission chargée de discuter des questions foncières de l’aire protégée. Cette commission, dénommée postérieurement Groupe de Travail de la Flona Tapajós, regroupa des représentants de divers organismes ou institutions : représentants des pouvoirs exécutifs et législatifs, de l´Ibama, de l´Incra, de l´Embrapa, d´associations intercommunautaires

nouvellement créées, de syndicats et d´ONG locaux, ainsi que des représentants des diverses communautés35. En avril 1992, ce groupe organisa un atelier de travail pour définir la superficie des territoires attribués aux communautés. Suite aux divergences d´opinion sur ce sujet étant donnée la diversité des parties réunies, il décida de mener une étude socio-économique afin de déterminer précisément, et de façon plus objective, la superficie finale des aires communautaires nécessaire au maintien des activités agricoles et forestières de la population locale. Ce groupe décida également d’organiser un plébiscite auprès de la population locale riveraine sur la question du statut des communautés dans l’aire protégée.

Les résultats de l´étude socio-économique menée par ce groupe de travail en 1993 et coordonnée par un sociologue de l´Ibama, confirmèrent la nécessité de concéder aux villageois un territoire s´étendant approximativement jusqu´à dix kilomètres en forêt pour maintenir le système de production extensif de la population locale à long terme. La surface nécessaire fut estimée à 60 000 ha pour l´ensemble la Flona Tapajós. Cette étude allait donc en faveur de la délimitation effectuée par les villageois (pico das

comunidades). Cependant, pour le gouvernement et l´Ibama, accepter une telle

proposition supposait, entre autres éléments, la restitution des portions de forêt attribuées à l’Itto. Elle ne fut donc pas officiellement acceptée.

Parallèlement, le Programme pilote pour la conservation des forêts tropicales brésiliennes (PPG7) fut lancé en 1992. Ce programme, élaboré par des représentants du gouvernement brésilien, de la Banque Mondiale et de l´Union européenne, avait comme objectif de promouvoir à long terme un développement durable de l’Amazonie et de la forêt atlantique en insistant sur la conservation de la biodiversité, la réduction du taux annuel de déforestation et la réduction des émissions de dioxyde de carbone (Maennling, 2004).

35 C´est sous l´influence de l´Eglise catholique et dans un contexte de revendication et de contrôle de leurs territoires, que les communautés de la région du Tapajós ont commencé, dans la décennie 1970, à élire, des représentants officiels composés d’un président, d’un vice président, et d’un trésorier. Ce processus répondait à une nécessité d’organisation au niveau socio-politique afin d’envoyer des représentants villageois aux nombreuses réunions intercommunautaires, ou impliquant les institutions publiques, dans le contexte conflictuel de l´époque liée à la création de l’aire protégée (Lins et Silva 1980). Le choix de ces représentants se fait au cours de votes communautaires dans chaque village. La durée de chaque fonction n´est pas fixée ou limitée, les personnes élues pouvant exercer pendant de nombreuses années si leur action est jugée satisfaisante par les autres habitants. De la même façon, elles peuvent être remplacées si elles sont jugées incompétentes. Les villageois élus sont les interlocuteurs privilégiés des institutions publiques. Ils sont chargés en particulier de faire le lien entre l´Ibama et la population locale. Les décisions qu’ils défendent devant cette institution doivent refléter une position collective, ou du moins majoritaire, des habitants de chaque communauté sur un sujet donné.

Le projet Promanejo, élaboré dans le cadre de ce programme, visait à appuyer la gestion durable des forêts naturelles d’Amazonie, se rapprochant ainsi des objectifs du Programme National brésilien des forêts nationales (PNF) dépendant du Ministère de l´environnement. Le ProManejo s’appuie sur quatre composantes principales : i) appuyer des initiatives de gestion forestière auprès de communautés ou d’entreprises, ii) développer un système pilote de contrôle et de gestion des activités de déforestation en Amazonie; iii) aider à la formulation de politiques publiques- notamment le PNF- à travers des analyses stratégiques et recommendations; iv) appuyer la participation de la société civile dans l’administration de la Flona Tapajós (Maennling, 2004). Dans sa composante IV, ce projet porta plus particulièrement sur le cas de la Flona Tapajós avec pour objectif de garantir une participation intensive des communautés locales dans l´administration et le fonctionnement de l’aire protégée à travers l´élaboration d´un modèle de gestion participative (Ibama/MMA, 2004b). Dans le cadre de ce projet, l´Imaflora fut responsable de l’élaboration d´une première proposition de Plan de gestion participatif de la Flona, en collaboration avec l’Ibama36. Un atelier de travail fut organisé, regroupant les représentants d´organismes locaux, nationaux et ONG en octobre 1995. Cet atelier se focalisa sur la question de la régularisation foncière, celle-ci ayant été posée par les participants comme préalable à l´élaboration d´un premier Plan de gestion de l’aire protégée. Ils soulignèrent également l´importance de mener jusqu’au bout le plébiscite qui avait été envisagé déjà par le Groupe de travail de la Flona Tapajós en 1992 afin de déterminer le statut des territoires revendiqués par les populations locales. Celui-ci fut finalement réalisé en février 1996. Trois propositions furent avancées et soumises au vote : i) les territoires des communautés sont exclus des limites de l’aire protégée, ii) ils sont exclus mais transformés en aire de protection environnementale (APA), une catégorie appartenant également à celle des réserves d´ utilisation durable, iii) ces territoires restent dans la Flona, en échange de concessions d´usage attribuées aux familles. Finalement, près des trois quart des villageois votèrent en faveur de l´exclusion de leurs communautés des limites de l’aire protégée. Ce vote fut mené au moment où l´Imaflora organisait un second atelier de travail pour mener à bien une cartographie communautaire.Celle-ci avait pour but d´identifier l´organisation sociale et historique des communautés et leur système de gestion des ressources naturelles. En s´appuyant sur les données de cette nouvelle étude, l’Imaflora proposa d’augmenter la superficie des territoires à accorder aux communautés, de près de 6 000 ha pour l´ensemble de l´aire occupée. Malgré son acceptation temporaire des

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La collaboration de l’Imaflora fut requise par la Banque Mondiale et les autres financeurs du Programme pilote, suite au refus de la première version du sous-projet pour les Forêts nationales présentée par l’Ibama (Ioris, 2000).

délimitations du pico das comunidades ouvert en 1983, l´Ibama rejeta cette troisième37 proposition, ignorant volontairement la démarche participative engagée par l’Imaflora pour mener à bien cette cartographie. Certains représentants de l’Ibama considéraient en effet le territoire réclamé par les communautés excessif par rapport aux besoins des familles et ce, malgré les études socio-économiques précédemment menées qui prouvaient l’inverse (Ioris, 2005). Barreto (2001) attribue ce rejet de l´Ibama à une certaine exclusivité de cette institution dans l´administration des questions environnementales au Brésil et, par conséquent, à sa résistance à travailler en coopération avec des ONG et les populations locales.

L’Ibama ignora également la décision des villageois de voir leurs territoires exclus de l’aire protégée. Au contraire, cette institution se rattacha à la position officielle du gouvernement de maintenir les aires habitées et exploitées dans l´enceinte de l’aire protégée, en s’appuyant sur un nouveau décret publié en 1994 concernant la réglementation des Flona. Celui-ci mettait officiellement fin à l’expropriation des populations locales des Flona lorsque leur présence sur les terres était antérieure à la création de l’aire protégée. Il légalisa en conséquence la permanence de la population locale dans les limites de l’aire protégée, en lui conférant le statut de « population traditionnelle» (MMA/Ibama, 2006). Ce fut finalement une manière habile de contourner la décision de la population locale en modifiant son statut pour ainsi justifier l’inclusion des terres communautaires dans les limites de l’aire protégée.

Selon Ioris (2005), plusieurs motifs expliquent la volonté de l´Ibama de conserver les aires communautaires dans l’enceinte de la Flona :

- le refus de morceler le territoire de la Flona, et de risquer ainsi de compromettre le projet Itto en restituant des portions de forêts de fort potentiel pour l'exploitation de bois,

- la volonté de garder le contrôle de l´accès aux ressources et aux forêts, à travers des concessions d´usage, comme mesure « compensatoire » face à l'impossibilité d´expulser les villageois des limites de la Flona,

- le fait que l´approche participative, et donc l’inclusion des terres communautaires dans l’aire protégée, était une exigence des agences de financement de la composante IV du ProManejo.

Le relais établi entre les communautés locales et les organisations civiles et ONG travaillant sur les questions environnementales apporta une nouvelle dimension

37 la première étant celle de l´Ibama en 1983 (imposée plus que proposée), et la seconde, celle issue du relevé socio-économique réalisé en 1993.

politique au conflit opposant les populations locales et le gouvernement. Cette période de mobilisation fut une étape clef dans la revendication identitaire des villageois, ces derniers s’appropriant le statut de "population traditionnelle" afin de revendiquer leurs droits d'occupation des terres et l’accès aux ressources (Ioris, 2005). L'impact du conflit social prit tant d'ampleur qu'une réunion fut organisée à l'Ibama de Brasília avec des représentants de différents parties (président de l'Ibama, coordinateur général de l'Itto, de nombreuses ONG - Greenpeace, Friends of Earth, Imaflora, WWF, GTA- des représentants des syndicats de travailleurs ruraux de Santarém et des représentants des communautés locales de la Flona). Les positions divergentes et la difficulté à trouver un accord pendant cette réunion menèrent le président de l'Ibama à se rendre en personne dans la Flona pour négocier directement avec la population locale en août 1997. Cette ouverture de l’Ibama à la négociation fut, facilitée par le remplacement, en 1996, de l´ancien chef de la Flona Tapajós, par une sociologue plus ouverte au dialogue. Celle-ci essaya de faire évoluer le choix des habitants à propos de l’exclusion de leurs territoires des limites de la Flona Tapajós, par un compromis : ils pourraient bénéficier de concessions d´usage dans l´aire protégée après avoir soumis à cette institution un Plan d´Utilisation Communautaire.De plus, l’Ibama garantissait que le projet Itto se retirerait des portions de territoire revendiquées par la population locale (bien que celui-ci ne se soumit que partiellement à cette restriction par la suite).

Parallèlement à cela, la première version du Plan de gestion de la Flona Tapajós fut présentée en 1996 incluant un zonage de l’aire protégée en dix aires définies selon leur type d´usage et leur degré de protection (Ibama/MMA, 2004b, Encadré 2, Tableau 15 et Carte 5).

Encadré 2. Zonage de la Flona en dix aires définies selon leur type d´usage et leur