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L’État moderne gabonais est né en 1960, mais il reste encore un « État en construction ». Il doit assurer son propre développement. En effet, sa préoccupation majeure a été d’abord la promotion de son propre développement et la consolidation de ses moyens d’hégémonie. Ainsi, une volonté réelle de la part des décideurs se fait ressentir dans la création des grandes entreprises publiques. La mise en place d’un secteur public se révèle alors comme le prolongement de l’action de la puissance publique par la création des richesses et des emplois. Dans ce cas, les entreprises publiques se présentent donc comme une suite logique de la stratégie d’amplification de l’État, stratégie qui conduit le régime dans un élan de « confiscation » et de maintien de leur régime politique et de leur autorité.

De ce point de vue, la création des entreprises publiques apparaît donc comme une nécessité, du fait que leurs buts consistaient à prolonger l’action de l’État (création des dispensaires, emplois, écoles, routes, etc.), dans l’intérêt d’améliorer le niveau de vie des populations. Certains auteurs dont J. De Bandt, tout en restant dans la mouvance développementaliste, justifient l’existence des entreprises publiques dans les pays subsahariens par la carence des alternatives adéquates aux structures économiques encore fragiles. L’État se trouve donc (et se trouvera encore) dans l’obligation de suppléer à cette carence par la création d’entreprises, au risque de supporter lourdement des charges superfétatoires grevant le budget de la nation. Par rapport à cela, il ressort donc que l’entreprise est ainsi une nécessité qui découle d’une part des réalités économiques du Gabon, et d’autre part, de la stratégie de développement initié par les autorités gabonaises.

Cette approche est clairement mise en évidence par J. De. Bandt pour qui : « le secteur public a été une “forme d’organisation” nécessaire, et cela pour diverses raisons, tenant d’une part au contexte (…) et au type de projets industriels que l’on cherche à développer (…). Si ceci est exact, “les mêmes causes produisant les mêmes effets”, il y a tout lieu de penser qu’au moins dans un certain temps nombre de pays, dans un certain nombre d’activités et pour un certain temps, ces mêmes causes rendrons toujours nécessaire le statut du secteur public »34. Cette analyse se structure autour de quatre arguments fondamentaux :

- En premier lieu, l’État est tenu de prendre en charge ce que le privé ne veut pas faire en dépit des situations de déficits chroniques que cela pourrait engendrer.

34 Dans les P.V.D. : Algérie, Côte-d’Ivoire, Sénégal, thèse de 3 ème cycle, Janvier 1983, Université Paris 1, P. 18 Revue Tiers-Monde : Tome XXIX, N 115, Juillet-Septembre 1988, p. 944. Cité par I. Chitou dans sa thèse d’économie, p. 87.

En effet, les activités industrielles n’attirent pas particulièrement les opérateurs gabonais ; ceux-ci ont une aversion pour l’industrie qui, à leurs yeux, n’offre pas des situations de gains immédiats et importants et présente de surcroît des risques énormes, à tout le moins des « collages » financiers considérables. Les hommes d’affaires locaux sont souvent des négociants, des courtiers ou des commerçants à petite et moyenne échelle, qui s’intéressent très peu (ou presque pas) au secteur industriel. En revanche, ils affectionnent beaucoup les activités commerciales diverses qui dégagent bien souvent des profits immédiats et ne nécessitent pas d’investissements lourds. C’est donc par nécessité que l’État consacre ses efforts et moyens à promouvoir des activités qui ne sont pas en mesure de dégager des excédents appréciables.

- En second lieu, les premières phases d’industrialisation entraînent généralement des surcoûts importants liés au recours à des compétences étrangères, à l’importation des technologies nécessaires et aux difficultés d’apprentissage d’un mode de production industrielle. Dans ces conditions, qui pouvait supporter ses charges, hormis l’État ? La création des entreprises publiques trouve en fait sa justification dans l’absence d’alternative correcte.

- Ensuite, le mode d’industrialisation adopté (par imitation) impliquait une mise en place d’un système organisationnel adéquat qui débouchait nécessairement sur le développement du secteur public. L’entreprise publique répondait ainsi au souci impérieux de création d’un cadre répondant aux exigences d’un système technico-industriel.

- Enfin, il découle de l’argument précédent que l’entreprise publique pouvait devenir une force de pression au sein des structures politicoadministratives et influer sur l’environnement économique global. Elle répondait au souci de la mise en place d’un modèle organisationnel de la société.

Il y a donc eu convergence entre la politique de développement national et les stratégies de développement de ces entreprises. Cette convergence s’établit d’autant plus facilement que l’entreprise publique a été véritablement l’instrument privilégié de la politique de développement économique du Gabon. Dans ce cas, l’État apparaît à la fois comme concepteur, décideur et stratège. Il a utilisé l’entreprise publique pour atteindre ses objectifs de développement économique et social.

En somme, l’entreprise publique était un des instruments du développement économique et social. Eu égard aux caractéristiques des économies (dualisme/dépendance), nombre d’hétérodoxes (développementalistes) sont sceptiques quant aux profits réels que ces pays pourraient tirer, à court et moyen terme, du marché mondial (l’échange étant très inégal).

Pour ce faire, il leur paraît très convenable que l’État prenne en charge la création des infrastructures d’ensemble, de grands équipements et des investissements publics directs dans l’industrie. C’est à lui que revient le rôle de l’élaboration des politiques de développement en pesant sur les divers paramètres économiques. Il doit cependant multiplier des mesures d’incitations pour favoriser le dynamisme du secteur privé.

Ainsi, de ce qui précède, il ressort clairement que ce sont les logiques sociales et politiques qui ont prévalu lors de la création des entreprises publiques au Gabon. Cependant, par rapport aux différents contextes sociohistoriques de la création des entreprises publiques au Gabon, comment s’est constitué le monde salarial au Gabon ?

II- L’émergence du travail salarié au Gabon

Le « travail du blanc/travail salarié », méconnu du système de production traditionnel gabonais, qui était basé sur un enseignement de travail communautaire et d’équilibre social, a été introduit par la colonisation. Le rythme de travail dans la société traditionnelle bien qu’intensif n’était pas fonction des « horaires d’horloge », mais d’« horloge biologique » comme le notent le sociologue Jean Emery Etoughé-Efé (2000) et l’anthropologue Jean-Emile Mbot35.

C’est ce qui a valu aux indigènes le qualificatif de « paresseux ». En effet, l’avènement du travail forcé est mu par la volonté du colonisateur de contraindre le noir à exécuter des travaux d’intérêt général pour l’Europe. Le salaire fût réglementé en 1903 par un décret général en date du 11 mai, stipulant qu’un contrat de travail devait être signé entre le chef de village et ses administrés, ainsi qu’un livret de travail devait être établi pour chaque travailleur. Avec ces premières formes de salaires sont apparus les pionniers de la classe ouvrière qui évoluent dans l’industrie du bois au Gabon.

Ainsi, pour comprendre l’évolution de la société actuelle, il semble pertinent de la mettre en adéquation avec la société traditionnelle. Cela permet bien évidemment de tirer les enseignements des changements sociaux, économiques, culturels et même politiques. Je vais cependant m’abstenir de faire l’histoire du Gabon, car la description et l’analyse doivent suivre une démarche dynamique et non statique. Comme le souligne Georges Balandier, « il

35

Voire l’article de Mbot J-E., «L’entreprise n’est pas notre patrimoine », in Cahier gabonais d’anthropologie, n°2 Libreville : Université Omar Bongo, 1998.pp. 127-134

ne suffit pas d’établir une limite entre le passé et le présent pour appréhender le changement. Il faut, au contraire, repérer comment le système traditionnel évolue sans être détruit »36. D’où l’intérêt de ce chapitre.