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La « gabonisation » ou le triomphe du culturel à la SMAG ?

2.1- Mobilité, adaptation et reconversion à la culture de travail de la SMAG

6- La « gabonisation » ou le triomphe du culturel à la SMAG ?

Un certain nombre de théoriciens de la contingence (Katz et Khan, 1966) ont déjà insisté sur le rôle de l’environnement socioculturel. L’approche de la contingence précise qu’il est probable que d’autres facteurs internes ou externes propres à l’organisation et à son environnement aient un effet sur une ou plusieurs de ces composantes (Fabi, Garrand et Pettersen, 1993). Cette théorie voit l’entreprise comme un système ouvert, constitué d’un ensemble de sous-systèmes en interaction constante, et dont la survie dépend de l’adaptation à leur environnement.

L’entreprise a rarement le contrôle souverain de ses actions. Par exemple, elle doit acquérir les ressources nécessaires et disposer de sa production, et elle dépend, par conséquent, de l’environnement socio-économique extérieur. Elle est tributaire des échanges qu’elle entretient avec son milieu où elle puise ces ressources et où elle écoule ces biens ou services. Ce milieu lui impose des contraintes qu’elle peut toutefois chercher jusqu’à un certain point à transformer et à modifier (Thompson, 1967 ; Marchesnay et Julien 1990).

La Société Meunière et Avicole du Gabon n’est pas bien sûr déconnectée de la vie sociale. On y trouve des éléments de la tradition comme, des visites personnelles, les langues locales et les cérémonies ponctuées de pratiques rituelles. Il y a aussi comme dans toutes les entreprises par la procédure d’intégration, de pots de départ en retraite, etc.

6.1- Les mythes, rites et signes

Matériaux culturels en perpétuelle évolution, les mythes, rites et signes constituent le cœur de la culture d’hybridation de la Société Meunière et Avicole du Gabon. Ils donnent du sens à l’ensemble des signaux culturels, conscients ou non, que la SMAG émet et qui constituent un système d’ordre symbolique appréhendable par tous.

Le mythe fondateur de la Société Meunière et Avicole du Gabon est une histoire que l’on raconte, et qui se transmet de génération en génération selon les différentes catégories des

travailleurs. En effet, il est à la fois un récit des origines, un acte de naissance de la vocation de la SMAG et une représentation de son système. Ce mythe peut se référer à un territoire et à un ancêtre fondateur. Comme le note cet interlocuteur déjà cité plus haut :

« (…) La SMAG était un vrai village. Les 80 % des employés étaient tous de

Lalala. Pour eux, la société leur appartient. Le terrain sur lequel la société est installée est sur leur territoire. En fait, dans les années 1960, cette parcelle du territoire avait été cédée aux colons par le père de l’actuel DG de la société. À l’arrivée des Blancs, la famille qui occupe des postes de responsabilité aujourd’hui dans la SMAG a côtoyé les Blancs. Les Blancs pour remercier cette famille recrutent leur descendance. Et ce sont eux qui ont occupé les postes de responsabilité depuis la création de la société. Aujourd’hui, ils considèrent la société comme un patrimoine familial. Il fut une époque, nous avions un « grand cadre » dans la société qui avait un niveau 5ème, c’était un membre de leur famille. Il ne savait pas faire grand-chose que signer des papiers. Chaque membre de cette famille, avant d’aller en retraite, souhaite laisser son fils dans l’entreprise. Dans leur l’esprit, la SMAG est un village, leur affaire. Cette situation a changé un peu quand l’État a décidé de prendre le contrôle d’une partie des parts (…) »139

.

Ce mythe se réfère à un ancêtre fondateur et à un territoire. Le recours au mythe est un outil efficace pour les travailleurs de la SMAG pour comprendre leur entreprise : il recèle le modèle culturel inconscient ; un credo autour duquel la culture de la SMAG se structure, avec des stratégies précises, des façons d’aborder des changements, des positionnements, voire des clientèles. Un mythe fondateur explicite sémantiquement un système d’ordre (symbolique) qui régit les interdits et les tabous, les permissions et les tolérances.

Le schème symbolique qui s’illustre à travers un mythe fondateur de la SMAG répond à plusieurs critères. Le mythe fondateur est d’abord et avant tout une transgression. Autrement dit, le fondateur se pose en rupture avec les idées reçues véhiculées au moment de la fondation de la SMAG. C’est une nouvelle vision du monde qu’il souhaite proposer en cédant la parcelle de terre aux colons. Mais le mythe fondateur est rarement formulé, explicité par le

fondateur. En revanche, il est traduit dans la réalité vécue des employés de la Société Meunière et Avicole du Gabon grâce aux discours, rites et signes.

Dégageons d’abord du terme « rituel » toutes les considérations péjoratives qui lui sont le plus souvent attachées. Un rituel n’est pas exclusivement un acte mystérieux, répétitif ou routinier. C’est aussi, une pratique ou une cérémonie coutumière formalisée et réglée de nature sacrée et symbolique. La définition de rite englobe désormais les activités organisées et codifiées ayant une fonction de reconnaissance, d’identification et de communication et indispensable à la vie sociale : c’est le cas des anniversaires, formules de politesses, gestes signifiants, etc. La façon de s’adresser à ses collègues, supérieurs ou subordonnés est structurée par toute une série de déterminants : hiérarchie, sexe, existence d’une connivence extérieure à l’entreprise, culture nationale, etc. À l’instar de ce qui se passe dans la vie hors de l’entreprise. En effet, on ne s’adresse pas à son oncle comme on s’adresserait à son neveu (hiérarchie) ou à sa sœur par rapport à son frère (sexe), etc.

Le respect et la politesse sont donc le premier rituel séculier à l’intérieur de la Société Meunière et Avicole du Gabon. Il s’agit d’adopter un comportement correct, adéquat et admis, envers des collaborateurs pour assurer la cohésion du groupe.

En fait, tout manquement à ce comportement peut entraîner une frustration pour la personne qui en est victime.

Rites d’intégration, rites d’appartenance ou rites de séparation, les rites servent généralement à inscrire dans le temps et les esprits des passages d’un état ou d’un statut social à un autre. C’est par exemple l’enfant qui devient adolescent, la femme qui devient mère, le jeune qui se marie (Marc Lebailly et Alain Simon, 2004), le profane qui s’initie. Les rites sont des comportements vécus, le plus souvent inconsciemment, comme des signes de reconnaissances ou de réassurance à l’intérieur d’une unité humaine quelconque (Jean Marie Ndékamotsébo, 2004).

Du point de vue de l’anthropologie du travail et entrepreneuriale, les rites aux conduites et comportements se superposent à ceux qui sont régis par des membres de l’entreprise. Ils prennent des formes variées : rites d’introduction (variante du rite d’initiation), rites d’institution et de commémoration, rites de motivation (Marc Lebailly et Alain Simon, 2004, p.54).

La Société Meunière et Avicole du Gabon est un lieu de production de rites qui rythment les différents moments de la vie de ses membres : l’embauche, la promotion, la

formation, la fête du Travail (1er mai), la fête de l’indépendance du Gabon (17août), la retraite, les décès et les mariages des salariés ; ils rendent légitime le parcours d’un individu

au sein du collectif. Ces rites sont constitutifs de la vie sociale de l’entreprise ; ils en garantissent généralement la cohésion sociale optimale. Parfois, on peut les considérer comme négligeables pour le bon fonctionnement des processus d’échanges, de communication et de production. Mais si on les examine précisément, on constate que leur éventuelle suppression crée des difficultés, ou bloque le processus d’échanges indispensables à la survie de l’entreprise. C’est ce qu’explique cet interlocuteur qui évoque les départs à la retraite :

« (…) La seule chose que je déplore dans cette société, c’est le départ en retraite

qui n’est pas vraiment honoré. Par exemple, après 35 ans de services, trente ans de ta vie passée dans l’entreprise, les dirigeants te laissent partir même pas avec une radio cassette. Et cela, c’est surtout pour les manœuvres ; la société ne sait pas dire au revoir aux gens (…) »140.

Il s’agit bien là de voir le sens du cadeau au-delà de sa valeur.

Pour mieux illustrer les pratiques rituelles en entreprise, je prends quelques exemples vécus à la SMAG et que l’on retrouve dans le quotidien national « L’Union Plus ». Le premier exemple concerne la succession, le 17-03-2005 d’un Directeur général d’origine française par un Gabonais. Lors de ce changement, le Directeur général et tout le personnel avaient organisé une grande fête pour souhaiter « la bienvenue au nouvel arrivant » et remercier le Directeur général sortant pour s’être « investi avec foi et qualité à son poste. Celui-ci s’est vu décerner la médaille d’Officier du Mérite Gabonais des mains du haut représentant personnel du Président de la République »141. Le discours du Directeur sortant a été émouvant. Il a relaté tous les souvenirs de sa vie professionnelle à la SMAG. Quel enseignement peut-on tirer de cette cérémonie ?

En effet, dans la société traditionnelle, lorsqu’on reçoit un parent ou un étranger pour quelques jours, sont départ fait toujours l’objet d’une cérémonie, d’au revoir ou d’adieu. Tous les membres de la famille ainsi que les autres villageois se regroupent autour du partant. On y procède alors à des conseils, à l’échange des cadeaux et aux souhaits de bon voyage : tout cela ponctué d’un pot au cours duquel les uns et les autres discutent une dernière fois avec le partant, sous le signe de l’émotion.

140 Raoul Akine est responsable du département camionnage du service transit entretien, op. cit. 141

Maxime Serge Mihindou, « Société et culture : cérémonie d’au revoir au DG », in L’Union Plus quotidien

Comme on peut le remarquer, cette cérémonie rituelle a inéluctablement des similitudes avec la cérémonie organisée par la SMAG pour remercier et dire au revoir au Directeur général, notamment le pot de départ, les concertations (souhaits de bonne continuation) et l’échange des cadeaux (en l’occurrence médaille pour le travailleur de la SMAG).

Un exemple tout aussi significatif concerne cette fête organisée par l’administration de la SMAG pour congratuler son personnel des résultats probants de 2005 et jamais atteints auparavant. Le magasine La Cité Bouge précise que « la Direction a chouchouté le personnel. Délirants cocktails, buffets très longs où l’on pouvait manger tout ce qu’on veut, et décorations pour les plus anciens travailleurs de la SMAG. Pour la circonstance, une danse traditionnelle élone était invitée pour animer ladite cérémonie. Au cœur de l’Estuaire, dans le village Nkoltang, dans la pure tradition gabonaise s’est tenu le conseil d’administration de la SMAG. Entre les chants et les danses traditionnels locaux, les administrateurs ont salué les résultats « historiques » de la SMAG qui franchit pour la première fois de son histoire la barre de 13 milliards de FCFA142.

Ce deuxième exemple est assimilable à la fête que peut organiser un chef de famille ou un chef de village pour saluer les bons résultats liés par exemple à une bonne production agricole.

Le dernier exemple lié à des rituels concerne l’assistance liée au mariage d’un agent ou à la naissance d’un enfant et au décès.

À la Société Meunière et Avicole du Gabon, lors d’un mariage, les travailleurs procèdent à la collecte des présents à offrir aux futurs mariés. Au moment du mariage, les deux conjoints ainsi que leur progéniture sont pris en compte par l’employeur. Il s’agit notamment de la couverture sociale, des frais de voyage, des cadeaux de fin d’année, etc. en général, la venue d’un enfant sont un grand événement. À la SMAG par exemple, une prime de 25 000 F CFA est accordée à tout travailleur qui attend un enfant. C’est dire qu’autant l’arrivée d’un enfant mobilise toute la famille, autant celle-ci est prise en compte en milieu entrepreneurial.

Dans la société traditionnelle, le mariage est l’un des plus grands événements qui mobilise toute la famille. En effet, malgré la monétarisation des échanges, la famille se réunit toujours pour collecter la participation de chacun en vue d’aider le marié à constituer la dot.

On a déjà vu que pour une naissance, les parents donnent souvent des habits ou des articles dont ils ne s’en servent plus à une mère qui vient d’enfanter ou qui attend un bébé.

Comme dans l’univers social, les funérailles en milieu à la SMAG connaissent la même mobilisation. Le plus souvent, dès l’annonce d’un décès, l’information est répercutée dans toutes les directions et services de la Société Meunière et Avicole du Gabon. Puis, des collectes sont organisées en urgence et en « exigence ». Les parents du défunt ou de la défunte sont assistés par les collègues de travail.

Assistance aussi bien matérielle, financière que morale. Selon Ndong Jean-Christian du personnel, lors d’un évènement particulier ; (mariage, décès, retrait de deuil, etc.) l’on observe souvent à des demandes de permission des arrêts de travail, sans que personne ne songe à penser à la sous-production que cela pourrait occasionner à l’entreprise. Suite aux problèmes rencontrés par les travailleurs, le Code du travail a mis en place un article pour des permissions exceptionnelles et c’est cet article qui est appliqué par la hiérarchie de l’entreprise.

ART.43 du code de travail Permission exceptionnelle pour évènements familiaux.

43.1 À L’occasion d’événements familiaux touchant directement son propre foyer, des permissions exceptionnelles pourront être accordées au travailleur sur présentation de pièce d’État civil ou justification probante, dans les conditions suivantes :

 Mariage du travailleur………4 jours

 Mariage d’un enfant………...2 jours

 Mariage du frère ou de la sœur………..1 jour

 Décès d’un conjoint, du père, de la mère, d’un enfant… ……..5 jours

 Décès du frère, de la sœur………2 jours

 Décès du beau-père, de la belle-mère………..3 jours

 Naissance d’un enfant………..3 jours

 Cérémonie religieuse………1 jour Déménagement sur instruction de la direction……….1 Jour

43.2 Ces permissions exceptionnelles peuvent être accordées dans la limite de 13 jours par année sans retenue de salaire et sans réduction de la durée du congé requis.

43.3 Si l’évènement se produit hors du lieu d’emploi et nécessite le déplacement du travailleur, les délais ci-dessus pourront être prolongés d’accords partis. Cette prolongation ne donnera pas lieu à rémunération.

Les salariés aimeraient voir sur cet article des permissions prévues pour le décès des oncles, de la grand-mère ou encore de la nièce qu’ils classent dans la lignée des parents proches. Comme quoi le travail du blanc ne finit pas !!!