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36.2 E QUIPEMENT ADÉQUAT [C OND E XT -E QUIP ]

36.2.1 Logiciel (applications) [CondExt-Equip-Logi]

Pour qu’une ressource soit utilisée concrètement en classe à travers une activité pédagogique, celle-ci doit plaire à l’enseignante lorsqu’elle la teste pour la première fois. En effet, le jugement se fait rapidement, surtout lorsque les enseignantes désirent passer en revue toutes les applications et tous les contenus de la tablette qui leur a été livrée. Elles doivent percevoir une utilité pédagogique possiblement applicable dans leur classe. Le niveau de difficulté de la ressource doit être adapté au niveau des élèves et au plan d’études en vigueur dans le canton. De plus, une application qui demande trop de temps d’appropriation par ces enseignantes ne sera pas gardée.

Ens1: « Trop compliqué. » - Ens2: « Ah, c'est ce truc horrible ! J’ai mis un temps là-dessus… Ça, je ne donne pas en classe. C'est trop compliqué pour nos élèves du primaire. Ça peut être plus intéressant pour des élèves du cycle. » [P2-§208]

De plus, les applications doivent être adaptées au programme sur lequel les enseignantes travaillent à ce moment, d’où l’importance de mettre à disposition des enseignantes des applications couvrant le programme d’une discipline sur plusieurs mois, un semestre, voire idéalement une année scolaire.

Ens1 : « C’est une application intéressante mais elle arrive trop tard. On a déjà terminé ces exercices en géométrie… » [P8-§197]

Lorsque nous avons abordé le sujet du contenu de la tablette idéale, si celle-ci se voyait intégrée dans l’enseignement primaire de manière généralisée, nos enseignantes répondent alors du « tac au tac » en la positionnant directement en lien avec le plan d’études romand.

Ens2 : « Avoir des applications en lien avec le programme, simplement. » - Ens1 : « Ouais. » [P9-§125-130]

Ainsi, le dispositif PERMITIC, élaboré par le centre fri-tic, permettant de faciliter la tâche des enseignant-e-s dans l'atteinte des objectifs MITIC du PER en leur mettant à disposition des séquences d’intégration et des outils de suivi, voit ici tout son sens. Nous avons voulu savoir ce que pensaient les enseignantes du scénario éventuel à travers lequel elle se verrait fournir en début d’année quelques tablettes neuves, sous cellophane, et sans aucun contenu ni application intégrés. A ce moment-là, leurs visages ne semblent pas des plus réjouis.

Thierry : « [...] et vous débrouillez avec comme vous voulez. Ça serait une des options possibles. » - Ens1 :

« [l’air dubitative] Mouais… Alors ça je pense que… mmh… » - Ens2 : « Euh, enfin… ça je sais pas si ça passe.

Ben nous, on était quand même bien contentes d'avoir ces applications déjà installées sur les machines. » - Ens1 : « Ouais. » [P9-§125-130]

Le fait de chercher et trouver les applications qui correspondent à leurs attentes semblent être une activité plutôt contraignante et chronophage pour nos deux enseignantes. Nous reviendrons plus tard sur cette problématique liée à l’intégration (ou non) d’applications dans une configuration de tablette pour l’enseignement primaire (36.2.1).

Le nom de l’application semble lui aussi très important. Cela a effectivement été un critère de choix pour le passage à l’installation de ces applications par les enseignantes. En effet le nom Tangram Enseignant ou la présence de l’appellation CM2150 dans le titre iTooch Math permet de cibler très clairement le public à qui se destine cette application. Ce type d’informations présentes dans le titre ou la description de l’application

150 CM2 est une appellation liée au système scolaire français, et dont l’équivalence serait 7P HarmoS.

119 peut faciliter et légitimer le choix des enseignant(e)s pour leur éventuel futur usage de l’application en

classe.

Ens1 : « Ce que je trouve le plus ennuyeux en quelque sorte, si on peut dire, c'est de chercher et trouver la bonne application. Bon quand j’ai vu Tangram Enseignant, je me suis dit, ça c’est un bon intitulé, allez, je prends ! Il correspondait quand même à ce que j'attendais. » [P9-§118]

Loïc : « [Que pensez-vous de l’application] Fragmental 3D151 ? » - Ens1 : « Oui, ils ont joué à ce jeu. C'est moi qui leur ai demandé. Mais c'est à mettre dans les jeux. Ça n'a pas aidé au niveau enseignement. Je ne l'ai pas utilisé pour de l'enseignement. » - Loïc : « Mais potentiellement c'est valable pour de la géométrie le fait de voir des pièces en 3D, de faire des rotations, des translations ? » - Ens1 : « Mais c’est comme les 2 autres jeux, [Tring et Traris], ils sont intéressants mais il faudrait les mettre dans jeux. Car il y a un moment de jeux et puis voilà… » [P2-§220-223]

L’extrait suivant nous démontre que la notion d’enseignement et d’apprentissage telle qu’elle est perçue par les enseignantes n’est pas toujours couverte par certaines applications classées quelque peu hâtivement au sein de l’AppStore/GooglePlay dans la « bien nommée » catégorie « éducation/enseignement ». De plus, une grande majorité des applications ludo-pédagogiques est réalisée par des développeurs se basant sur des plans d’études (dans le meilleur des cas) qui n’ont bien évidemment rien à voir avec le plan d’études romand152.

Ens1 : « Ils développent une vision de l'espace mais sous forme de jeux. Bon bien sûr c'est un apprentissage, mais pas vraiment au niveau des apprentissages comme on l'entend, en classe. » - Loïc : « Ok. Ça veut dire que quand ils apprennent quelque chose à travers un jeu, ils sont dans un autre… » - Ens1 : « …Ben on est en 7P donc… Donc… Chez les petits il y a beaucoup d’apprentissages qui se font par les jeux… même encore chez les 5P. Mais plus on monte, plus on arrive à quelque chose de plus complexe. Donc, même si c'est pas un jeu facile [Fragmental 3D], s'ils font une représentation visuelle assez complexe, ce jeu-là n'apporte rien de précis par rapport à ce que l'on doit leur enseigner en 7P… » - Ens2 : « …Ouais. » - Ens1 : « … donc c'est un plus. Si on ne l'a pas, cela ne va pas nous empêcher de faire le travail. Mais d'avoir cette application et que les élèves puissent y jouer, ça ne peut que développer certaines choses. Mais je ne passerais pas du temps ou alors je dirais : « voilà, il y a trois quarts d'heure de jeu, vous prenez votre tablette et puis vous faites un jeu d’espace ».

[P2-§223-227]

Cette discussion nous a questionnés sur la place que l’on donne au plaisir et à l’amusement au travail, que ce soit dans une situation pédagogique, professionnelle, dans un environnement immersif virtuel ou non. En effet, il semblerait selon Ford et al. (2004) que de nombreux avantages aient été observés dans les lieux de travail intégrant une part de plaisir et d’amusement. Aussi, ont été constatés chez les travailleurs un engagement accru (en termes de loyauté et dévouement) dans ce type de milieux et une élévation des niveaux liés à l'enthousiasme, la satisfaction, la créativité et la communication.

151 Sorte de Puzzle Tetris en 3 dimensions (cf. image)

152 En effet, le simple classement de l’application dite éducative (effectué par le développeur) et la validation obligatoire de celle-ci par Apple ne garantit aucunement qu’elle soit réellement éducative et concorde avec un plan d’études quelconque.

Figure 39: Fragmental 3D : sorte de puzzle Tetris en 3D.

120 Néanmoins, pour nos deux enseignantes, certains jeux, ou certaines applications classées comme telles,

semblent sortir du lot. Nous avons essayé d’en comprendre la raison. Ces deux extraits nous donnent quelques pistes, notamment sur le fait que la perception de l’utilité de l’application est primordiale pour être utilisée en classe.

Loïc : « [Avez-vous testé] Free HD Compas ? » - Ens2 : « J’ai regardé [Free HD Compas] mais l'utilité m'échappait. Certainement parce que je n'ai pas su l'utiliser. » Loïc : « C'est simplement un compas. » -

Ens2 : « On pouvait rien faire de plus avec? » - Loïc : « Non. » - Ens2 : « [rires] ...mais maintenant, c’est vrai, tu prends ça avec la course d'orientation. Là, par exemple, je vois l'utilité. Je ne la voyais pas avant. » [P2-§202]

Loïc : « [Que pensez-vous de l’application] The Room ? » - Ens2 : « Ça c'est difficile. » - Ens1 : « Oui, alors ça, c'est super dur mais c'est très intéressant comme énigme. J'aurais aimé avoir les 18 tablettes plus longtemps, mais de faire à deux parce que c'est vraiment difficile. […] C'est une bonne activité de raisonnement. » - Loïc :

« A priori, cette application est considérée comme un jeu. Est-ce que là, c'est un jeu qui fait exception et qui sort un peu… » - Ens2 : « Ouais, il sort de l'ordinaire celui-là, je trouve. » - Ens1 : « Je pense qu'il se rapproche des énigmes que l'on peut leur faire faire sur papier. » - Loïc : « Ok. Mais par rapport à un jeu de stratégie où il y a aussi beaucoup de réflexion… Qu’est-ce qui fait qu'il y a une différence avec The Room ? […] Parce que avant tu disais que certaines applications étaient à mettre justement dans les jeux. Donc ça, ça ne serait pas mettre forcément dans les jeux ? » Ens1 : « Euh… » - Ens2 : « Mais là, il y a toute une réflexion à avoir derrière, hein. Ça pousse loin. » - Ens1 : « Ouais, elle est poussée la réflexion. C'est vraiment dans le raisonnement et dans l'observation. On pourrait mettre The Room dans les jeux mais… je pourrais tout à fait imaginer de prendre du temps pour les faire travailler, entre guillemets, The Room. Quoi, c'est plutôt The Room qui fait travailler que l'inverse. Tandis que Swampy non, je ne prendrais pas forcément le temps. C'est peut-être plus du niveau de 7-8P alors que Swampy serait plutôt pour les plus petits au niveau des apprentissages. »

[P2-§287-296]

Le point abordé ici est surtout focalisé sur l’impact potentiel que peut avoir une application sur la réflexion de l’élève. A travers l’usage de ce type de jeux d’observation, d’analyse et de résolution de problèmes, les enseignantes espèrent que ce dispositif mènera l’élève à développer des compétences cognitives et de haut niveau. En effet, dans ce type d’activité, l’apprenant interagit avec le jeu, se pose des questions, imagine des hypothèses. Toutefois, l’interaction avec ce type de jeu est avant tout basée sur une interactivité dite fonctionnelle (interactivité humain-machine). Nos deux enseignantes, souvent intéressées à faire travailler les élèves en duo, témoignent leur envie de favoriser une posture des élèves plus interactive, de façon à ce que non plus celui mais ceux qui manipulent et apprennent collectivement, se posent des questions et imaginent des hypothèses ensemble face à la tablette, à travers une interactivité dite relationnelle.

De quoi est constituée l’application idéale ? Nous n’apporterons pas de réponse complète ici. Nous désirerions toutefois ajouter que le marketing lié au business des tablettes tactiles aurait tendance à jouer sur « il existe une application pour tout ». De ce fait, les enseignantes nous ont plusieurs fois écrit dans leur carnet de bord « n’y aurait-il pas une application pour… ? »

Ens1 : « Prochain thème de math pour moi : les nombres rationnels. Est-ce qu’il y aurait une application pour les travailler ? » [P6-§232]

De ce fait, les utilisateurs auraient tendance à oublier qu’il existe d’autres façons d’utiliser la tablette que via l’usage d’applications. En effet, une multitude de ressources de type « non-application » existent et sont accessibles153 sur Internet via la tablette. Il serait effectivement particulièrement dommage de tiré un trait sur l’ensemble de ces ressources et sur le travail qui a été effectué en la matière depuis de nombreuses années. Car rappelons-le, plus que le type de contenu, application ou non, l’un des déterminants essentiels

153 Du moment que ces contenus ne sont pas en Flash.

121 de l’efficacité des outils MITIC est bien « l’adéquation entre le type d’usage pédagogique déployé et l’objectif d’apprentissage » (Bétrancourt et Bozelle, 2012).

Néanmoins, la présence d’applications dans la tablette reste tout de même un élément central. Cela signifie que nous déconseillerions la mise à disposition d’une tablette dite « sous cellophane » dans laquelle tout resterait à faire par les enseignants. Nos deux enseignantes se sont clairement exprimées sur ce sujet et il semble inconcevable de recevoir une tablette n’intégrant pas de contenus sur lesquels démarrer leurs activités. De ce fait, nous préconiserions plutôt la mise à disposition de tablettes embarquant un certain nombre de contenus et applications et dont la configuration serait adaptée au niveau scolaire visé, les besoins et usages variant grandement d’un niveau à l’autre. Ces contenus et applications devraient permettre aux enseignants de réaliser des activités pouvant être aisément identifiées comme compatibles au PER. Ceci pourrait, d’une certaine manière, légitimer un usage de la tablette dans une période où la plus-value au niveau de l’apprentissage et l’enseignement n’est peut-être pas très bien perçue au sein de certains établissements scolaires.

De plus, nos deux enseignantes nous ont fait part de leur envie de pouvoir installer elles-mêmes diverses applications supplémentaires en fonction des besoins, idées et thématiques rencontrés sur le moment dans leur programme. Nous pensons qu’une configuration présentant la possibilité d’installer (et désinstaller) diverses applications favoriserait les enseignants à faire un usage pédagogique des tablettes dans leur classe. Le coût lié aux applications et autres éventuels accessoires complémentaires devrait être sérieusement pris en considération car celui-ci pourrait augmenter de manière non négligeable le prix de départ d’une tablette. Il semble important de préciser qu’une application classée dans les plateformes de téléchargement au sein d’une catégorie nommée éducation ou enseignement ne garantit aucunement son potentiel pédagogique.

Dans l’idéal, mettre à disposition des enseignant-e-s une sélection de ressources et applications préalablement testées et validées par un personnel adéquat (SEM) serait un bon projet. Les applications ayant un fort potentiel pédagogique et répondant à certains critères (adéquation avec le PER, absence de publicité,…) seraient ainsi disponibles dans l’ « applicathèque » du portail Petit-Bazar. De plus, donner la possibilité aux enseignants de proposer sur une plateforme d’échanges des scénarios pédagogiques, de courtes séquences vidéo tournées en classe et diverses astuces pourrait favoriser la perception du champ des possibles et la mise en perspectives d’usages pédagogiques réalisables en classe. Cette démarche rejoindrait d’une certaine manière ce que préconise Guyomar (2012), à savoir diffuser plus largement les actions innovantes, de décrire leur mise en œuvre, et de pointer les valeurs ajoutées possibles que chaque acteur pourrait en retirer.