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CHAPITRE 1 – La périurbanisation et l’espace agricole en Tunisie

B- La localisation de l’agriculture est historiquement liée à la ville

B-1- Alimenter la ville (la théorie de Von Thünen, les ceintures maraîchères)

L’écoulement de la production agricole a été favorisé par la proximité des marchés urbains, ce qui a permis le développement des ceintures maraîchères autour des villes antiques, on l’a vu, notamment celles du bassin méditerranéen. Huerta, senia, jnen, boustăn (ou būstān), oasis, sont autant de formes parmi d’autres d’agricultures irriguées qui se sont développées dans et autour des villes, notamment les médinas arabes, selon le modèle66 économique de Von Thünen67. Cette agriculture a joué un rôle important dans l’organisation des espaces périphériques des villes avant que l’urbanisation du XXe siècle ne la déstabilise. En effet, avec l’étalement urbain, la propriété foncière se monétarise d’avantage sous l’effet de la spéculation et les cultures sont constamment repoussées à la périphérie (P. Moustier et J. Pagès, 1997 ; P. Moustier et A. Fall, 2004). La concurrence pour le foncier entre usages agricoles et non agricoles s’est généralisée à tous les types de terrains cultivables, « car même

les terrains marécageux peuvent être drainés en vue d’être construits, et la bonne terre agricole peut avoir favorisé le développement d’infrastructures de desserte, qui attirent l’immobilier»68.

B-1-1- Le rôle des transports dans la localisation de l’agriculture selon le modèle de Von Thünen

L’agriculture urbaine était au centre des préoccupations de l’économie spatiale depuis le début du XIXe siècle. Dans sa théorie d'affectation de l'espace rural, Von Thünen pense concrètement l’organisation des cultures en cercles concentriques en s'appuyant sur le fait qu’en chaque lieu, le sol est affecté à un système de culture qui maximise la rente. La rente est déterminée à partir du coût de transport proportionnel à la distance parcourue et à la quantité des produits transportés (Huriot, 1994 ; Moustier et Fall, 2004), à une époque où les moyens et les conditions de transport étaient encore peu évolués dans des sociétés encore traditionnelles et très agricoles. Dans ce contexte, les surfaces annulaires les plus proches de la ville-marché étaient destinés aux productions périssables à haute valeur ajoutée ou à forte demande de consommation comme les légumes, les fruits et le lait ; tandis que les anneaux les plus éloignés s’étaient distingués par une mise en valeur de moins en moins intensive (céréaliculture et élevage extensif) (Huriot, 1994 ; Claval, 1995 ; Courtot, 2001 ; Elloumi et Jouve, 2003). Cette liaison entre la rente et la distance à la ville-marché constitue le fondement de la théorie de Von Thünen ; « c'est-à-dire que plus on s'éloigne de la ville et du

marché plus le chargement doit être léger et moins il doit y avoir de denrées périssables » 69.

Les anneaux concentriques dont l’aire augmente en fonction de l’éloignement par rapport la ville-marché, ont été définis par B. Didier et al. (2003) comme suit :

66 Cette théorie est parue dans l’ouvrage de Thünen, H. Von (1826), L’Etat isolé dans ses rapports avec l'agriculture et l'économie régionale dans Huriot J.M. (1994), Von Thünen : Economie et Espace, Paris: Economica.

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« Propriétaire foncier exploitant un domaine de 340 hectares, dans le Mecklembourg, Von Thünen (1826) s'appuie à la fois sur l'observation et sur la réflexion théorique. Il s'est employé à déterminer à partir de son expérience les principes généraux qui déterminent la localisation des cultures et les aires de marché ». In Siriex A., Le paysage agricole : un essai d’évaluation, Thèse de doctorat en Sciences Economiques, Université de Limoges, 2003, (en ligne) sur : http://www.unilim.fr/theses/2003/

68 Moustier et Pagès, (1997), in Moustier P. et Fall A. S., « Le péri-urbain en Afrique : une agriculture en marge ? », Le Courrier de l’environnement n°32, décembre 1997. http://www.inra.fr/dpenv/moustc32.htm

69 Bailly Antoine, L'évolution de la géographie humaine au 19ème siècle à travers J. Von Thünen et F. Ratzel, notes du cours de géographie. http://www.stoessel.ch/hei/div/hps_geo_guillaume.htm

- Le premier anneau qui occupe 1% de la superficie globale de la zone d’attraction est consacré à l’agriculture intensive ;

- Le deuxième occupe 3% et est dédié à la forêt à fort rendement de bois de chauffage et construction ;

- Puis 58% pour l’agriculture extensive, répartie en 3 sous-anneaux d’intensité décroissante avec l’éloignement ;

- Et le reste, soit 38%, dédié à l’élevage.

Cette répartition trouve sa justification dans la recherche d’une maximisation du bénéfice global de l’exploitation du territoire (pour une ville ou une ferme) 70.

Le modèle de Von Thünen reste toujours d’actualité. Son adaptation actuelle à l’agriculture urbaine ne fait aucun doute dans les villes des pays pauvres, là où la médiocrité des conditions de transport se conjugue au manque de nourriture.

B-1-2- La pertinence de la théorie de Von Thünen aujourd’hui

Actuellement, les importantes transformations agraires observées autour des grandes villes de part et d'autre de la Méditerranée sont en relation étroite avec le gradient spatial des prix du foncier et du coût du transport, en accord avec le modèle de Von Thünen (Elloumi et Jouve, 2003). Néanmoins, l’amélioration des transports et des techniques de conservation des produits frais au froid s’est traduite par l’élargissement du bassin d’approvisionnement qui ne se limite plus aux productions locales et proches. Les marchés urbains sont quotidiennement approvisionnés par des produits provenant parfois des régions très lointaines voire de l’étranger dans des avions-cargo. Les nouvelles possibilités de commercialisation des produits alimentaires fragilisent de jour en jour une agriculture constamment concurrencée par l’urbanisation et participe à la modification de l’organisation spatiale par l’agriculture autour des centres urbains comme l’avait pensé Von Thünen. Mais l’ampleur de l’étalement urbain ne signifie pas que le processus de disparition des ceintures maraîchères est achevé.

Dans certaines villes occidentales à tradition agricole où des ceintures maraîchères et fruitières alimentaient autrefois les villes comme Paris, la pression urbaine n’est pas parvenue à faire disparaître complètement l’agriculture périurbaine. « De l’héritage des ceintures vertes

alimentaires dans les villes occidentales, il subsiste des exploitations agricoles dont les

débouchés sont le marché urbain de proximité » (Donadieu, 2004)71.

Dans les pays en voie de développement d’Afrique, d’Amérique Latine et d’Asie, l’agriculture urbaine et périurbaine continue de nourrir les villes (Tinker et Mougeot, 1994 ; Donadieu, 2004). Les ceintures maraîchères, ne cessent de se développer dans et aux alentours de certaines villes malgré la concurrence vigoureuse de l’usage du sol par l’urbanisation. Dans ces conditions, le modèle de Von Thünen offre toujours une certaine pertinence pour les agricultures tropicales notamment en Afrique Sub-saharienne, où les infrastructures de transport sont peu développées et où plus des trois quarts des flux de légumes-feuilles proviennent de zones situées à moins de 30 km de la ville. En revanche, quand le coût du transport devient négligeable par rapport à la valeur marchande du produit, comme c’est le cas dans les pays occidentaux, l’apport du modèle est limité (Moustier et Fall, 2004).

Von Thünen tendait donc à démontrer la puissance organisatrice des transports comme élément ordonnateur des cultures situées aux alentours des villes. Il suppose l’existence d’un espace homogène de villes et de zones agricoles où l’agriculteur choisira de vendre ses

70 In Didier Bernateau et al, Entreprises, environnement et territoires, Dynamique des territoires : l’analyse par échelle, Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, 2003. p. 5.

71 In Donadieu P., « La construction de la ville-campagne, Vers la production d’un bien commun agri-urbain », Colloque Grenoble, février 2004, Colloque Torino, juillet 2004. http://www.enact-montpellier.cnfpt.fr/

produits sur le marché le plus facile d’accès. Dans ce cas, l’agriculteur prend en compte la notion de distance, pour déterminer la ville qui constituera le débouché de ses produits.

Par ailleurs cette activité s’inscrit dans le contexte historique propre à chaque agglomération.

B-2- Les ceintures maraîchères et les jardins-vergers méditerranéens

Les légumes verts et les fruits ont été et sont toujours des agricultures très développées grâce des systèmes de culture intensifs parfaitement adaptés aux conditions géographiques locales et étroitement liées aux sociétés hydrauliques et à l’initiative individuelle. Cela s’est traduit par le développement de vastes espaces maraîchers (les ceintures maraîchères), arboricoles (culture de l’olivier, du palmier dattier, de la vigne, du figuier) et de l’élevage urbain (production du lait) dont les produits sont destinés essentiellement aux populations urbaines.

B-2-1- Des activités agricoles singulières

B-2-1-1- Les ceintures maraîchères et les élevages

La production maraîchère notamment celle des légumes-feuilles, difficiles à conserver et à transporter, était et reste fortement liée à la proximité de la ville-marché. La recherche des terres fertiles à proximité d’une source d’eau72 était une condition préalable au regroupement des populations dans le territoire choisi et qui se transformait au fil du temps en ville. Les régions d'agriculture irriguée à forte orientation nourricière en "îlots" (oasis) ou en " rubans linéaires " le long des axes fluviaux correspondaient à des secteurs d'irrigation pérenne : alimentation par les eaux de source et les nappes phréatiques, barrages de retenue sur les fleuves et les rivières et système complexe de canaux de dérivation, (Jager J.C, 1998)73. La civilisation pharaonique n’a prospéré que sur les rives du Nil où étaient réunies l’abondance de l’eau et celle d’un sol alluvial fertile, et où prospérait jusqu’à aujourd’hui l’agriculture, particulièrement celles des légumes frais consommés au quotidien.

Les cultures maraîchères ont occupé une place prépondérante dans l’occupation des sols périphériques des villes. C’est le cas du littoral méditerranéen, un espace d'antiques civilisations urbaines, où les villes avaient établies des rapports étroits74 avec leur environnement rural (Lavergne, 2004). L’ancienneté de l'agriculture urbaine dans ces villes était liée à la nature même des cités. Orientées essentiellement « vers des fonctions militaires,

administratives et surtout commerçantes, ces cités requéraient une nourriture qui ne pouvait

pas être fournie par des citadins occupés par d'autres activités »75. Jusqu’aux années 70-80,

l’élevage urbain autour de Nouakchott, Tunis, Le Caire, Damas, Beyrouth, Sanaa, Khartoum, etc. était une source d’approvisionnement directe et quotidienne des citadins en lait frais (M. Lavergne, 1999b, 2004). Au Caire, les beaux quartiers de Doqqi étaient encore il y a vingt ans desservis, « Chaque matin, par les laitiers à bicyclette, distribuant en porte à porte leurs

louches de lait frais tirées de deux lourds bidons »76. Cette tradition de distribution directe

72 Dans la plupart des villes mondiales, l’eau était au centre de l'économie traditionnelle. Les ceintures maraîchères n’ont pu se développées que grâce à la disponibilité de l’eau d’irrigation.

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In Jager Jean-Claude, « Les caractéristiques de l’urbanisation littorale en Méditerranée », actes de colloque : L’urbanisation littorale en Méditerranée, Association Villes et territoires méditerranéens, Marseille, 1998. http://www.urbanisme.equipement.gouv.fr/

74 Depuis quelques décennies, les rapports entre urbanisation et agriculture urbaine sont bouleversés par le processus d’étalement urbain.

75 Marc Lavergne, 2004, « l'agriculture urbaine dans le bassin méditerranéen, une réalité ancienne à l’heure du renouveau », in Interface : agricultures et villes à l’Est et au Sud de la Méditerranée, sous la direction de Joe Nasr et Martin Padilla, éditions Delta, 2004, p. 53.

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(en porte à porte) du lait se pratique encore aujourd’hui dans la vieille ville de Hammam Sousse (en Tunisie) malgré les progrès réalisés dans la conservation et la distribution du lait conditionné.

L’essor de l’élevage urbain par exemple dans des villes comme Beyrouth, Khartoum ou Nouakchott est aussi lié à des conditions locales particulières à chaque pays. C’est grâce aux réfugiés de la guerre que l’élevage urbain s’est développé dans les quartiers populaires de la banlieue de Beyrouth. C’est aussi en raison de la sècheresse et de l’insécurité que les pasteurs dans les villes de Khartoum ou Nouakchott se sont consacrés à un élevage de subsistance. Selon Padilla (2004), l’approvisionnement alimentaire des villes méditerranéennes de l'Algérie, du Maroc, de la Tunisie, de l'Egypte, du Liban, etc., en lait et produits laitiers s’effectuent grâce à des filières d'acheminement multiples notamment les circuits courts pour les productions urbaines et périurbaines. En Algérie, le cheptel de proximité représente environ 10 % de l'effectif national avec 120 000 à 130 000 vaches et assure près de 40 % de la production nationale. Il fournit un tiers de la consommation totale au travers de circuits informels qui vendent lait cru et produits laitiers artisanaux (lben, raïeb, djben, smen...) (Bencharif, 2001)77.« Les formes de distribution vont du porte-à-porte aumarché de quartier, en passant par les crémeries en Tunisie ou les mahlabas (cafés, laiteries traditionnelles) au

Maroc78, les petites épiceries, les supérettes et les hypermarchés.

B-2-1-2- Les jardins-vergers

Les régions d'agriculture spécialisée dans la viticulture ou l'oléiculture se sont pour la plupart mises en place à la fin du XIXe et au début du XXe siècles lorsque la modernisation des moyens de transport a permis l'abandon des polycultures vivrières. Les plus gros vignobles en surface sont ceux de la Castille-Manche en Espagne et du Languedoc en France, les plus grands vergers homogènes d'oliviers sont ceux de Sousse, de Sfax et de l'Andalousie intérieure. L’essor de cette agriculture s’explique par l’existence des agriculteurs travaillant et résidant en ville ou à sa proximité. Elle a souvent pris deux formes : celle des vieilles cités à jardins et à oasis et celle récente liée à des projets de développement agricole (agglomération du Delta du Nil, nouvelles petites villes syriennes, etc.) (Boissière, 2004), périmètres irrigués aux alentours des villes de Tunis et de Sousse (Tunisie).

La plupart des villes arabes orientales se sont distinguées par la présence d’une forme agro- urbaine ancienne et ont de fait entretenu en leurs murs ou dans leurs périphéries proches, des espaces agricoles. « Elles ont longtemps été soucieuses de préserver ces espaces, vitaux pour

leur économie et leur approvisionnement quotidien en produits frais (légumes, fruits, lait viande...), à une époque où existait un équilibre entre une production agricole peu extensible,

les besoins d'une population citadine relativement stable et une faible urbanisation »79. C’est

ce qu’observait le géographe Jacques Weulersse (1946) en écrivant que les « jardins

suburbains que l'on rencontre autour des villes, grandes et petites, sont un des traits originaux de la vie agricole de l'Orient; c'est une des rares occasions où le monde des villes

et le monde des champs se rencontrent et se pénètrent »80. La préservation des jardins urbains

77 In Martine Padilla, « Approvisionnement alimentaire et agriculture périurbaine », Interface : agricultures et villes à l’Est et au Sud de la Méditerranée, sous la direction de Joe Nasr et Martin Padilla, éditions Delta, 2004, p. 87.

78 Au Maroc, les colporteurs s'approvisionnent auprès des producteurs de proximité et livrent aux différents utilisateurs urbains (cafés, crémeries et consommateurs) environ 30 % du lait commercialisé. In Martine Padilla, op. cit., p. 87.

79 Thierry Boissière, « agriculteurs urbains et changement sociaux au Moyen-Orient », in Interface : agricultures et villes à l’Est et au Sud de la Méditerranée, sous la direction de Joe Nasr et Martin Padille, éditions Delta, 2004, p. 32.

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était liée à leur rôle tant dans le développement de l’économie que dans l’approvisionnement quotidien des populations urbaines en produits frais (légumes, fruits, lait, viande, etc.), à une époque où les besoins de la population urbaine relativement stable coïncident avec une production agricole peu extensible, et une faible urbanisation (Boissière, 2004).

Les vergers urbains et périurbains, espaces intermédiaires entre cité et campagne, constituaient des lieux de loisirs pour les citadins et un important bassin d’offre d’emplois aux habitants pauvres et aux ruraux en voie de sédentarisation. Ces derniers trouvaient dans ces pratiques une occasion d'accéder à la ville et au mode de vie urbain (Boissière, 2001 et 2004). Jusqu’aux années 1960, l’agriculture urbaine était encore assez développée dans les villes proche-orientales littorales et/ou de l’intérieur81. Dans les villes littorales, les cultures vivrières qui assuraient l’autonomie alimentaire des populations urbaines (Boissière, 2004), étaient pratiquées les plus souvent subsidiairement en intercalaire d’une arboriculture (bananier, olivier, agrumes, etc.) dont la production était destinée, en partie, à l’exportation, alors que certaines cultures d’été (tabac, sorgo, maïs, etc.) tirait l’humidité nécessaire à leur croissance davantage de l’atmosphère que du sol. Quant aux cultures (tomates, concombres, courges, piments, salades, etc.) dans les villes de l’intérieur (Amman en Jordanie, Homs ou Alep en Syrie), elles se sont développées grâce à la présence d’une eau d’irrigation qui a permis aussi le développement des fruitiers (grenadier, pêchers, néfliers, abricotiers, etc.). Pour Lavergne (2004), le pourtour méditerranéen est un espace d’antiques civilisations urbaines qui ont intégré des formes variées d’activités agricoles dans leur développement. L’objectif de ces productions était tant la nourriture des concentrations croissantes de population sur un espace restreint que la satisfaction des besoins des citadins disposants d’un pouvoir d’achat élevé. Le développement de l’agriculture urbaine dans certains pays arabes est parfois née d’une situation de crise (conflits sociaux, conditions climatiques contraignantes) qui exploitait des lacunes de ravitaillement urbain en produits agricoles frais dans des villes à forte croissance.

La « symbiose » entre milieu urbain et agriculture a ainsi souvent donné lieu à des cités environnées de types différents de jardins urbains (potagers, senia, būstān, oasis) qui forment les ceintures maraîchères et les jardins-vergers des villes. Parfois, l’agriculture urbaine se distingue par des formes de complémentarités avec la ville en lui fournissant tant des aliments frais consommés au quotidien (les produits maraîchers périssables) que des produits commercialisés par des réseaux marchands des villes. Il s’agit dans ce dernier cas des dattes comme dans le M’zab en Algérie et des fruits conditionnées sous forme de pâtes comme les abricot de Damas82. Parallèlement, la proximité de la ville offre à certains agriculteurs urbains une chance de pratiquer une activité secondaire non agricole, surtout lorsque les revenus agricoles se montrent insuffisants pour satisfaire les besoins du ménage. En revanche, des citadins aisés pratiquent une autre forme d’agriculture en zone périurbaine : l’agriculture d’agrément ou de plaisance.

81 « Jusque dans les années 1950-60, les villes portuaires du littoral proche-onental (Tyr, Saïda, Beyrouth, Tripoli...) ainsi que les villes de l'intérieur (Amman, Alep, Homs Hama, Sanaa...) ont développé et entretenu des zones de jardins plus ou moins importantes et présentant des formes variées : jardins intra-muros ou périphériques, constituant une zone homogène ou fragmentée, occupant les berges étroites d'un fleuve, d'un oued ou l'espace plus ouvert d'une plaine ». Thierry Boissière, op. cit., p. 33.

82 A Sanaa au Yémen, l’essor de l’agriculture intensive dans les jardins intra et extra-muros a été favorisé par la disponibilité d’une fumure et d’eau usées résultant de la présence humaine en ville (Lavergne 2004, p. 56).

B-2-2- Emergence d’une agriculture de plaisance

Une autre forme d’agriculture urbaine s’est développée dans les environs des villes moyen- orientales vers la fin du XXe siècle, l’agriculture de plaisance. C'est ce qu’observe aussi Lavergne (2004) en écrivant « qu'une agriculture que l'on pourrait qualifier d'agrément se

développe dans un rayon assez large autour de certaines grandes villes arabes. Elle est le fait de la nouvelle bourgeoisie, dont les racines rurales sont encore proches, et qui recherche dans la ferme familiale restaurée, ou dans une demeure de type urbain entourée de vergers, une fonction esthétique mais aussi économique ». Il s’agit de la multiplication des « ezbahs et

des mazraās »83 ou fermes-villas dans les régions d’Amman (en Jordanie), de Damas, d’Alep, de Hama, de Homs (en Syrie), dans les campagnes yéménites84 (Troin, 1995)85. Ces résidences allient la tranquillité loin des embarras de la ville avec le confort urbain et la possibilité de jouir des avantages de la ville voisine. La résidence de week-end devient parfois résidence principale, une fois aménagée et raccordée aux réseaux (Lavergne, 2004). « La

campagne est ainsi mitée par des villas dont l'emprise et l'enclosure peuvent gêner l'activité

agro-pastorale, mais qui fournissent de nouveaux produits aux marchés urbains » 86. « Ainsi

les villas des riches Jordaniens se nichent sur les collines encore agrestes qui dominent la vallée du Jourdain, et celles de la bourgeoisie cairote derrière les haies de conifères et

d'eucalyptus qui masquent les « ezbahs » de Mansouriyah »87. Ces différents types de jardins

périurbains fournissent des produits d’autoconsommation alors que le surplus de la production est souvent destiné aux marchés urbains.

La multiplication et la densification de ces «ezbahs et mazraā » peuvent donner naissance à de véritables quartiers de villas en zones agricoles proches des villes et représenter ainsi une