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Le local au sein du centre commercial

145. Aux termes de l’article L.145-1 du Code de commerce, le contrat de

bail doit porter sur un immeuble ou un local dans lequel un fonds est exploité. Une jurisprudence constante précise qu’il doit s’agir de lieux clos et couverts (§1) permettant d’accueillir la clientèle. Cette définition a toutefois fait l’objet d’aménagements pour tenir compte de la situation des emplacements (§2).

§ 1 - Application du statut aux locaux « clos et couverts »

146. Le statut des baux commerciaux s’applique de plein droit aux baux des

immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité. La notion « d’immeuble » ne soulève pas de difficulté particulière. Restrictive, elle vise toutefois uniquement les bâtiments. Les terrains sont quant à eux spécifiquement cités au 2° de l’article L.145-1 du Code de commerce.

La notion de « local » pose en revanche plus de difficultés. Très tôt, la jurisprudence a défini le local comme « un lieu clos et couvert dans lequel doit s’exercer la

vente »271. Derruppé, dans un ouvrage collectif consacré aux baux commerciaux,

écrivait également : « un local est un espace à trois dimensions. (…) C’est une

construction, un lieu clos et couvert susceptible d’accueillir une clientèle donc à

échelle humaine »272.

271 Cour d’appel de Paris, 14 novembre 1956, Gaz Pal 1956, 2, p. 401.

272 Jean DERRUPPÉ, Georges BRIÈRE DE L’ISLE, René MAUS, Pierre LAFARGE, Baux commerciaux, manuel Dalloz de

147. Application aux centres commerciaux. – De telles définitions

permettent d’exclure par exemple les vitrines d’exposition du statut des baux commerciaux dans la mesure où elles ne permettent pas d’accueillir la clientèle273.

Qu’en est-il des cellules commerciales installées dans le mail d’un centre commercial ? Elles constituent des locaux clos par des murs et des surfaces de vitrine et couverts par le toit du centre. L’absence fréquente de porte ne fait pas obstacle à la qualification de lieu clos dès lors qu’une grille permet d’en interdire l’accès à la fermeture du magasin. Les cellules commerciales sont incontestablement des lieux clos et couverts permettant d’accueillir la clientèle. Pourvu qu’elles soient affectées à usage commercial, la deuxième condition d’application du statut des baux commerciaux semble remplie. L’application du statut est même étendue aux locaux accessoires à la condition que leur privation soit de nature « à compromettre

l’exploitation du fonds et qu’ils appartiennent au propriétaire de l’immeuble où est

situé l’établissement principal »274. Tel est le cas par exemple des locaux affectés à la

réserve de la cellule, non accessibles à la clientèle.

Concernant les stands ou emplacements la question est en revanche plus délicate.

§ 2 - Application du statut aux emplacements

148. Les emplacements ne sont pas des lieux clos et couverts. -

Contrairement aux cellules commerciales, les emplacements sont de simples surfaces réservées à un exploitant dans le mail de la galerie marchande. Ils sont généralement délimités par un simple marquage au sol, parfois par des cloisons à hauteur d’homme, mais contrairement aux locaux ils ne constituent pas un volume clos. Compte tenu de

273 Cass.. 3ème civ., 2 décembre 1987, JCP 1988, IV, 51.

274 Article L.145-1, 1° C.com. : « Les dispositions du présent chapitre s’appliquent (…) aux baux de locaux ou d’immeubles accessoires à l’exploitation d’un fonds de commerce quand leur privation est de nature à compromettre l’exploitation du fonds et qu’ils appartiennent au propriétaire du local ou de l’immeuble où est situé l’établissement principal. »

cette configuration, les exploitants de ces emplacements pourraient-ils réclamer l’application de plein droit du statut des baux commerciaux ?

Ainsi que l’écrivait Derruppé, « il est certain qu’en lui-même un emplacement dans

un grand magasin (…) ne constitue pas un local à trois dimensions susceptible d’être clôturé. Mais l’ensemble dans lequel il se trouve présente ou peut présenter cette caractéristique. Il paraît dès lors abusif de prétendre que le locataire de cet emplacement ne bénéficie pas d’un local et se trouve privé du bénéfice du

décret »275.

149. Evolution de l’appréciation jurisprudentielle. - La jurisprudence

n’est manifestement plus hostile à cette solution. Le premier arrêt marquant dans ce domaine a été rendu par la Cour de cassation le 24 février 1976276. Dans cette espèce, la Société Centre Rennais d’Horticulture avait conclu une convention verbale avec la Société Hyperouest aux termes de laquelle elle était autorisée à occuper un emplacement dans le supermarché, moyennant le paiement d’une redevance mensuelle. La société Centre Rennais d’Horticulture soutenait qu’elle bénéficiait du statut des baux commerciaux dès lors que l’emplacement était destiné à l’exercice d’une activité commerciale propre, quand bien même cet emplacement ne serait pas constitutif d’un local au sens strict du terme. La Cour de cassation, reprenant les énonciations des juges du fond, avait relevé que « le Centre rennais d’horticulture

pouvait seulement se prévaloir de l’occupation d’un emplacement dans le magasin supermarché … sans autres précisions et que ce magasin avait la possibilité de fixer unilatéralement, faute de clause le lui interdisant, la situation et l’étendue de l’emplacement concédé (…) qu’en raison d’une telle indétermination, l’emplacement litigieux ne pouvait être compris dans la notion de local prévue à l’article 1er du

275 Jean DERRUPPÉ, Georges BRIÈRE DE L’ISLE, René MAUS, Pierre LAFARGE, Baux commerciaux, manuel Dalloz de

droit usuel, 1ère éd. 1979, n° 67.

Décret du 30 septembre 1953, puisque le prétendu bailleur avait toute latitude, et à

tout moment, pour le fixer et le restreindre »277.

A contrario, on peut se demander si la Cour de cassation n’aurait pas conclu à

l’existence d’un local si l’emplacement avait été déterminé dès l’origine dans le contrat et que le propriétaire de l’hypermarché n’avait eu aucun pouvoir d’en modifier la situation et l’étendue278. Cette interprétation a contrario a d’ailleurs été adoptée par la Cour d’appel de Versailles en 1996 qui a précisé très clairement que « remplit les conditions lui permettant de revendiquer le bénéfice de la propriété

commerciale celui qui exerce une activité commerciale dans une galerie marchande, sur un stand, même de nature mobile, situé dans un emplacement fixe, délimité, matérialisé au sol, parfaitement déterminé, non laissé contractuellement à la discrétion du bailleur mais présentant un caractère permanent, cet emplacement

constituant ainsi un local protégé au sens de l’article 1er du Décret du 30 septembre

1953 »279.

Cette position a, plus récemment, été confirmée par la Cour de cassation280. En l’espèce, une SCI avait mis à disposition d’un preneur un emplacement d’une surface d’environ 16 m2 situé sur le mail d’un centre commercial et destiné à l’install ation d’un manège pour enfants. La convention, initialement conclue pour une durée de

277 Cette décision a été confirmée par la Cour de cassation dans un arrêt en date du 20 février 1985. « Après avoir relevé qu’aux termes de la convention, le découpage, la situation et la surface de l’emp lacement concédé étaient laissés à la discrétion de la société SOPARCOP qui pouvait imposer des modifications de surface et d’implantation, la Cour d’appel en a exactement déduit que cet emplacement ne pouvait être considéré comme un local au sens de l’art icle 1er du Décret du 30

septembre 1953 » - Bull. civ. III, n° 38, page 28.

278 Dans une autre espèce en revanche, la Cour de cassation avait admis l’application du statut des baux commerciaux à un

stand installé dans une « construction permanente, située à l’extérieur du supermarché, adossée au mur de celui -ci et

couverte ». Il est toutefois permis de s’interroger sur la qualification de stand au cas d’espèce. La description des faits

contenue dans l’arrêt laisse penser en effet que le statut des baux commerciaux était en l’occurrence applicable, non en raison d’un tempérament jurisprudentiel, mais parce que le stand en question avait en réalité toutes les caractéristiques d’u n local au sens de l’article L.145-1 du Code de commerce, c’est-à-dire, d’un lieu clos et couvert permettant d’accueillir la clientèle.

279 CA Versailles, 10 avril 1996, JCPE 1996, Pan. 869.

280 Cass. 3ème Civ. 20 mars 2014, AJDI 2015 p. 359, note Hallard et, dans la même affaire, Cass. 3ème Civ. 15 octobre 2014,

deux ans, avait été renouvelée pendant une dizaine d’années avant que le bailleur signifie qu’il entendait mettre un terme à la mise à disposition. Le preneur revendiqua alors le bénéfice du statut des baux commerciaux. Pour critiquer l’arrêt d’appel qui avait écarté la revendication, le locataire plaidait, notamment, que le caractère démontable du manège ne devait pas occulter le fait qu’il occupait un volume précis au sein du centre commercial. Par un arrêt du 20 mars 2014, la Cour de cassation jugea, suite à une question prioritaire de constitutionnalité du preneur « qu’il ne

semble pas d’une jurisprudence constante que l’application de l’article L. 145 -1 du Code de commerce soit soumise à l’exigence d’un local clos et couvert et qu’en soit exclue une surface d’exploitation si l’emplacement concédé est stable et

permanent »281.

150. Appréciation de la solution jurisprudentielle. – Cette solution nous

paraît non seulement opportune, mais également fondée juridiquement.

La solution nous semble opportune en ce qu’elle évite de refuser à un exploitant la protection du statut des baux commerciaux pour des raisons tenant uniquement à la configuration des lieux. Dès lors que le commerçant jouit d’un emplacement stable et permanent dans lequel il exerce une activité et que cette activité attire une clientèle, sa situation ne nous semble en effet guère différente de celle du commerçant installé dans un local clos et couvert. On ne voit pas bien pour quelle raison le second bénéficierait de la protection du statut des baux commerciaux et pas le premier.

La solution nous semble également fondée juridiquement. Pour justifier sa décision, la Cour d’appel de Versailles retient que l’emplacement est fixe, délimité, matérialisé au sol, parfaitement déterminé et qu’il n’est pas laissé contractuellement à la discrétion du bailleur. Deux éléments retiennent plus particulièrement notre attention.

281 Voir également en ce sens, mais dans un secteur étranger aux centres commerciaux : Cass. 3ème civ. 22 mars 2006, JCPE

D’une part, l’emplacement doit être permanent. Cette exigence se justifie dans la mesure où le statut spécial des baux commerciaux, particulièrement le droit au renouvellement du bail, a été instauré pour assurer au commerçant une certaine continuité dans l’occupation des lieux. La stabilité de l’emplacement est en effet un des éléments majeurs d’attraction et de préservation de la clientèle. De ce point de vue, la mobilité d’un emplacement semble au contraire incompatible avec le statut des baux commerciaux. Ainsi que l’écrivait Boccara « au sens du statut, un bail ne se

conçoit généralement qu’en faveur d’un emplacement donné, même si l’assiette du bail peut bien évidemment faire l’objet, pendant le cours de son exécution, de toutes

sortes d’extensions, ou de restrictions contractuelles ou bilatérales »282.

D’autre part, la Cour d’appel de Versailles précise que l’emplacement ne doit pas être laissé contractuellement à la discrétion du bailleur. Cette condition se justifie par rapport à la nature même du contrat de bail, convention par laquelle le bailleur est obligé de conférer au preneur la jouissance paisible des lieux283. Une convention qui permettrait au propriétaire de modifier à sa convenance les modalités de jouissance du bien par l’occupant, en le contraignant par exemple à des déplacements fréquents de son activité et en modifiant l’assiette de l’emplacement, ne pourrait donc être qualifiée de bail284. La condition posée par la jurisprudence est de ce point de vue parfaitement fondée285.

282 Note sous Cass. 3ème civ. 24 février 1976, JCP G 1976, II, 18427. 283 Article 1719 du Code civil.

284 Ainsi que l’écrit Yves GUYON « l’indétermination de l’assise territoriale de l’emplacement paraît incompatible avec la notion de local et de louage », Droit des Affaires, Economica, coll. « Droits des Affaires et de l’Entrep rise », série

Enseignement, 11ème éd., tome 1, 2001, § 651.

285 On pourrait sans doute se demander si la jurisprudence récente reconnaissant la validité des clauses de « déplacement »

ordinairement insérées dans les baux portant sur des cellules du centre c ommercial n’entre pas en contradiction avec la jurisprudence ci-dessus.

La réponse est selon nous négative. La faculté reconnue au bailleur par la clause de déplacer l’assiette du bail ne peut s’exercer que de façon exceptionnelle à la faveur de travaux de remodelage ou d’extension du centre commercial. « L’activité du preneur n’a pas à subir des déplacements successifs à l’intérieur du centre au gré du bailleur et à s’exercer

dans un endroit non circonscrit et matérialisé, mais est appelée à être exploitée dans un local déterminé, que ce soit le local d’origine ou de remplacement. (Le) changement qui peut se produire au cours des relations contractuelles ne suffit pas à faire perdre au local dans lequel l’activité est exercée son caractère de stabilité et d e permanence » (CA Amiens, 18 octobre

151. Transition. - S’il est désormais admis que les emplacements peuvent

constituer des locaux au sens de l’article L. 145-1 du Code de commerce à condition d’être parfaitement déterminés, stables et de ne pas être laissés à la discrétion du propriétaire, il n’en demeure pas moins que, pour bénéficier du statut des baux commerciaux, ils doivent également constituer le lieu d’exploitation d’un fonds de commerce.

CHAPITRE

2

– L’EXPLOITATION D’UN FONDS DE