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Lire les logiques inconscientes d’une culture

Dans le document La sémiotique en interface (Page 136-142)

Pour pleinement penser une sémiotique des sciences de l’histoire, il im-porte de réfléchir à la façon dont elles rendent raison de la dimension in-consciente de l’histoire, car c’est par l’articulation d’une dimension consciente et d’une dimension inconsciente que l’on peut penser l’histoire comme un langage, et, ainsi, comme l’objet d’une sémiotique.

La sémiotique des identités, que l’histoire a pour tâche de mettre en évi-dence, est faite à la fois d’éléments connus, dits, énoncés, au cours du temps,

par les acteurs et par les témoins des événements et des évolutions, et d’élé-ments tus, frappés de diverses formes de censure, que l’histoire a aussi pour tâche de faire apparaître. Le rôle de l’histoire n’est pas seulement de penser les éléments explicites et manifestes des événements et de l’identité des ac-teurs qu’elle analyse, mais il est aussi, précisément, de faire apparaître les éléments refoulés ou censurés, inscrits dans l’inconscient des identités, et de rendre compte de leur signification. L’histoire n’est pas seulement l’objet d’une sémiotique : elle est, elle-même, une sémiotique, puisqu’elle élucide les significations portées par ces dimensions inconscientes qu’elle fait ap-paraître en allant au-delà des limites de la dimension explicite des objets qu’elle analyse.

L’histoire est aussi chargée de mettre en évidence, pour un peuple ou pour une société, ces éléments en quelque sorte refoulés et de les faire ap-paraître à la mémoire culturelle afin de poursuivre le processus de construc-tion de son identité. C’est ainsi que la sémiotique de l’histoire nous rappelle que l’histoire et la psychanalyse sont des sciences politiques, puisque, s’il y a une dimension inconsciente à élucider dans l’histoire, c’est parce qu’il y a de la censure. L’élucidation de ces éléments refoulés grâce à la mise en œuvre de l’histoire donne aux sciences de l’histoire un rôle majeur dans le débat public, mais aussi dans l’évolution des identités des pays et des acteurs politiques. En effet, c’est en faisant l’histoire de ces refoulements et de ces censures et en mettant en évidence la signification des contraintes et des in-terdits qu’ils mettent en œuvre que les pays et les identités peuvent parvenir à une réelle élucidation des problèmes et des difficultés auxquels ils sont confrontés. Ce n’est qu’en faisant l’histoire de l’Occupation, par exemple, que la France a pu faire face aux contradictions et aux oppositions internes qui rendaient impossible l’institution d’un espace public pleinement ouvert et conscient de sa mémoire.

La signification des discours de l’histoire est aussi, dans ces conditions, d’être à l’écoute des discours et des paroles des acteurs de la société à la-quelle elle appartient pour mieux les comprendre et pour mieux en faire ap-paraître les significations cachées ou, en quelque sorte, refoulées. Il s’agit ici d’une dimension en quelque sorte actuelle de la sémiotique de l’histoire, puisqu’il s’agit de l’histoire du présent, de la mise en œuvre d’une mémoire du présent d’une société. La sémiotique de l’histoire se confond en l’occur-rence avec la sémiotique du témoignage et avec celle de l’écoute. En

enga-geant l’énonciation de ce discours fondé sur l’écoute, l’histoire s’inscrit dans une sémiotique de l’échange et de la communication, la situant, ainsi, dans la sémiotique des autres pratiques et des autres formes de la média-tion.

7. Pour conclure

Comme les autres sciences, les sciences de l’histoire ont un impensé. Il s’agit, dans leur cas, de la censure de l’histoire comme institution politique

d’un impensable de l’histoire. Les pays, les États, les acteurs de pouvoir

imposent à l’histoire les limites qui lui interdisent de faire porter le savoir qu’elle énonce sur les pouvoirs mêmes auxquels elle est soumise. C’est ainsi que les pouvoirs politiques se manifestent vis-à-vis de l’histoire, par l’im-position de cet impensé.

Mais il y a un autre impensé, une autre instance de ce que l’on peut ap-peler le réel de l’histoire : les événements et les évolutions auxquels il n’est pas possible de donner de sens. Faute de moyens d’analyse et d’intelligibi-lité, faute de documents, de témoignages et de formes perceptibles de ma-térialisation, certains événements et certaines évolutions sont impensables. C’est ainsi, par exemple que c’est en découvrant l’usage de dispositifs chi-miques comme l’analyse au carbone 14 que l’histoire ancienne a pu décou-vrir certains éléments dont elle a compris, alors, qu’ils lui étaient jusqu’alors inaccessibles. Ce que l’on peut appeler l’histoire de l’histoire est aussi l’his-toire de ces limites du savoir historique, de leurs disparitions et de l’exten-sion progressive du champ de savoir des sciences de l’histoire.

On peut se demander, pour finir, ce que signifie la sémiotique des sciences de l’histoire. C’est par sa dimension sémiotique que l’histoire ac-quiert sa dimension pleinement politique, et c’est par sa dimension histo-rique que la sémiotique s’inscrit pleinement dans le champ des sciences sociales. En effet, l’histoire devient une science politique à partir du moment où, en suscitant l’engagement de ceux qui la pratiquent, elle se situe dans l’espace public et dans le champ politique, puisqu’en mettant en œuvre leur savoir sur l’histoire, ceux qui la pratiquent expriment une opinion et un en-gagement. Par ailleurs, c’est l’histoire qui inscrit la sémiotique dans le champ des sciences sociales. C’est le sens de ce propos de Greimas, écri-vant, au sujet des sciences sociales, qu’il s’agit, pour lui, « de s’interroger

sur la possibilité de leur utilisation en tant que modèles d’une science de l’histoire » (1976 : 165). Finalement, la sémiotique politique de l’histoire se situe là : dans les choix qu’elle va engager parmi les modèles d’interpré-tation et de rationalité des sciences sociales.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

BRAUDEL, Fernand (1966), La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, vol. 1, Paris, Armand Colin.

GREIMAS, Algirdas Julien (1976), Sémiotique et sciences sociales, Paris, Le Seuil. HOBSBAWM, Éric (2000), L’Historien engagé, entretiens avec KIEJMAN, Claude,

La Tour d’Aigues, l’Aube.

KEYNES, John Maynard (2009 [1971]), Sur la monnaie et l’économie, Paris, Payot et Rivages.

LAMIZET, Bernard (2006), Sémiotique de l’événement, Londres, Hermes Publi-shing.

MARTIN, Jean-Clément (2007), « Une rupture absolument capitale », Le Monde, 6 avril, disponible sur : http://www.lemonde.fr/livres/article/2007/04/05/jean-cle-ment-martin-une-rupture-absolument-capitale_892007_3260.html p.

SÉMIOTIQUE ET SCIENCES PSYCHOLOGIQUES

Ivan Darrault-Harris Université de Limoges

On s’en souvient, dès l’édification première de la sémiotique dite de l’École de Paris, Greimas avait tenu à construire ses modèles (dont le célèbre modèle actantiel) en prenant en compte les élaborations psychanalytiques. Et il nous confiait, dans une lettre adressée peu avant sa disparition en 1992, que la lecture de Freud, la Traumdeutung en l’occurrence, l’avait longue-ment obsédé. On peut d’ailleurs légitimelongue-ment faire l’hypothèse que le mo-dèle greimassien stratifié, génératif de la signification universalise le momo-dèle génératif freudien limité à l’analyse du rêve, avec ses niveaux manifeste et latent. En outre, Greimas reconnaissait que Freud lui avait apporté une pré-cieuse vision de la profondeur, lui permettant aussi d’amorcer l’invention du concept d’isotopie.

Greimas s’était d’autre part intéressé, avec le psychanalyste Moustapha Safouan, durant son séjour à Alexandrie, à la pratique du psychodrame ana-lytique. Ce qui lui permit, au sein de Sémantique structurale (1966 : 213-221), d’appliquer et de valider ses modèles narratifs très récemment élaborés.

Et c’est bien l’élaboration d’une psychosémiotique qui nous a retenu de-puis la fin des années 1970, soutenu dans ce projet par Greimas lui-même qui reconnaissait pourtant, dans le Dictionnaire raisonné de la théorie du

langage, que la psychosémiotique n’était encore qu’un « vœu pieux » du

sémioticien (1979 : 301-303).

Au sein du groupe de sémioticiens de l’École de Paris, nous avons fait cavalier seul, même si encouragé et soutenu dans notre investigation singu-lière portant sur les comportements pathologiques accueillis en thérapie.

L’expérience personnelle de la psychanalyse, l’exercice prolongé, dans un service hospitalier, de la psychothérapie, pendant quelque dix années, nous ont apporté une indispensable expérience clinique et permis de construire une sémiotique de l’ontogenèse du sujet (dans l’approche du bébé et du jeune enfant), une sémiotique du diagnostic des comportements patholo-giques (ainsi des adolescents), sans oublier une sémiotique du changement en psychothérapie, désignée comme Théorie de l’Ellipse (voir Darrault-Har-ris et Klein, 2010 [1993]).

Ce sont ces trois aspects principaux de l’interface de la sémiotique avec la psycho-pathologie du développement et la psychanalyse qui seront ici présentés.

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