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CHAPITRE 3: Le proxénétisme en prostitution juvénile: notre analyse

3.5 Profil de la prostitution juvénile contrôlée par le proxénétisme

3.7.3 Les limites actuelles de l’intervention

Les intervenants disent éprouver beaucoup de difficultés à intervenir en matière de prostitution juvénile contrôlée par le proxénétisme. La première difficulté laquelle ils seraient confrontés tient au manque de connaissances et de formation dont ils ont pu bénéficier concernant la problématique. Les intervenants disent ne pas se sentir outillés pour intervenir; ils ne savent pas comment aborder le sujet ni comment le traiter. Ils soulignent qu’ils manquent de mise à jour quant à l’évolution du phénomène et, surtout, qu’ils manquent de temps pour intervenir auprès des garçons et, encore plus, auprès des parents, ce qui serait pourtant souhaitable :

Les gars ont des ordonnances de huit mois, ça prend six mois les apprivoiser, huit mois puis ils sont dehors. Ça fait pas beaucoup de temps pour travailler avec ces gars-là. On n’est pas bien formés. Donner moi une formation. C’est beau de jaser de tout ça, mais quand tu veux amener quelqu’un à réfléchir, à se mettre en marche, tu le bouscules, y faut que tu aies de quoi pour y répondre, faut que tu aies un minimum de connaissances (Claude, intervenant en centre jeunesse).

On a besoin davantage de connaissances, de formations par rapport à ça. Ce serait important d’être à jour là-dessus, on l’est pas toujours. Les gangs évoluent, les noms évoluent, la façon de fonctionner j’imagine évolue. D’être à jour sur le fonctionnement, pis même des recherches qui se font. Ça va être intéressant pour voir un peu… connaître davantage ces gars-là, quelles voies on peut emprunter par rapport à eux autres. Ce qui manque aussi, c’est le travail auprès des parents de ces enfants-là. Ces enfants-là sont sollicités par des adultes pis je me dis quel support, quel travail est fait auprès des parents qui entourent ces jeunes là ? (Carl, intervenant en centre jeunesse).

Claude, un intervenant en centre jeunesse, signale que les intervenants de sexe féminin seraient confrontées à une limite bien particulière : le peu de respect que ces pimps ont pour les femmes en général :

L'intervention des femmes face à ces gars-là, c'est pénible! La plupart des pimps que j'ai connus, il fallait une femme forte pour qu’elle s'intègre, qu’elle s’approche de ces gars-là parce qu’ils étaient pour lui faire payer anyway d'une façon ou d'une autre. Vu que ça devient souvent des bons leaders pis des bons manipulateurs, ils vont faire agir les autres alentour pour faire payer l'intervenante qui est intervenue dessus. Pis si elle a fait ça devant tout le monde, ben il va lui faire payer comme il faut. Parce que lui, il mérite le respect, toi t'es en bas de la hiérarchie lui il est en haut. Faque t'as pas à lui dire quoi faire même si t'as les clés, pis que t'as fait trois ans d'université (Claude, intervenant en centre jeunesse).

Les intervenants soulignent la nécessité d’impliquer davantage les parents des proxénètes dans les processus d’intervention et de les sensibiliser à la problématique, afin de pouvoir offrir un discours cohérent et des valeurs communes à ces jeunes. Toutefois, une difficulté résiderait

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dans le fait que plusieurs de ces proxénètes, depuis longtemps, n’ont plus de contacts avec leurs parents :

On n’a pas le temps d’intervenir auprès des parents parce que les gars restent pas assez longtemps. On pourrait juste ouvrir ça avec les parents, ce qui peut faire monter la panique générale, mais on pourrait pas le récupérer (Luce, intervenante en centre jeunesse).

Les parents, il faudrait les sensibiliser. Moi je pense qu'il devrait y avoir des groupes de parents pour écouter ces parents-là, ce qu'ils vivent, comment ils vont… ils doivent être dépassés. Pis les sensibilise,r parce qu'il y a des jeunes qui sont bons manipulateurs là- dedans. Les parents pensent qu'ils vont à l'école à tous les jours alors que c'est pas toujours le cas. Les sensibiliser sur les entrées d'argent, sur les comportements du jeune, les amis. Plus l'environnement du jeune va être informé (concernant la problématique), plus les gens vont avoir un discours cohérant autour de ce jeune-là, un langage commun. Ils vont s'entendre sur les valeurs. Y a des groupes de parents, comme je disais tantôt, qui pourraient être montés par rapport à ces jeunes-là, qui pourraient être supportés (Carl, intervenant en centre jeunesse).

Il serait aussi intéressant de faire des groupes avec les parents des proxénètes, pour les sensibiliser, les informer et les impliquer. Par contre, le bassin de proxénètes au niveau des gangs de rue provient surtout du noyau dur et l'intervention socio-préventive, à ce niveau-là, est à oublier. Les parents de ces gars-là ne sont plus dans le décor depuis longtemps, les gars volent de leurs propres ailes, les ponts sont coupés (Philippe, milieu policier).

Luce rapporte qu’il y a un grand besoin en centre jeunesse de rapprocher les intervenants oeuvrant auprès des garçons et auprès des filles. Celle-ci explique que la situation est difficile actuellement parce que l’information ne passe pas entre les unités de réadaptation de filles et les unités de garçons. Pourtant, les intervenants auraient tout à y gagner, estime-t-elle, puisque cette collaboration pourrait faciliter la prévention du recrutement des jeunes filles à des fins de prostitution. Elle raconte qu’autrefois une telle collaboration existait et que les intervenants s’appelaient pour se dire, par exemple, que tel garçon de l’unité plutôt que de se rendre à tel endroit comme convenu s’était plutôt rendu sur une autre unité chercher une fille. L’intervenante souligne qu’une des difficultés actuellement vécue et qui compromet la communication entre les différents intervenants est que ceux-ci s’identifient souvent à leurs jeunes et adoptent une position défensive :

Quelque chose qui est dommage, c’est qu’on travaille pas avec les intervenants des filles. Eux étaient très fermés à ça. La façon dont ils regardaient ça, c’est qu’il faut protéger ces pauvres petites filles-là, c’est vous autres les agresseurs… Ils voient les filles en victimes, alors ça devient difficile de travailler comme ça. Parce que moi aussi les gars je trouve qu'ils sont pas corrects, mais ils ne sont pas juste agresseurs, pis je réussis quand même à les aimer pis à leur faire faire un boutte. C'est rendu que tu te pognes avec les autres intervenants, pis on est en train de s'agresser sur le dos du client, ça marche pas. Faqu'on est pas arrivé non plus à travailler ensemble, Mais on aurait peut-être intérêt, parce que c'est justement, nos gars se retrouvent sur le site pis y recrutent les filles. Des fois on aurait des

informations /…/ Faque c'est ça qui est dommage... On avait déjà été un peu proches, pis c'était payant parce que le centre d'accueil X nous appelait: « Écoute tel gars vient de débarquer à quatre heures à l'autobus pour venir chercher des filles … On savait très bien c'était qui, faque là : « Vient ici, c'est pas là que tu t'en allais». Pis justement, on avait des infos pour creuser plus: « Qu'est-ce que tu fais là, pourquoi t'es là? » Pis là, on le fait pu. Parce qu'au niveau des sites là aussi il faut se parler un moment donné (Luce, intervenante en centre jeunesse).

La sensibilisation devrait aussi être faite auprès des intervenants des milieux communautaires et scolaires insistent plusieurs interviewés. Philippe, intervenant en milieu policier, de son côté soutient qu’on doit permettre aux filles de parler de ce qu’elles vivent, d’exprimer ce qu’elles ressentent. Par conséquent, le bassin d’intervenants habilités à recevoir les confidences de ces filles devrait être élargi. Aussi un support devrait être offert aux organisations de contrôles informels afin de s’assurer de leur collaboration :

La clé de l'intervention se situe au niveau socio-préventif. Il doit y a avoir plus de formations, de sensibilisation dans les écoles. Au bout de la ligne, les filles doivent être en mesure d’en parler. Le message ne doit pas nécessairement être de parler à la police, mais d'en parler à quelqu'un, de se confier. On doit créer un cadre où les jeunes se sentent à l'aise de donner de l'information par rapport au phénomène, parce qu'ils l'ont cette information-là. Les gars qui ne sont pas touchés par ce phénomène ont eux aussi un rôle à jouer; ils doivent être à l'aise de donner de l'information car ils voient des filles être victimes d'intimidation, ils voient des gars recruter dans les parcs… Dans une vision macro, le recrutement s'inscrit en masse. Dans la communauté, il y a des réseaux de contrôle informels et ces gens-là doivent être rencontrés, informés et backés (directeur d'école, professeurs, intervenants scolaire, surveillants de métro...). Dans ce contexte, les contrôles informels ne sont pas là. Les gens qui doivent donner de l'information et se lever pour dénoncer, ne le font pas. Il y a des professeurs qui ont été menacés par des gangs et qui ne sont pas intervenus lorsqu'ils le devaient parce qu'ils n'ont pas eu de back-up, de support. C'est problématique. (Philippe, intervenant en milieu policier).

Plusieurs intervenants soulèvent aussi la nécessité d’échanger davantage d’informations avec les policiers :

Y a des liens à faire avec le corps policier, des échanges à faire avec eux par rapport au fonctionnement des gangs (Carl, intervenant en centre jeunesse).

Faut travailler ensemble, faut travailler de concert avec la police, mais c’est très difficile (Richard, intervenant en centre jeunesse).

La police doit (aussi) travailler avec le centre jeunesse et au moins échanger de l'information (Philippe, milieu policier).

Selon Philippe, intervenant en milieu policier, il serait important d’investir dans la prévention primaire et développer des programmes de sensibilisation au respect, à la violence et au recrutement par les proxénètes pour la prostitution. Ces programmes de prévention devraient toutefois être accompagnés d’une formation pour les intervenants scolaires et les parents, si on

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arrivait à les impliquer. Il ajoute que ces outils doivent aussi être appuyés par de l’intervention et, qu’à ce titre, une association avec les centres jeunesse pourrait être intéressante :

Très, très en amont, y a quelque chose à faire au niveau de la prévention primaire, par exemple sur la violence faite aux filles, par exemple la publicité sur le chum qui arrache le téléphone à sa blonde... Expliquer c'est quoi la violence: verbale, psychologique, physique... On pourrait le faire en bloc au niveau du primaire, utiliser un outil large comme le vouvoiement, le respect. Et au niveau secondaire mettre l'emphase sur rompre le silence, dénoncer ce que tu vois et donner plus de back-up aux intervenants qui s'en mêlent. Les outils doivent être appuyés; exemple, l’intervention du centre jeunesse en donnant référence à un numéro de pagette disponible en tout temps. On doit former les intervenants au secondaire, les profs sur les gangs, sur le recrutement pour la prostitution juvénile et, peut-être même parler du recrutement aux gars et filles du primaire, en l'abordant en lien avec le respect et la violence. La clé est là. Au niveau du proxénétisme et du recrutement l'aspect prévention est incontournable. Il faut éduquer les parents parce qu'ils sont une source d'intervention privilégiée en amont (Philippe, intervenant en milieu policier).