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CHAPITRE 3: Le proxénétisme en prostitution juvénile: notre analyse

3.3 Portrait des jeunes prostituées « pimpées »

3.3.2 Caractéristiques psychologiques, émotionnelles et affectives

Il semble très clair aux interviewés que les proxénètes recherchent d’abord et avant tout chez les jeunes filles qu’ils peuvent recruter aux fins de prostitution, une forme de vulnérabilité. Non que le physique ne soit pas important, notent-ils, mais la jeune fille doit être, avant toute chose, « manipulable »:

Les proxénètes dans les écoles ce qu’ils doivent rechercher c’est sûr que ça doit être souvent une des plus cutes, mais il faut qu’elle soit manipulable (Claude, intervenant en centre jeunesse).

Marc, un avocat, explique que la clientèle féminine des centres jeunesse est d’autant plus exposée à cet égard que les jeunes filles qui s’y trouvent sont des plus démunies affectivement, d’où l’intérêt des proxénètes pour cette population :

Il va y avoir des filles qui vont vouloir faire ça pour le faire. Elles peuvent se retirer de là, y a personne qui les oblige. Mais par contre, où est-ce que je mettrais un bémol, c’est les filles qui se sont faites recruter dans les centres d’accueil, y en a beaucoup. Et ça, je trouve que c’est une clientèle captive, démunie. Écoute, l’environnement affectif dans un centre d’accueil c’est déplorable. T’as une promiscuité de jeunes filles là-dedans qui vivent toutes sortes de problématiques, alors t’as un gars qui va arriver un moment donné avec son char, pis qui paye la bouse… (Marc, avocat)

Les intervenants rencontrés, qu’ils soient du milieu des centres jeunesse ou du milieu policier, s’entendent pour dire que, contrairement à ce qui a souvent été véhiculé dans les médias, toutes les jeunes filles ne sont pas à risque d’être recrutées pour la prostitution. En effet, il est peu probable qu’une jeune ayant des liens serrés avec ses parents, un bon réseau social et une forte estime d’elle-même se retrouve à faire de la prostitution pour un proxénète. Encore ici, ils signalement que la condition économique de la famille ne serait pas, en soi, un facteur expliquant l’implication d’une jeune fille dans des activités de prostitution. La réponse se trouverait plutôt dans le degré d’estime de soi de la jeune fille, dans la présence ou non d’un réseau social la supportant, dans le climat familial et dans son histoire passée :

/…/ même si le compte de banque des parents est mieux garni, c’est pas garant du fait qu’elles ne s’impliqueront pas dans des activités de prostitution non plus (Stéphanie, intervenante en centre jeunesse).

Il y a aussi des filles avec plus de ressources qui font de la prostitution, mais ce n’est pas la majorité. Elles ont des ressources, mais elles sont coupées de leurs parents, en crise. Alors elles trouvent intéressant le «package» que leur proposent les proxénètes (Philippe, intervenants en milieu policier).

Encore une fois, les intervenants, rappellent que c’est avant tout la vulnérabilité qui prédit l’entrée d’une jeune fille dans la prostitution, une vulnérabilité qui prend sa source, entre

autres, dans les relations difficiles vécues avec les parents, dans des modèles de relations de couple inégalitaires, dans un faible réseau de soutien …

Sur cette dimension de la problématique, les répondants se font particulièrement volubiles. Ils signalent que les jeunes recrues sont généralement en rupture avec leur milieu familial ou, à tout le moins, vivent des relations difficiles avec leurs parents. Plusieurs auraient été exposées à des modèles de relations hommes/femmes inadéquats ou malsains. Certaines auraient une histoire passée d’abus sexuel, témoigneraient d’une éducation sexuelle déficiente voire, inexistante, et confieraient une pratique précoce de la sexualité. Plusieurs insistent sur le fait que ces filles se connaissent très peu, sinon pas du tout. Elles auraient une image déformée d’elles-mêmes et ne parviendraient pas à se définir positivement. Ce sont, aux yeux des intervenants rencontrés. des jeunes filles démunies affectivement qui présentent, par conséquent, de grandes carences et une très faible estime d’elles-mêmes :

C'est des filles qui sont un peu laissées à elles-mêmes, qui ont peu ou pas de réussite scolaire, que le soir elles pourraient rentrer ou ne pas rentrer chez eux que ça dérangerait pas. Des filles qui vivent des conflits familiaux importants, qui sont aux prises avec des problèmes personnels, de l’abus, qui ont vécu des choses, qui ont décidé de fuguer de la maison, pis qui sont sans ressource. On cherche des filles qui sont très démunies au plan personnel. C’est aussi des filles je dirais, on dirait que c’est écrit dans (leur face)… (Sylvie, intervenante en CLCS).

C'est souvent des jeunes filles qui ont des profils de carences affectives, qui ont des passés assez difficiles au plan émotif, au plan de la sexualité. Y a des parcours qui se recoupent, sans dire que tout le monde a vécu des abus sexuels ou a commencé sa sexualité de façon précoce, mais il y a quand même des profils-types. Au niveau aussi de toute la question des relations avec les parents, au niveau des modèles de relations amoureuses qu'elles ont pu avoir dans leur vie, qui sont souvent pas très sains (Stéphanie, intervenante en centre jeunesse).

Donc c'est des filles qui ne se connaissent pas du tout, c'est vraiment des éponges. T'en donne, t'en donne, mais c'est jamais plein. On connaît mal le profil exact des filles qui se prostituent adultes ou juvéniles. Mais je pense qu'il a une piste /…/ C'est des filles qu'au plan sexuel niette, elles ont aucune connaissance. Écoute, j'ai des filles qui pensaient que le clitoris c'était leur iris de l'œil. Elles sont vraiment « nothing ». Elles ont aussi à mon avis, c'est ce que je constate, des modèles de relations amoureuses qui ne sont pas sains. Donc soit elle aura été témoin de la violence conjugale de sa mère ou des infidélités du père. /…/ Celles qui rentrent, c'est des filles qui ont un profil bien particulier et je pense que les réponses se situent au niveau des perceptions des relations amoureuses, leur perception inévitablement de la sexualité entre les hommes et les femmes et leur profil socio-affectif qui est sans doute beaucoup plus lourd que les autres jeunes en général. Ça j'en demeure assez convaincue. Au même titre que c'est pas n'importe qui, qui devient proxénète. C'est pas n'importe quel gars de gang qui devient proxénète (Louise, intervenante en centre jeunesse).

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Stéphanie, intervenante en centre jeunesse, explique que ces jeunes filles sont facilement manipulables parce qu’elles seraient prêtes à faire confiance à toute personne qui leur donnera l’impression qu’elle comprend leur détresse, leur souffrance. Elles ont besoin de sentir qu’on s’intéresse à elles et qu’on peut changer leur vie, ce que les proxénètes auraient compris :

Donc c'est sûr qu'au début il y a tout le processus de valorisation au plan émotif, au plan affectif, au plan matériel aussi, on t'inonde de cadeaux, tu deviens la personne la plus importante au monde. Ou encore, il y a souvent aussi l'aspect de venir en aide, souvent les jeunes filles vont se faire accrocher comme ça, sans nécessairement se faire gratifier tant que ça, mais elles vont avoir l'impression que quelqu'un va les sauver, que quelqu'un … je sais pas moi, par exemple une fille qui serait en fugue, qui serait dans un milieu familial très très difficile et le gars pourrait percevoir qu'elle est triste, qu'elle n'a pas l'air bien, qu'elle n'a pas d'endroit où rester, il va répondre à ce besoin-là. Pis ça va être suffisant pour accrocher les filles. D'avoir eu juste l'impression que quelqu'un comprenait la détresse dans laquelle elle se trouvait, pis d'avoir l'impression que cette personne-là sait quoi faire avec cette détresse-là pis peut donner un coup de pouce. Pis elle est prête à faire confiance (Stéphanie, intervenante en centre jeunesse).

Ainsi donc, de l’avis unanime des intervenants consultés, une grande partie des jeunes filles se livrant à la prostitution auraient été victimes d’abus sexuel intra ou extra familial. Elles auraient appris tôt la valeur marchande de leur corps, nous raconte Louise, intervenante en centre jeunesse. Selon cette dernière, ces filles ne sauraient entrer en contact interpersonnel autrement que par la séduction, ne se reconnaissant aucune autre valeur. Ainsi, indépendamment de ce qu’elles ont l’air, elles n’auraient aucune habileté à entrer en relation tant avec les hommes qu’avec les femmes, jeunes ou adultes, autrement que par la séduction :

C’est des filles que très tôt, j’en suis convaincue, on les a beaucoup valorisé sur leur corps et qu’il était une valeur marchande et que « De toute façon, tant que tu vas avoir ton cul, tu vas être capable de te débrouiller dans la vie, et que sans ça t’es rien. Aussi, dans la vie, pour entrer en relation tu séduis » (Louise, intervenante en centre jeunesse).