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CHAPITRE 3: Le proxénétisme en prostitution juvénile: notre analyse

3.3 Portrait des jeunes prostituées « pimpées »

3.3.5 Les aspects positifs de la prostitution

Il n’est pas évident d’aborder les avantages de la prostitution puisque, de soi, cette pratique à l’encontre des valeurs de la plupart. Pour certains, il peut donc être difficile, voire impossible, d’accepter qu’il y ait des avantages associés à la pratique de la prostitution. Toutefois, ne pas en tenir compte reviendrait à négliger un aspect important permettant d’orienter l’intervention et de la rendre plus adaptée aux situations vécues par les jeunes filles, insistent les intervenants :

Y a des filles qui vont elles-mêmes approcher des gars en leur disant « Je t'aime, eh… », tsé c'est toute la relation pimp/prostituée en contexte de gang qui est très /…/ c'est la relation amoureuse. La fille ce qui l'attire c'est pas le proxénète, c'est le gars qui lui promet de prendre soin d'elle, de s'occuper d'elle. Et y a certaines filles qui sont prêtes à payer le prix de vendre leurs services sexuels pour ne pas perdre l'amour. On voit beaucoup les aspects négatifs de la prostitution en général, mais des aspects positifs il y en a beaucoup. Oui c'est sûr que les conséquences physiques, psychologiques à long terme sont très dévastatrices et je pense qu'elles en viennent à camoufler les aspects positifs, mais ils sont toujours là les aspects positifs. Stéphanie quand tu vas la rencontrer, elle va sûrement te parler de son bonhomme mini-wheat. Pis on parle toujours de la céréale croquante plate dégueulasse. Mais on oublie toujours qu'il y a un côté givré pis que c'est ça qu’elles se collent sur le palais les filles. Et c'est à cette foutue couche-là que les filles s'accrochent /…/ Parce que les filles, si c’était exclusivement négatif ce qu’elles vivraient dans les gangs et dans leurs relations avec le ou les proxénètes, elles ne resteraient pas là. Et je suis convaincue que c’est pas

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uniquement la peur qui les fait tenir là, ça je suis convaincue (Louise, intervenante en centre jeunesse).

D’abord, la prostitution, et surtout la relation avec le pimp, répondraient à des besoins fondamentaux d’amour, de valorisation et d’appartenance. Plus encore, ces besoins seraient rapidement répondus par le milieu de la prostitution, alors qu’ils ne le seraient pas autrement :

C’est des filles qui ont un vide affectif, c'est ça là, on a parlé beaucoup des éléments négatifs, mais les activités de prostitution ça répond à des besoins fondamentaux, besoin d'amour, d'appartenance, de valorisation. Ça va servir aussi pour certaines de moyens de survie, de se débrouiller, de devenir autonome, de fuir une situation qui est très difficile. Donc, la prostitution répond à ces besoins-là, pis à ces motifs-là de façon très rapide /…/ (Stéphanie, intervenante en centre jeunesse)

Y a des filles qui vont se vanter d’avoir fait sept fellations dans une soirée à des gars, pis elles ça les valorise, elles aiment ça. Pis elles ne se voient pas comme des putains, c’est des filles qui font bander les gars et qui les tiennent par ça les gars. C’est ça ce que je vois moi des fois : « J’ai un pouvoir sur eux, je les fais réagir, ils me désirent, je le vois et je fais partie de la gang » (Marc, avocat).

C’était valorisant pour la fille, c'était la seule fois qu'elle recevait l'amour, l'attention masculine. C'est un peu pour ça qu'elles restent, parce qu'il n'y avait pas d'argent et la drogue elles sont rendues assez tôt dans leur consommation, c'est pas des junkies /…/ C'est pas comme la prostituée qui vient ici pour échanger des seringues, qui vont faire une pipe pour se faire un fix. C'est pas la drogue qui les attire quand elles commencent. Mais c'est tout le

glamour, l'argent, tsé le gars a sa voiture, le respect, et dans l'école tous savent c'est qui qui

est le dealer, qui est le pimp et c'est qui qui travaille pour lui. C'est pour le respect, l'acceptation. Parce que, dans le fond, la fille a quelque chose à donner, elle sent qu'elle a quelque chose à donner, mais elle voit pas ça comme une prostitution. (Fernando, travailleur de rue).

Pour certaines, la prostitution serait plutôt un moyen de survie permettant d’acquérir un certain degré d’autonomie, ce qui est le plus souvent le cas des fugueuses :

Moi je suis convaincue que la majorité des filles… les filles qui fuguent elles savent où elles s’en vont. Leurs contacts elles les ont eu bien avant. Et il y a eu un cheminement personnel. Moi y a bien des fugueuses qui pourraient crisser leur camp je sais pas où, pis je serais pas inquiète au niveau des activités sexuelles. Ce n'est pas vrai que c'est toutes les jeunes en difficulté, c'est pas toutes les filles qui sont à risque. Je pense à une, entre autres, elle je vais être inquiète pour le gars qui va tenter de la recruter à des fins de prostitution, il va manger un mauvais quart d'heure. Alors je pense que oui, même si on le connaît mal, je demeure convaincu que les filles qui vont se retrouver dans les activités de prostitution, je pense qu’il peut y avoir des filles qui vont toucher pis qui vont faire: « hen-hen » pis qui vont sacrer leur camp (Louise, intervenante en centre jeunesse).

Il semblerait aussi que bien des jeunes filles soient conscientes du processus dans lequel elles se trouvent et, pourtant, s’y laissent entraîner librement, comme le rapporte Stéphanie, intervenante en centre jeunesse qui souligne que le goût du risque et le besoin de sensations fortes pourraient expliquer leur désir de se prostituer. Pour d’autres, c’est l’envie de changer de vie et de vivre le conte de fée qui les convaincraient de se joindre à ce milieu :

C'est tellement des filles qui ont eu un vécu difficile, elles ont tellement ce rêve là de dire: « Ah un jour ça va changer, ça va être magique, ça va tellement être merveilleux. Je veux ça, je veux le bonbon qu'on m'a l'air de me présenter ». C'est ça, elles prennent le risque. Pis y en a d'ailleurs que c'est ça qui va les attirer. Quand on parlait des filles des fois de milieux plus aisés, il y en a des filles qui savaient que le gars les recrutait, en tout cas j'ai eu une couple d'histoires qui m'ont été rapportées comme ça, les filles savaient que le gars était pimp, elles n'étaient pas intéressées à développer une relation amoureuse avec lui mais, par goût du risque, par goût d'aller voir c'est quoi ce milieu-là, essayer d'aller tester, le goût de l'aventure, des émotions fortes, de s'opposer à ses parents, vont être aller faire une courte trempette dans ce milieu-là. C'est sûr que c'est des filles qui ressortent plus rapidement quand c'est ça leur motivation parce que, comme on disait, ce qui les maintient dans le milieu, c'est la relation amoureuse, toute la dépendance, faque elles font des plus courtes trempettes. Mais il y a quand même d'autres motifs qui peuvent les attirer dans ces activités (Stéphanie, intervenante en centre jeunesse).

Les propos tenus par les intervenants laissent ainsi clairement entendre que, bien que les motifs conduisant les jeunes filles à s’impliquer dans des activités de prostitution puissent différer en nature, ils se ramènent tous à des besoins que ni l’entourage de la jeune fille ni la société en général, ne sont parvenus à identifier, encore moins à combler.