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CHAPITRE 3: Le proxénétisme en prostitution juvénile: notre analyse

3.1 Portrait du proxénétisme au Québec

3.1.3 Le profil du proxénétisme de manière générale

Malgré que le proxénétisme en contexte de gangs apparaît être le plus fréquent en lien avec la prostitution juvénile, nous traiterons d’abord plus largement de la problématique, l’envisageant de manière générale.

Il ressort en effet, de façon évidente, que les proxénètes sont majoritairement associés aux gangs. Il existerait toutefois des situations qui sortiraient de l’ordinaire. En effet, des intervenants soulignent que le proxénétisme peut aussi être une affaire de famille :

Les proxénètes que j’ai connus c’était tout relié aux gangs. Sauf un dernièrement, c’était une chose familiale. Les frères étaient là, lui faisait les commissions, ou il faisait le transport j’imagine de temps en temps pour les filles (Claude, intervenant en centre jeunesse). L’histoire c’est que le père était de connivence avec les enfants dans toute cette histoire-là, au niveau de la prostitution avec des volets à Toronto, New York, etc. /…/ Mais j’pense que c’est pas quelque chose qu’on voit souvent une entreprise familiale de ce genre-là (Laurence, intervenante en centre jeunesse).

Je pourrais te nommer des familles, que je ne nommerai pas. Et ces gens là sont hyper bien organisés. De la sœur, au frère, au cousin… c’est un noyau. Eux autres, c’est la prostitution (Richard, intervenant en centre jeunesse).

Les intervenants ne s’entendent pas sur le degré d’organisation du proxénétisme en prostitution juvénile. Fernando, travailleur de rue, nous parle d’un proxénète adulte dont le réseau semblait assez structuré :

J’ai connu un monsieur qui faisait du recrutement dans les cours d’écoles pour qui c’était organisé. C’est un monsieur qui a une liste de noms, des téléphones et qui le fait dans le moment, ça se fait sur l’heure du midi, une heure par jour /…/ Tout est organisé par le pimp en réseau, il ne travaille pas seul (Fernando, travailleur de rue).

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Philippe, intervenant en milieu policier, dit même avoir constaté l’existence d’un système de cotation du rendement des filles :

Il y a des endroits où la fille est cotée : on a déjà vu une facture d’agence avec une grille qui accordait une note de 1 à 10 aux filles pour la fiabilité, la ponctualité, l’apparence, les extras, etc. (Philippe, milieu policier)

De façon générale, il ressort des propos livrés par les intervenants, que le proxénétisme, comme activité, prendrait une place plus ou moins importante dans la vie de celui qui s’y adonne. Pour certains, elle occuperait une place centrale dans leur agenda :

Il y a des membres qui sont rattachés aux activités de proxénétisme principalement. Le proxénétisme est organisé, c’est une job, c’est plus structuré. Le proxénète fait parfois autre chose, genre un vol qualifié, mais son créneau c’est la prostitution juvénile. Il a des contacts, des plogues... (Philippe, milieu policier).

alors que, pour d’autres, il s’agirait plutôt d’une façon de se faire un revenu supplémentaire :

Les pimps ne font pas que ça, ils se spécialisent dans tout (Normand, milieu policier).

Ils ne font pas que du proxénétisme. Ah oui, ça j'en ai toujours été convaincu. Et c'est ça, la prostitution c'est comme un sideline /…/ (Louise, intervenante en centre jeunesse).

De fait, pour bon nombre d’intervenants rencontrés, une seule motivation expliquerait l’intérêt pour le proxénétisme : l’argent. Ainsi, l’activité serait vue comme une entreprise, un moyen de se faire rapidement des sommes importantes sans grand risque de se faire prendre :

Les proxénètes, pour eux, c’est une business, un marché /…/ c’est très très payant le proxénétisme (Philippe, milieu policier).

C’est comme une business pour eux-autres, c’est une PME pour eux-autres dans leur tête. C’était aussi, ben eux-autres disaient ça, c’est une façon assez facile de faire de l’argent sans se faire pogner (Luce, intervenante en centre jeunesse).

Si le gars est en train d’attendre l’autobus, qu’il ne travaille pas nécessairement et qu’il voit une fille dans la merde, même si elle n’est pas un pétard, il va saisir cette occasion là. C’est des businessmen. Quand il y a un moyen de faire une piasse, ils vont aller vers ça (Stéphanie, intervenante en centre jeunesse).

Ainsi, les avantages pour un proxénète se situeraient principalement dans la possibilité de faire rapidement beaucoup d’argent. Selon les intervenants, les jeunes auraient vite compris ce qu’ils peuvent retirer de leur pratique, et il devient difficile, pour les intervenants, de compétitionner avec cet aspect très lucratif de la pratique du proxénétisme :

/…/ ils les voient tous les avantages qu’ils ont. Je suis sûr que je frayerais autour de ça pis ce serait attirant, je les comprends. C’est là que ça devient difficile d’influencer les jeunes. /…/ Comment veux-tu influencer ces gars là? Moi-même je serais peut-être influencé, particulièrement à leur âge, si j’avais vu ça alentour de moi. Y penses-tu? Tu te promènes avec 1500$ dans tes poches à tous les soirs. T’as ça à tous les soirs qui rentre dans tes poches, à 17 ans! (Claude, intervenant en centre jeunesse)

En plus de l’argent, ajoutent les interviewés, le pouvoir paraît lui aussi très attirant pour les jeunes garçons qui gravitent dans ce milieu, tout comme l’accès facile à des filles pour leur profit :

L’argent, le pouvoir. /…/ Pis t’as les avantages, t’as les bénéfices marginaux qui vont avec. Parce que, dans le fond, t’as toujours accès à des belles filles. Ils en profitent aussi. (Luce, intervenante en centre jeunesse).

C’est payant, c’est valorisant au bout. Tout le contrôle que tu vas chercher là, le power que tu peux avoir face aux filles, face aux autres gars. Combien de monde que tu peux acheter avec ce genre de choses-là? (Claude, intervenant en centre jeunesse)

En somme, pour les intervenants, malgré que les avantages de la pratique s’avèrent nombreux et que l’argent à lui seul parvienne à convaincre un jeune de s’impliquer dans des activités de proxénétisme, il n’en demeure pas moins que la vie de proxénète n’est pas sans compter ses aléas. Parmi ceux-ci se trouve l’inégalité des bénéfices engendrés d’une fille à l’autre.

Selon Normand, intervenant en milieu policier, une fille pourrait rapporter jusqu’à 5000, voire 7000$ par semaine. Un gars ayant été arrêté aurait avouer faire, par année, avec une fille 125 000$, selon son estimation. Et chaque proxénète contrôlerait entre trois et cinq filles, il ne reste qu’à compter.

Mais Richard, un intervenant en centre jeunesse, indique que, pour les petits recruteurs, souvent la paie n’est pas très bonne sauf lorsqu’ils ont de «bonnes prises, des prises sûres», c’est-à-dire une fille qui a des chances de rapporter beaucoup d’argent. À ce moment, le bénéfice peut s’avérer intéressant. Sinon, le proxénète avec qui elle fait affaire peut décider de la vendre immédiatement, ce qui arriverait assez souvent lorsqu’une fille paraît trop à risque de se faire prendre dans le milieu. Dans ce cas, on en retire un moins bon montant :

Ils vendent une fille tout de suite, comme c'est arrivé souvent : une fille est trop hot à Montréal, ils vont la vendre, parce qu'elle est connue, ou parce qu'elle a des affiches partout, ils vont la vendre tout de suite. Écoute, vendre une fille à une agence de recrutement ça peut être 2000$, mais ça peut être 5000$ dépendant de la petite fille aussi. Mais là, à ce moment là, c’est drôlement intéressant pour le gars, parce que 2000$, 5000$ de bel argent fait vite juste à transiger une fille. Ça c’est intéressant, pour eux autres c’est payant. Ils ont une cote, les gars, les petits «strickers» peuvent avoir une cote plus forte à ce

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moment-là. Alors qu’ils peuvent avoir 300$ ou 400$ pour avoir vendu une voiture. Les gars vont vendre une auto volée, ça leur donne en moyenne 300$, des fois 500$ mais en moyenne 300$. Pour une fille ça peut être ça aussi, ça fait froid de parler comme ça mais c'est comme ça. La réalité est pas plus, est pas moins que ça (Richard, intervenant en centre jeunesse).

Mis à part les rendements économiques, susceptibles de varier beaucoup, les intervenants signalent la pression que subissent ces proxénètes à l’intérieur de leurs activités, particulièrement ceux pratiquant en contexte de gangs, nous y reviendrons. Les pimps ont à protéger autant leur territoire que leurs filles toujours à risque de devenir un «objet de désir» pour un compétiteur qui, à son tour, peut voir en elle un bon potentiel de rendement économique. De plus, les menaces et la violence entre ces gangs seraient sources de stress constante pour ces pimps. Sans oublier qu’une fille recherchée par les autorités attire rapidement les policiers. Malgré tout, l’intervenante ne semble pas croire que ces désavantages soient très dissuasifs. En effet, l’argent rapporté par le proxénétisme parviendrait largement à contrebalancer ces difficultés:

Tout n’est pas toujours rose parce qu'ils travaillent fort pour garder la fille. Pis à ne pas se la faire voler, pis à ne pas se faire voler leur territoire. Ils avaient beaucoup de pression. Moi je me souviens qu'y en avait un entre autres qui recevait des menaces de rivals qui l’appelaient dans l’unité. Pis y en a une couple de crackpots qui allaient chercher des filles de gangs adverses. C'est sûr qu’ils avaient des ennemis en multiplicatif avec ça, même si la fille c'était un bon potentiel, pis qu'elle rapportait de l'argent, les autres l'attendaient tout le temps /…/ Y a tellement de menaces, de sous-entendus, que l'état de panique dans lequel ils vivent, ça je trouve que c'est un désavantage à quelque part. À part ça, ça reste que … y a des places où ils font danser les filles y a de la police là quasiment à toutes les semaines.

Pis y a des fois qu'ils pognent des filles en fugue, pis c'est sûr qu'elle est recherchée, c'est sûr qu’en faisant ça t'as la police qui souffle assez proche de toi en arrière. Mais ils ont tellement plus d'avantages, le lot d'argent qui passe dans leurs mains, la vie de pachas qu'ils font eux autres aussi. Ils voient pas ça comme des gros désavantages, ça pèse pas dans la balance (Luce, intervenante en centre jeunesse).