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Une distinction qui s’impose : proxénétisme de soutien ou proxénétisme de

CHAPITRE 3: Le proxénétisme en prostitution juvénile: notre analyse

3.1 Portrait du proxénétisme au Québec

3.1.1 Une distinction qui s’impose : proxénétisme de soutien ou proxénétisme de

On se souviendra qu’Ouvrard (2000) établit une distinction entre le proxénétisme de contrainte et celui de soutien et précise que ce qui différencie le premier type du deuxième réside dans la violence exercée sur la personne prostituée ainsi qu’une forme d’organisation du «business» qui ne seraient pas présentes dans le proxénétisme de soutien. Intervenante en centre jeunesse, Stéphanie confirme l’existence de ces deux formes de proxénétisme et précise ce qu’il faut entendre par l’un et par l’autre:

Dans le proxénétisme de soutien ce que tu vas retrouver là-dedans c’est tous les propriétaires d’agences d’escorte, c’est les propriétaires de bars de danseuses, les chauffeurs des escortes aussi. Donc, c’est des hommes qui profitent des activités de prostitution des femmes, qui vont faciliter aussi des fois ces activités là. /…/ Il y en a qui vont même parler d’États proxénètes de certains pays où la prostitution est assez… donc l’État profite des activités de prostitution /…/ Les proxénètes de soutien, c’est eux autres qui vont faciliter le contact entre le client pis la fille qui fait de la prostitution, donc ils vont retirer une partie des profits, mais ils ne vont pas nécessairement obliger les femmes à faire de la prostitution. C’est comme si c’est une relation de business qu’ils auraient installée entre les deux (Stéphanie, intervenante en centre jeunesse).

Le proxénétisme de soutien est ainsi principalement qualifié par des relations d’affaires et pratiqué par des «planificateurs» qui gèreraient les activités de groupes de prostituées consentantes à qui ils fourniraient la clientèle, plutôt que par des proxénètes au sens plus connu du terme. Le proxénète, au sens traditionnellement entendu, pratiquerait plutôt un proxénétisme dit de « contrainte », par lequel il cherche à s’attacher les prostituées, à les

garder sous son emprise, à contrôler leurs activités et à profiter directement des profits qui en découlent:

/…/ on va parler davantage du proxénète comme au sens traditionnel du terme qui est : un individu sans scrupule qui va recruter les femmes pour les induire à faire de la prostitution, pis va vivre des fruits de cette prostitution là. Et dans cette relation là, le proxénète et la prostituée, ben là, c’est toute la question de la dépendance affective, de la violence aussi, qui va s’installer. Violence psychologique, violence physique, violence sexuelle. Donc ça, ça va teinter ce deuxième type de relations là (Stéphanie, intervenante en centre jeunesse).

Malgré cette distinction, à première vue tranchée, entre les deux formes de proxénétisme, l’intervenante souligne qu’il faut demeurer prudent car la marge de l’une à l’autre est parfois mince. La différence se situerait en fait, essentiellement, dans la relation qui se noue entre le proxénète et la prostituée, faisant intervenir la perception de la fille dans l’appréciation de la situation :

/…/ on a beau dire que les gérants d'agences d'escortes ou de bars de danseuses ben ils sont pas des proxénètes de contrainte, c'est pas vrai dans tous les cas non plus /…/ Moi, la distinction que je te dirais que je fais le plus, c'est au niveau de la relation amoureuse, c'est plus la perception de la fille là-dedans. C'est comment elle va définir la personne qui contrôle ses activités. Je pense que c'est plus ça, donc c'est peut être ça au niveau du proxénétisme de contrainte (Stéphanie, intervenante centre jeunesse).

Le proxénétisme de soutien, de l’avis de cette intervenante, serait la catégorie la plus commune, représentant les quatre cinquième de la pratique tant du côté de la prostitution adulte que juvénile:

/…/ on va dire qu’il y a une proportion à peu près d’une femme sur cinq qui travaille pour un proxénète de contrainte, pis à l’inverse, quatre femmes sur cinq qui travailleraient pour un proxénète de soutien /…/ C’est des femmes adultes /…/ on peut faire un parallèle aussi, on peut penser que les mêmes proportions vont se retrouver… À travers les études sur la prostitution, souvent ce qu’on va voir, pis dans le discours des jeunes aussi pis des adultes qui font de la prostitution, ce que tu vas voir c’est qu’elles ont commencé entre 14 et 16 ans, pis qu’elles ont cheminé là-dedans, pis que les expériences se recoupent. On sait que les situations ne sont pas très différentes non plus (Stéphanie, intervenante en centre jeunesse).

Les proxénètes de contrainte, eux, se subdiviseraient en différentes catégories que distingue un intervenant du milieu policier:

Le proxénète qui contrôle plusieurs filles; le proxénète qui contrôle une seule fille; les proxénètes qui travaillent pour une organisation où la fille appartient au gang. Elle travaille pour l’organisation, faisant en sorte que si le gars entre en prison, la fille va continuer de travailler (Philippe, milieu policier).

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Dans le cadre de la présente recherche, nous nous intéresserons au proxénétisme dit de « contrainte » plutôt qu’au proxénétisme de « soutien ». Nous souhaitons ici contribuer à une meilleure compréhension de ce phénomène en produisant de nouvelles connaissances permettant de mieux saisir ce qui amène une jeune fille dans la prostitution et ce qui l’empêche d’en sortir.

Le proxénétisme de soutien mériterait aussi une attention particulière et qu’on précise la configuration de la relation « d’affaire » qu’on dit alors exister entre le proxénète et la prostituée. Toutefois, le caractère « volontaire » de la relation entre les deux en fait un sujet définitivement différent de celui qui est ici traité. Le proxénétisme de contrainte retient notre attention car il est celui qui ressort immanquablement des propos des intervenants que nous avons rencontrés dans le cadre de notre étude visant à faire la lumière sur la question du proxénétisme en prostitution juvénile.

Tout au long de notre rapport, nous nous permettrons d’utiliser le genre féminin lorsque nous ferons référence aux prostitués, puisqu’il ressort clairement des entrevues réalisées auprès des intervenants que la prostitution masculine ne serait pas contrôlée par les proxénètes au sens où nous l’entendons dans cette recherche. Par contre les proxénètes seraient, eux, quasi exclusivement des hommes. C’est du moins la réalité qui nous est révélée:

Ce qu’on sait… au niveau de la prostitution masculine, on ne retrouve pas de proxénète. Ce qu’on va nous dire, c’est que les garçons vont faire davantage de la prostitution de façon autonome et s’ils font affaire à des proxénètes, ça va vraiment être des proxénètes de soutien. Mais y aura pas de proxénétisme de contrainte comme tel, ça fait pas partie de la réalité de la prostitution masculine (Stéphanie, intervenante en centre jeunesse).