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DEUXIEME PARTIE

A- El Kef vs Ouled Haddou

II- 5-7 La limite Danien/Sélandien

Dans les zonations classiques à Foraminifères planctoniques, des biozones sont attribuées aux différentes parties du Paléocène (inférieure, moyenne et supérieure), sans donner de corrélations précises avec les étages de cette époque (Bolli, 1966; Stainforth et al., 1975; Blow, 1979; Toumarkine et Luterbacher, 1985). Admettant la subdivision du Paléocène en une partie inférieure et une partie supérieure (Danien et Thanétien), certains auteurs considèrent que l'apparition de Morozovella angulata indique le passage au Paléocène supérieur et marque ainsi la fin du Danien (Berggren et al., 1985; Berggren et Miller, 1988).

La subdivision de l'époque Paléocène en trois étages (Danien, Sélandien et Thanétien) a été adoptée lors du 28ème Congrès Géologique International, tenu à Washington en 1989 (Jenkins et Luterbacher, 1992). Le Danien constitue la partie inférieure du Paléocène, sa partie supérieure regroupe les étages Sélandien et Thanétien. Les événements géologiques et paléontologiques permettant des subdivisions du Paléocène ont fait l'objet de discussions lors de plusieurs rencontres (particulièrement à Göteborg en 1993 et à Zaragoza en 1996). Si la limite inférieure du Danien coïncide avec la limite Crétacé/Paléogène (GSSP défini à El Kef, en Tunisie), des critères permettant de définir sa limite supérieure ne sont pas encore définis avec précision. Des recherches pour désigner un GSSP pour la base du Sélandien sont en cours, elles portent essentiellement sur des coupes d'Espagne et de Tunisie (Schmitz et al., 1998; Steurbaut et al., 2000).

En domaine nordique (région type du Danien et du Sélandien), la distinction entre ces étages est principalement d'ordre lithologique. Aux dépôts du Danien, à dominante carbonatée, succèdent ceux du Sélandien à faciès silicoclastique. Ces étages sont séparés par une discontinuité; la corrélation de leurs dépôts avec les échelles biostratigraphiques s'avère difficile étant donnée leur pauvreté en (micro)fossiles (Berggren, 1962; Bang, 1969; Thomsen et Heilmann-Clausen, 1985). Les dépôts de la transition Danien-Sélandien au Danemark peuvent être corrélés, en terme de nannoplancton, à la partie supérieure de la zone NP4 ou à la partie inférieure de la zone NP5 (Thomsen, 1994). Selon Berggren (1994), les dépôts du

Danien et du Sélandien (types) sont séparés par une lacune d'environ 1 Ma. L'auteur indique que la partie supérieure du Danien type se corrèle à la zone P2 (en terme de Foraminifères planctoniques) et à la zone NP4 (en terme de Nannoplancton); la partie inférieure à moyenne du Sélandien se corrèle aux zones P3 et NP4-NP5. Dans des sondages au large du Danemark, les calcaires de la partie supérieure du Danien (datés des zones NP3 - base NP4) sont corrélés, dans l'échelle des inversions magnétiques, au Chron C27n et la transition Danien-Sélandien au Chron C26r (Ali et al., 1994).

L'apparition de Morozovella angulata est communément utilisée pour indiquer la fin du Paléocène inférieur (Berggren, 1969, 1971; Stainforth et al., 1975; Blow, 1979; Smit, 1982; Toumarkine et Luterbacher, 1985). Ce critère permet des corrélations faciles dans les basses et moyennes latitudes, mais sa position dans les calibrations magnétobiochronologiques n'est pas encore localisée avec précision. Dans certaines études, l'apparition de M. angulata est corrélé à la partie inférieure à moyenne du Chron C26r (Berggren et Miller, 1988; Arenillas, 1998). Selon Berggren et al. (1995), la limite Danien/Sélandien (datée de -61 Ma) est localisée dans le Chron magnétique C27n(y); elle est placée arbitrairement à la limite entre les zones P2 et P3a, au niveau de l'apparition de Morozovella angulata (qui se retrouve au même Chron). Ces auteurs rapportent que dans les Sites DSDP/ODP 465 et 758, l'apparition de Igorina pusilla et Morozovella conicotruncata s'effectue également à la base de la zone P3a.

A Zumaya, une analyse séquentielle indique que le cycle du Sélandien débute nettement au-dessus de l'apparition de M. angulata (Schmitz et al., 1998). A Caravaca, Arenillas et Molina (1997) placent le début du Sélandien à l'apparition de Morozovella crosswicksensis, postérieure à l'apparition de M. angulata mais antérieure à l'apparition de Igorina pusilla. La même bio-chronologie a été retrouvée dans la coupe de Kalaat Senan, où l'apparition de Morozovella angulata compte parmi les événements qui indiquent la transition Danien- Sélandien (Steurbaut et al., 2000).

Dans la coupe d'Ouled Haddou, la transition vers les morphologies du Paléocène supérieur (Morozovellidés et Acarininidés) est indiquée par l'apparition de Morozovella praeangulata, suivie de celle de M. angulata. Les représentants typiques de M. angulata apparaissent après une lacune d'affleurement (dans un faciès marneux tendre) qui surmonte des niveaux à dominance calcaire. Ces changements sur le plan sédimentologique et micropaléontologique résulterait de variations paléocéanographiques lors de la transition Danien-Sélandien. Nous garderons donc l'apparition de Morozovella angulata, associée à un changement lithologique significatif, comme principal critère indiquant le passage Danien-

Sélandien en terme de Foraminifères planctoniques. Contrairement aux observations de Berggren et al. (1995), les apparitions de Igorina pusilla et de Morozovella conicotruncata sont postérieures à celle de M. angulata dans la coupe d'Ouled Haddou.

II-6. Conclusion

Dans le Rif externe oriental, l'étude biostratigraphie à l'aide des Foraminifères planctoniques ressort une hétérogénéité dans la distribution spatiale des dépôts du Crétacé supérieur et du Paléogène. Dans les zones les plus externes, où dominent les dépôts du Tertiaire, le matériel du Paléogène se retrouve décollé du Crétacé supérieur dans des fragments de nappes issus d'une tectonique complexe. Dans les zones plus internes du Rif externe, les dépôts du Crétacé et du Paléocène affleurent largement, mais leur répartition en nappes rend, là encore, la tâche difficile pour l'étude complète d'une succession Campanien- Maastrichtien. Les affleurements étudiés ont livré des associations riches et assez bien conservées. L'état de conservation de la microfaune diffère cependant selon les éléments structuraux: les Foraminifères sont mieux conservés dans les unités externes (coupes des Abbouda et des Mkarcha) que dans les séries de la nappe de Bou Haddoud (coupe d'Ouled Haddou). Les marqueurs caractéristiques du domaine téthysien ont été utilisés pour la reconnaissance et la description des biozones.

Des affleurements (très localisés) du Campanien supérieur ont été reconnus dans la coupe des Abbouda et dans la coupe des Mkarcha. Cependant, le découpage biostratigraphique n'est que fragmentaire suite à des discordances et/ou à des lacunes d'affleurement (figure 15). Dans la coupe des Abbouda seule la transition de la zone à G. calcarata à la zone à G. havanensis a été reconnue, elle indique la partie supérieure non élevée du Campanien. Dans la coupe des Mkarcha, bien que le Campanien semble largement représenté, seul un affleurement frais de 20 mètres d'épaisseur nous a permis de reconnaître un Campanien supérieur, que nous avons attribué à la zone à G. aegyptiaca.

La transition Campanien-Maastrichtien ainsi que la partie inférieure à moyenne du Maastrichtien n'ont pu être étudiées suite à des complications tectoniques ou à un manque d'affleurement continu. Alors que dans la coupe des Abbouda, un Danien assez élevé repose directement sur le Campanien supérieur (non terminal), une importante lacune d'affleurement sépare le Paléocène supérieur du Campanien supérieur (zone à aegyptiaca) dans la coupe des Mkarcha.

C'est dans la coupe d'Ouled Haddou, située dans un secteur plus interne du Rif externe, que nous avons reconnu un affleurement continu allant de la partie supérieure du Maastrichtien jusqu'au la partie supérieure du Paléocène. Cet affleurement nous a permis d'étudier l'évolution des associations de Foraminifères planctoniques du Maastrichtien terminal et du Danien. Une association diversifiée, à grandes morphologies d'Heterohelicidés et de Globotruncanidés caractérise la zone à Abathomphalus mayaroensis et permet des corrélations faciles de la partie supérieure du Maastrichtien. La limite supérieure de la zone à A. mayaroensis coïncide avec la fin du Maastrichtien, elle est marquée par une extinction en masse chez les Foraminifères. Cette extinction sera discutée, dans la complexité de ses détails, dans la prochaine section; elle permet toutefois des corrélations faciles de la fin du Maastrichtien (limite Crétacé/Paléogène), particulièrement en domaine téthysien. A la crise fini-crétacée succède un renouvellement qui conduira aux morphologies du Tertiaire chez les Foraminifères planctoniques. Les étapes de ce renouvellement sont bien enregistrées dans le Danien de la coupe d'Ouled Haddou, par comparaison avec les coupes les plus complètes. Des confusions dans ces étapes, particulièrement au Danien basal, seront discutées dans une prochaine section. Les apparitions successives des principales morphologies permettent cependant des corrélations à l'échelle globale.

Avec les progrès des méthodes stratigraphiques, les définitions de stratotypes et de limites d'étages, et leurs corrélations avec d'autres dépôts, deviennent de plus en plus précises. La définition du Point Stratotypique Global de la limite Campanien/Maastrichtien (à Tercis- Les-Bains, SW France) fait nettement remonter la position de cette limite dans les échelles classiques de Foraminifères planctoniques. Ainsi, la zone à G. calcarata, classiquement attribuée au sommet du Campanien, se retrouve maintenant vers la partie médiane de cet étage. La zone à G. falsostuarti et la base de la zone à G. gansseri couvrent la partie supérieure à terminale du Campanien, alors qu'elles étaient longtemps considérées à la partie inférieure du Maastrichtien.

Dans les dépôts à faciès pélagique des basses latitudes, les Foraminifères planctoniques atteignent un maximum de diversité au Maastrichtien. Dans la coupe d'Ouled Haddou, cette diversité est observée dès la zone à Racemiguembelina fructicosa et s'accentue dans la zone à Abathomphalus mayaroensis. Toutefois, la composition des associations varie sensiblement selon les régions (et selon les environnements). Ainsi, la disparition de A. mayaroensis est parfois signalée avant la limite Maastrichtien/Danien, bien indiquée par une extinction en masse des Foraminifères. Certains auteurs ont alors proposé d'autres index de zones pour la

partie terminale du Maastrichtien. Nous garderons ici l’utilisation de la zone à Abathomphalus mayaroensis jusqu'au sommet du Maastrichtien car le marqueur est régulièrement présent dans les niveaux précédant la limite K/P. L’utilisation de cette zone est plus pratique dans les corrélations étant données la distribution mondiale et la morphologie caractéristique du marquer. La zone à A. mayaroensis n'est cependant pas reconnue dans le Maastrichtien type (vue l'absence du marqueur), caractérisé alors par une association peu diversifiée de Globotruncanidés (Bellier et Vilain, 1975). Des détails biochronologiques, corrélés à l'échelle des inversions magnétiques ont été utilisés pour subdiviser l'intervalle initialement attribué à la zone à A. mayaroensis (Premoli Silva et Sliter, 1994; Li et Keller, 1998a). Une comparaison montre cependant que la chronologie de certains bio-horizons diffère d'une région à l'autre; il en résulte des difficultés de corrélations et dans l'utilisation de ces subdivisions à une grande échelle. Dans la coupe d'Ouled Haddou, la partie étudiée de la zone à Abathomphalus mayaroensis montre qu'à côté des autres Globotruncanidés et des grands Heterohelicidés, l'index est d'une présence assez régulière jusqu'à la limite Maastrichtien/Danien. Afin de permettre des corrélations avec des coupes du domaine téthysien, nous pouvons toutefois utiliser la sous-zone à Plummerita hantkeninoides pour l'extension verticale totale du marqueur dans la partie terminale du Maastrichtien. Dans la coupe d'Ouled Haddou, cet intervalle, qui dépasse 20 m d'épaisseur, nous semble trop épais par comparaison à d'autres coupes K-T de la Méditerranée occidentale (bien connues en Espagne et en Tunisie).

Les dépôts attribués au Danien de la coupe d'Ouled Haddou sont compris entre l'extinction en masse de la fin du Maastrichtien et l'apparition de Morozovella angulata. Ces dépôts, qui avoisinent 100 mètres d'épaisseur, débutent à la base de la zone à Guembelitria cretacea et se terminent au sommet de la zone à Praemurica uncinata. Les bio-horizons que nous avons adoptés pour la subdivision du Danien sont: l'apparition de P. eugubina (s.s.), l'apparition de P. pseudobulloides, l'apparition de S. triloculinoides, l'apparition de P. inconstans, l'apparition de Pr. uncinata et l'apparition de M. angulata (figure 17). Corrélé à l'échelle révisée des zonations standards (Berggren et al., 1995; Berggren et Norris, 1997), le Danien d'Ouled Haddou montre donc une succession complète de zones classiques à Foraminifères planctoniques. La zone P0 dans sont concept initial (Smit, 1982), équivalent de la zone à Hedbergella holmdelensis (Arenillas et al., 2004) ne peut être utilisée dans notre matériel car l'apparition des premières espèces daniennes succède immédiatement à l'extinction en masse. L'intervalle correspondant à la zone P0 est de courte durée, il semble

très condensé ou absent dans la coupe d'Ouled Haddou. De ce fait, nous avons utilisé la zone à Guembelitria cretacea pour les dépôts daniens compris entre l'extinction en masse et l'apparition de Parvularugoglobigerina eugubina s.s. Des essais de corrélations graphiques montrent la continuité de la coupe d'Ouled Haddou au Danien basal, au même titre que les coupes (classiques) d'El Kef et de Caravaca (figure 21). Au Danien, certaines espèces montrent des distributions sensiblement différentes quand on compare avec les échelles mondiales (Berggren et al., 1995; Olsson et al., 1999) ou avec d'autres sites du domaine téthysien (Molina et al., 1998; Arenillas et al., 2004). Ces différences seraient principalement dues aux variations paléoécologiques et aux différences dans les concepts taxonomiques. Des corrélations bio-magnétostratigraphiques montrent également des différences sensibles dans l'estimation de l'âge, des bio-horizons et de la durée des zones du Danien basal (Berggren et al., 1995; Arenillas et al., 2004). L'état actuel des connaissances laisse admettre que l'étage Danien correspond à l'intervalle allant de la partie supérieure du Chron C29r à la partie supérieure du Chron C27n (figure 22), sa durée serait ainsi de 4 Ma (-65 à -61 Ma).