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Chicxulub structure

III- 4-4 La question des survivants

La présence d'espèces crétacées au Danien basal engendre un autre aspect de la controverse relative au mode d'extinction à la transition Crétacé-Tertiaire. Plusieurs études montrent l'existence d'espèces de Foraminifères planctoniques et de nannoplancton crétacés, parfois même de fossiles de dinosaures, à la base du Danien. Dans certaines localités, ces (micro)fossiles persistent plusieurs mètres au-dessus de la limite K/P. Les interprétations diffèrent selon les spécialistes et selon les espèces quant à la conclusion aux remaniements ou aux survivants.

En terme de Foraminifères planctoniques, la distinction entre les espèces remaniées et celles qui survivent est encore sujette à discussions. Plusieurs études signalent la présence de petites espèces de Globotruncanidés (particulièrement des genres Rugoglobigerina et Globotruncanella), d'Heterohelicidés et des genres Globigerinelloides, Hedbergella et Guembelitria dans la partie basale du Danien. Pour certains auteurs, seule Guembelitria cretacea aurait survécu à l’extinction en masse (Smit, 1982, 1990; Huber, 1991a). A l'inverse, Keller (1988a, 1989) et Canudo et al. (1991) considèrent que nombreuses espèces survivent après la limite K/P. Barrera et Keller (1990), se basant sur des méthodes isotopiques, rapportent que les extinctions du Maastrichtien terminal son sélectives, elles affectent particulièrement les espèces tropicales et subtropicales, ayant colonisé les zones mésopélagiques; plusieurs morphologies simples, vivant dans les tranches d'eaux superficielles, persistent au Danien basal.

Depuis, des recherches relatives à la question des survivants se sont intensifiées, faisant appel à diverses méthodes. A la base du Danien, les espèces Heterohelix globulosa, H.

navarroensis, G. cretacea et G. trifolia fournissent un signal isotopique (du δ13C et du δ18O) typique du Tertiaire (Keller, 1993; Keller et al., 1993; MacLeod et Keller, 1994). Mais d'autres études isotopiques (du strontium) indiquent que dans des régions de hautes latitudes, plusieurs espèces sont remaniées et seules Guembelitria cretacea, Hedbergella holmdelensis et H. monmouthensis seraient in-situ (Huber, 1996; MacLeod et Huber, 1996). Les mesures isotopiques, considérées comme meilleur critère permettant de reconnaître des remaniements, posent quelques problèmes en relation avec l'ontogenèse et/ou la diagenèse (D'Hondt et Zachos, 1993; Smit et Nederbragt, 1997). Dans la coupe de Caravaca, Kaiho et Lamolda (1999) montrent que les analyses du δ13

C chez les Foraminifères planctoniques plaident plutôt en faveur de remaniements, remettent ainsi en cause les résultats obtenus par Barrera et Keller (1990) à Brazos River (Texas). A Caravaca, les mesures effectuées sur les tests de plusieurs espèces ne montrent pas de différences dans leur signal isotopique de part et d'autre de la limite K/P; de plus ces espèces sont affectées d'une nette chute d'abondance, au Danien basal, et sont donc considérées comme remaniées (Kaiho et Lamolda, 1999). A côté des critères quantitatifs, des interprétations paléoécologiques et phylogéniques permettent de considérer les espèces Guembelitria cretacea, Hedbergella holmdelensis et Hd. monmouthensis comme seuls survivants et ancêtres de toutes les espèces daniennes (Liu et Olsson, 1993).

Les critères qui permettraient la distinction des espèces qui survivent de celles qui sont remaniées à la base du Danien restent cependant à déterminer. Les méthodes isotopiques n'étant pas concluantes, des analyses quantitatives et morphologiques permettent des interprétations d'ordre taphonomique, paléoécologique et phylogénétiques. C’est ainsi que de nombreux spécialistes admettent que l'extinction de certaines espèces crétacées ne s’achève qu’au Danien basal (Keller et al., 1995; MacLeod, 1996a; Molina et al., 1996; Apellaniz et al., 1997; Arz et al., 1999b; Arenillas et al. 1998, 2000c,d; Dupuis et al., 2001). Des remaniements sont parfois faciles à reconnaître chez quelques grandes espèces crétacées qui montrent un mauvais état de conservation et/ou une présence sporadique, parfois jusqu'à des niveaux assez élevés du Danien (Arz et al., 1999a; Arenillas et al., 2000c; Molina et al., 2005). D'autres espèces sont signalées d'une manière plutôt régulière au-delà de la limite K/P; étant de petite taille, bien représentées et limitées au Danien basal, elles sont interprétées comme survivantes.

Dans la littérature, les potentiels survivants sont des morphologies simples et cosmopolites qui montrent, pour la plupart, une nette diminution de taille et d'effectifs lors du passage au Danien. Il s'agit d'espèces qui appartiennent aux genres Heterohelix,

Pseudoguembelina, Globigerinelloides, Hedbergella et Guembelitria. De toutes ces espèces, seule Guembelitria cretacea est unanimement admise comme ayant joué un rôle important dans la colonisation des milieux pélagiques vacants du Danien basal. Guembelitria cretacea, Hedbergella holmdelensis et Hedbergella monmouthensis sont également considérées, par plusieurs spécialistes, comme à l'origine des radiations daniennes (Luterbacher et Premoli Silva, 1964; Hemleben et al., 1991; D'Hondt, 1991; Liu et Olsson, 1992; Olsson et al., 1992; MacLeod, 1993; Arenillas et Arz, 1996; Berggren et Norris, 1997; Olsson et al., 1999).

III-4-5. Conclusion

La comparaison des principales données fournies dans la littérature montre que le taux et le mode d'extinction des Foraminifères planctoniques à la transition Crétacé-Paléogène varient selon les auteurs et selon la géographie et les environnements de dépôt. Dans les régions de hautes latitudes et dans les environnements de mer épicontinentale, aucune étape d'extinction importante ne coïncide avec la limite K/T, indiquée alors par des critères lithologiques et géochimiques. C'est dans les associations diversifiées de mer ouverte, de régions de basses et moyennes latitudes, que l'extinction est nettement exprimée, par la disparition des morphologies grandes et complexes. Les extinctions précédant de peu la limite K/P divisent cependant les spécialistes. Les variations locales ou régionales et les inconsistances analytiques rendent difficile des comparaisons et empêchent l'élaboration d'un modèle global d'extinction des Foraminifères planctoniques à la limite K/P.

Que les résultats et les interprétations divergent à cause des lacunes dans les enregistrements fossiles ou dans les dépôts, la démarche analytique et la philosophie d'interprétation ont un rôle non négligeable dans cette discorde. C'est ce qui ressort quand on compare les résultats obtenus dans les coupes les plus complètes, situées autour de la Méditerranée occidentale. Ces coupes contiennent des associations riches de Foraminifères planctoniques, mais leurs (nombreuses) études, y compris celles du blind test, aboutissent généralement à des conclusions divergentes.

Le nombre d'espèces qui disparaissent exactement à la limite K/P est variable selon les régions, mais semble également dépendre des concepts (subjectifs) de l'espèce. La question des disparitions pré-K/P dépend des enregistrements fossiles (leur composition et leur état) et de l'importance accordée à l'effet Signor-Lipps, alors que la distinction entre les espèces remaniées et celles qui survivent n'est pas définitivement établie et nécessite des méthodes spécialisées.

L'extinction en masse de la fin du Crétacé survient à une époque où les Foraminifères étaient au maximum de leur diversité (depuis leur apparition), plusieurs aspects et hypothèses, relatifs à cette extinction, restent cependant à vérifier. Concernant ce groupe, plusieurs questions restent encore posées: L'extinction en masse a-t-elle réellement débuté avant la limite Crétacé/Paléogène? Quel est le nombre d'espèces ayant disparu exactement à la limite K/P? Combien d'espèces ont réellement survécu à la crise? A quel point peut-on apprécier les variations quantitatives et morphologiques affectant les populations de "survivants"? Comment expliquer l'aspect sélectif et/ou écologique de cette extinction? L'extinction en masse a-t-elle été globale ou limitée géographiquement? L'impact météorique de la fin du Crétacé serait-il l'unique cause de la crise paléobiologique de l'époque?