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En matière d’action des fonctionnaires, la neutralité qui résulte du principe d’égalité impose que le fonctionnaire soit tenu d’assurer le fonctionnement du service public de manière

impartiale à l’égard de tous316 et sans aucune discrimination politique, religieuse ou

philosophique317. Autrement dit, le comportement du fonctionnaire envers les usagers doit être

totalement indépendant de ses propres opinions, que celles-ci soient de nature politique, religieuse ou philosophique. La neutralité du service public se manifeste comme étant une obligation d’impartialité extrêmement stricte qui s’impose aux fonctionnaires. Ainsi, en matière de fonction publique, la neutralité requiert que le fonctionnaire s’abstienne de toute manifestation de ses propres opinions – à l’exception de celles qu’exige l’exercice de ses

fonctions professionnelles318 – et qu’il s’abstienne de toute propagande. Il ne peut ainsi

présenter les intérêts d’un homme politique319 ou se servir de sa fonction pour des intérêts

personnels, en faisant, par exemple, du prosélytisme politique en répandant ses convictions320.

L’obligation de neutralité semble avoir pour fonction de placer le fonctionnaire « au-dessus

des clivages sociaux, des antagonismes de classe, qui sont censés ne pas atteindre la fonction publique : il n’est plus partie prenante dans les conflits sociaux mais arbitre, chargé de les apaiser et de les résorber »321.

La neutralité impose par conséquent aux fonctionnaires des limitations à la participation à la vie politique et à l’exercice d’un certain nombre de libertés reconnues généralement aux citoyens. Ils ne peuvent donc jouir pleinement et sans restriction des libertés d’expression ou d’opinion. La neutralité peut justifier d’écarter le fonctionnaire des conflits et autres activités politiques comme le fait de participer aux luttes des parties politiques,

316 C.E., 4 août 1905, « Sieur Lespinasse c/ ministre de la Guerre », Rec., p. 757, Concl. Saint-Paul.

317 G. Braibant, « Le droit administratif français », op. cit., p. 394.

318 R. Chapus, « Droit administratif général », T. II, op. cit., p. 246.

319 G. Burdeau, « Les libertés publiques », LGDJ, Paris, 1972, p. 239 ; « La fonction publique – Notions essentielles », Sirey, Paris, 1985, p. 243.

320 J.-L. Moreau, « La fonction publique – Principes généraux, Systèmes », LGDJ, Paris, 1987, p. 102.

321 J. Chevallier, « Un nouveau sens de l’Etat et du service public », in Administration et politique sous la cinquième République, (ouvrage collectif sous la direction de Francis de Bæcque et Jean-Louis Quermonne, Références, Presses de la FNSP, Paris, 1982), p. 176.

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gouvernementaux ou d’opposition322. Elle peut, encore plus largement, justifier le refus

d’accorder des droits politiques aux fonctionnaires tels que le droit de s’inscrire à un parti politique et d’y militer, d’écrire dans les journaux et revues ou encore de se présenter à un mandat.

Si la neutralité impose dans le service public une restriction irrécusable à la liberté et parfois à la vie politique du fonctionnaire, elle est mise en œuvre différemment en France et au Liban dans le cadre de l’expression des opinions (§1) et de l’exercice de la vie politique (§2).

§1. La limitation de la liberté d’expression des opinions

Dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions, les fonctionnaires, au même titre que n’importe quel individu responsable, jouissent de la liberté d’opinion. Ils peuvent dire ce qu’ils

pensent, conformément aux principes intellectuels et moraux, à propos des mesures et des

actes professionnels auxquels ils participent, que ce soit dans des articles, des ouvrages ou des interventions médiatisées. La mise en œuvre de cette liberté est néanmoins consacrée de manière très différente en France et au Liban.

Au Liban, le Préambule de la Constitution dispose que « le Liban est une république

démocratique, parlementaire, fondée sur le respect des libertés publiques et en premier lieu la liberté d’opinion et de conscience, sur la justice sociale et l’égalité dans les droits et obligations entre tous les citoyens sans distinction ni préférence »323, et que « la liberté d’exprimer les pensées par la parole ou par la plume, la liberté de presse, la liberté de réunion (…) sont également garanties dans les limites fixées par la loi »324.

Ces textes sont purement généraux en ce qu’ils s’adressent à tous les citoyens libanais, qu’ils soient fonctionnaires ou non. Ils prévoient, logiquement, que la liberté d’opinion est constitutionnellement garantie pour tous les citoyens. Néanmoins, le législateur libanais, dans le cadre de l’organisation de la fonction publique et la garantie du bon fonctionnement des services publics, a fortement restreint cette liberté. En effet, le fonctionnaire à l’obligation

322 P. Lelong, « Trois attitudes du fonctionnaire en face de l’activité politique », Rev. adm. 1954, pp. 488 et s.

323 al. C, du Préambule de la Constitution libanaise, ajouté en vertu du droit constitutionnel promulgué le 21 septembre 1990.

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d’obtenir l’autorisation écrite préalable de son supérieur avant de donner son opinion à propos d’une question politique ou liée au service, dans et hors le service public. Cela ressort du statut

général des fonctionnaires libanais qui dispose qu’« il est interdit au fonctionnaire d’exécuter

une activité prohibée par les lois et les règlements en vigueur, notamment (…) le fait de prononcer ou publier, sans l’autorisation écrite de son supérieur, des discours, articles, déclarations ou ouvrages dans quelle affaire que ce soit »325.

Ce faisant, le législateur libanais n’a pas purement interdit aux fonctionnaires la liberté

d’expression maisl’a fortement restreinte en instaurant une censure hiérarchique préalable de

toutes les opinions du fonctionnaire qui contrediraient les orientations de l’Administration. Le fonctionnaire se transforme ainsi en « une machine sourde » chargée d’accomplir les désirs de l’Administration.

En France, la situation est très différente. La liberté d’opinion n’est sujette à aucune censure préalable. Elle est ultérieure en cas d’abus de telle sorte que le système represif soit plus favorable aux libertés.

L’alinéa 5 du Préambule de la Constitution française du 27 octobre 1946 pose que

« nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances ». De son côté, le statut général actuel des fonctionnaires français

dispose que « la liberté d’opinion est garantie aux fonctionnaires. Aucune distinction, directe

ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine (…) »326. De ce fait, toute pratique qui exige – directement ou indirectement – du fonctionnaire de se conformer à une idéologie

politique, philosophique ou religieuse, est interdite327. En d’autres termes, l’Administration

s’interdit complètement de rechercher les opinions des fonctionnaires. Le dossier individuel

325 Art. 15, al. 1, du statut général des fonctionnaires au Liban.

326 Art. 6, du statut général des fonctionnaires en France.

327 C.E., 16 juin 1982, « Chereul », Rec., p. 653 ; C.E., 28 septembre 1988, « M. Merlenghi », AJDA 1989, p. 197, note Serge Salon ; C.E., Sect., 24 septembre 1990, « Mme Cazenave de la Roche », AJDA 1991, p. 65, Obs., J.-M. Breton.

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de ces fonctionnaires328 ne doit d’ailleurs par principe jamais contenir d’éléments qui révèlent

leurs opinions politiques329.

Bien sur, le droit français ne traite pas le fonctionnaire comme un citoyen ordinaire.

Sa liberté, bien que large, n’est jamais absolue. L’analyse de la jurisprudence330 montre les

limitations imposées par la neutralité au cours de l’exécution du service. L’obligation de réserve ne peut pas être assimilée à l’obligation de secret professionnel. Elle se rattache à la liberté de pensée, c’est-à-dire qu’elle porte sur la façon d’exprimer les opinions et de les

traduire par la parole, par l’écrit ou par l’action. Elle implique que les fonctionnaires « doivent

s’abstenir d’expressions, d’actes ou de manifestations de nature à nuire au service ou à porter atteinte à l’autorité supérieure hiérarchique, ou à donner l’impression que l’Administration ne respecte pas (…) le principe de neutralité »331. L’obligation de réserve impose alors une certaine limite aux libertés d’expression et d’opinion des fonctionnaires. En vertu de la neutralité, surtout du droit des citoyens à un traitement non discriminatoire, la liberté d’expression des fonctionnaires est limitée. Ceci peut s’expliquer par le fait que les fonctionnaires exercent leurs fonctions au nom de l’Etat qui se qualifie par la neutralité de telle sorte que leur comportement doit être empreint de cette nature neutre également. Ainsi en va-t-il aussi quant à la liberté de conscience garantie à ces derniers en qualité de citoyen

qui ne doit jamais s’opposer aux droits de la collectivité qu’ils servent. C’est pour quoi, « le

conflit entre la liberté d’opinion de l’agent et celle de l’administré ne peut se résoudre qu’au profit de celle-ci »332.

Selon la doctrine, cette obligation est difficilement définie de façon positive car « elle

ne relève pas de critères objectifs, mais découle de tendances plus ou moins restrictives, plus ou moins libérales, qui procèdent de la conception du pouvoir en place »333. Or, l’obligation

328 Qui est aussi, le cas échéant, leur dossier disciplinaire.

329 C.E., 16 juin 1982, « Chéreul », Rec., p. 653 ; C.E., 28 septembre 1988, « M. Merlenghi », Rec., p. 316.

330 Vu l’insuffisance et l’ambiguïté des textes juridiques dans ce cadre.

331 G. Braibant, « Le droit administratif français », cours I.E.P, 1978-1979, FNSP, p. 533 ; V. également, J.-Y. Vincent, « L’obligation de réserve des agents publics », Rev. adm. 1973, p. 142 et 272 ; V. aussi, J. Rivero, « Sur l’obligation de réserve », op. cit. ; De même, R. Bourdoncle, « Fonction publique et liberté d’opinion en droit positif français », op. cit.

332 J. Rivero, « Libertés publiques », T. II, Thémis, PUF, 2ème éd. 1980, p. 149.

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de réserve, issue de la neutralité, exige du fonctionnaire quelques contraintes qui, jusqu’à présent, n’ont pas été clairement délimitées.

Dans le cadre du service, le fonctionnaire est sujet à des limitations de sa liberté d’expression. L’obligation de neutralité, principe directeur de la fonction publique, qui règlemente la relation entre les fonctionnaires et les administrés prive la liberté d’expression

de l’étendu de son importance334.

A. La construction jurisprudentielle des obligations de réserve et de neutralité

Il a déjà été précisé que le législateur libanais a posé de réelles limites à la liberté

d’expression des fonctionnaires dans l’article 15 du statut général335. Cependant, la législation

française ne s’est pas précisément intéressée à cette question sensible. Elle se contente, et

seulement en 2016, de disposer que « le fonctionnaire exerce ses fonctions avec dignité,

impartialité, intégrité et probité. Dans l’exercice de ses fonctions, il est tenu à l’obligation de neutralité. Le fonctionnaire exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité. A ce titre, il s’abstient notamment de manifester, dans l’exercice de ses fonctions, ses opinions religieuses. Le fonctionnaire traite de façon égale toutes les personnes et respecte leur liberté de conscience et leur dignité »336. Cela ne signifie pas que les limites à la liberté d’expression ne soient pas valables à l’encontre des fonctionnaires français. Cela met l’accent sur le choix délibéré du juge administratif pour lui permettre de fixer lui-même ces limites qui lui semblent

essentielles pour préserver cette liberté337. Mais en réalité, et dès la Troisième République338,

le Conseil d’Etat reconnaissait déjà aux fonctionnaires, comme aux autres citoyens, une

334 V. dans ce sens, Ph. Biyas, « Les obligations du fonctionnaire en dehors de son service », Chron, D. 1954, p.105 ; L. Dubois, note sur l’arrêt C.E., Sect., 8 juin 1962, « Frischmann », D. 1962, p. 492.

335 V. supra p. 99.

336 Art. 25 du statut général des fonctionnaires en France modifié par la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.

337 Y. Brad, « Droit administrative des biens et de la Fonction publique, Mémentos Thémis », PUF, Paris, 1985, p. 69.

338 C.E., 13 juin 1928, « Sieur Charlon », Rec., p. 735, dans cet arrêt le juge a validé la révocation d’un secrétaire de mairie « qui avait participé aux luttes électorales, dans la commune d’Aniche avec une violence interdite par la réserve que ses fonctions lui imposaient » ; C.E., 11 janvier 1935, « Bouzanquet », Rec., p. 44 ; C.E., 11 juillet 1939, « Ville d’Armentières », Rec., p. 468.

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importante liberté d’expression. L’obligation de réserve permet de concilier la liberté d’expression des fonctionnaires et l’intérêt du service.

1. La réserve comme conséquence de la neutralité

Les débats juridiques s’épuisent à trouver une définition exacte de l’obligation de

réserve339. Elle ne peut être confondue avec l’obligation de conformisme, l’obligation de

neutralité dans l’exercice des fonctions ou l’obéissance hiérarchique340. Même si l’obligation

de réserve figure dans les décisions du juge, il ne la définit guère et n’illustre que son caractère fonctionnel. Les recherches menées sur la signification de l’obligation de réserve révèlent que cette notion est fortement liée à la neutralité. Autrement dit, elle est la forme atténuée et la conséquence directe de la neutralité.

En premier lieu, cette notion signifie une « mesure » dans l’expression des opinions.

Pour Roger Bonnard, elle est la contrepartie des bénéfices pécuniaires que les fonctionnaires

disposent. Il déclarait qu’ « en échange, le fonctionnaire doit se considérer comme tenu, même

en dehors de ses fonctions, à une grande réserve et, sinon à une adhésion complète, au moins à une véritable neutralité vis-à-vis du gouvernement. S’il professe une certaine opinion qui le met en opposition avec le gouvernement, il doit l’exprimer avec discrétion et réserve et s’abstenir de tous actes, écrits, paroles, manifestations et attitudes qui témoigneraient d’un esprit d’hostilité ou de sédition contre l’Etat ou ses représentants qualifiés »341, qui également témoigneraient d’une politisation de la fonction publique.

339 Cf., par exemple, l’analyse de Jean Rivero, « Sur l’obligation de réserve », op. cit., pp. 580 et s. ; M. Reydellet, « L’obligation de réserve des agents publics », op. cit., pp. 385 et s.

340 R. Letteron, « L’administré et le droit à l’information », Doctorat d’Etat, Paris X, Nanterre, 1987, p. 471.

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La construction jurisprudentielle de la réserve se caractérise alors par l’abstention342

et la modération343, c’est-à-dire qu’elle met en évidence l’abstention d’exécuter un tel acte344

et la limitation pour le fonctionnaire d’exprimer, en public, son opinion345. Il faut donc pour

qu’il y ait un manquement à cette obligation qu’un acte positif traduise son opinion, laquelle

ne doit être ni conciliable ni compatible avec ses devoirs exigés par la fonction346.

Etant donné que ces restrictions et abstentions portent sur l’expression directe347 ou

indirecte348 des opinions des fonctionnaires sur un sujet d’ordre politique349, on peut déduire

que l’obligation de réserve est issue de l’obligation de neutralité350. Cette approche est

évidement saluée par la jurisprudence qui admet que cette obligation s’impose à tout fonctionnaire qui veut participer à une campagne électorale ou soutenir le candidat de son choix, ainsi qu’à tout fonctionnaire candidat aux élections afin de garantir une posture de de neutralité dans la fonction publique. Le bon fonctionnement du service ne peut être que le résultat d’une fonction publique parfaitement neutre dont les apparences, l’organisation et la

342 C.E., 8 janvier 1964, « Beville », Rec., p. 15 ; C.E., 2 juin 1989, « M. Collier », RFDA 1991, p.134 : le juge estimait qu’il manquait gravement à son devoir de réserve un directeur d’un service d’archives des Alpes de Haute Provence qui a envoyé une lettre au directeur départemental de l’Office national des anciens combattants (publiée finalement dans la presse), par laquelle il contestait avec la plus extrême vivacité et en usant de termes outranciers, la politique suivie par le ministre des anciens combattants et condamnait les orientations politiques du Gouvernement en matière d’archives historiques.

343 C.E., 9 juillet 1965, « Sieur Pouzenc », Rec., p. 421 ; C.E., 28 avril 1989, « M. Duffaut », RFDA 1991, p.134 : le juge estimait qu’il manquait à son obligation de réserve un directeur de la régie municipale du théâtre d’Avignon qui a proféré publiquement de graves accusations de malveillance et d’incompétence à l’encontre du maire et de son adjoint chargé des affaires culturelles.

344 M. Reydellet, écrit explicitement « l’obligation de réserve est une obligation d’abstention », V. sa thèse, op. cit., p.451.

345 C.E., Sect., 10 juin 1983, « Raoult », op. cit., le juge a expressément qualifié d’incompatible une manifestation d’opinion consistant dans la distribution d’un journal (à cause du contenu de certains passages) d’un candidat à la magistrature.

346 C.E., 8 janvier 1964, « Beville », op. cit. ; C.E., 2 juin 1989, « M. Collier », op. cit.

347 C.E., 22 octobre 1955, « Sieur Yvanez », Rec., p. 58 : faits et manifestations contraire à la réserve qui s’impose tant aux fonctionnaires qu’aux candidats à la fonction publique ; C.E., 8 janvier 1965, « Le Nulzec », Rec., p. 13 : critiqué fréquemment et publiquement le Gouvernement français ; C.E., 27 mai 1955, « Dame Kowalewski », Rec., p. 297 ; C.E., 12 octobre 1965, « Demoiselle Coquand », Rec., p. 362 : participation à une grève politique. C.E., 20 décembre 1957, « Karadja », Rec., p. 848, RDP 1958 : l’exercice d’une activité politique ne peut justifier une sanction si elle ne constitue pas un manquement à l’obligation de réserve.

348 C.E., 22 février 1957, « Sieur Guillet », Rec., p. 121, dans lequel le fonctionnaire était sanctionné à cause du caractère de manifestation politique que revêtait la collecte à laquelle il procédait.

349 Ainsi dans l’arrêt C.E., Sect., 8 mars 1968, « Sieur Plenel », AJDA 1968, p. 247. Chron. de jurisprudence par Massot et Dewost, p. 223. Dans cette affaire le Conseil d’Etat a admis que les déclarations par lesquelles le Sieur Plenel manifestait son opposition à la politique gouvernementale dans le département de Martinique constituent un manque au devoir de réserve auquel le requérant était tenu.

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gestion sont totalement dépolitisées et dont le personnel est apolitique. Ainsi, le Conseil d’Etat

déclarait dans l’arrêt Sieur Jannès du 10 mars 1971 que « si les fonctionnaires ont, comme tout

citoyen, le droit de participer aux élections et à la campagne qui les précède, ils sont tenus de le faire dans des conditions qui ne constituent pas une méconnaissance de leur part de l’obligation de réserve à laquelle ils restent tenus envers leur administration »351. Dans sa formulation, on comprend que cette modération exigée par l’obligation de réserve n’est qu’une partie de la neutralité. Enfin, le juge protège la neutralité de la fonction publique lorsqu’il

sanctionne les manquements à la réserve et les excès dans l’expression des opinions352

notamment sur le terrain de la politique353. Toutefois il ne prive pas totalement le fonctionnaire

de cette liberté.

2. La confirmation de l’indépendance entre réserve et neutralité

En dépit de son ambiguïté, son imprécision et son contenu « essentiellement

circonstanciel »354, l’obligation de réserve ne limite la liberté d’expression des fonctionnaires

que lorsqu’elle porte atteinte à l’intérêt du service355. Elle peut être vue comme un instrument

de garantie de la liberté d’expression dans les autres cas356.

Reste à s’interroger sur son fondement. Les juristes en ont cherché un premier dans le principe hiérarchique qui sert à interdire aux fonctionnaires de jouir de la liberté politique

illimitée ou totale357. Afin d’expliquer plus largement les limitations de la liberté d’expression

du fonctionnaire, Roger Bonnard déclarait qu’il « en résulte que, si la fonction publique est à

la base de subordination du fonctionnaire vis-à-vis des organes supérieurs de l’Etat, cette subordination n’est pas une règle qui vaut par elle-même et qui constitue un impératif catégorique inclus dans la notion de fonction publique. La règle de subordination ne vaut que

351D. 1972, p. 736, note Michel Guilbal ; AJDA 1971, p.622, note V.S.

352 M. Reydellet, « L’obligation de réserve des agents publics », op. cit., pp. 480 et 615.

353 C.E., Sect., 8 mars 1968, « Sieur Plenel », op. cit. ; C.E., 8 janvier 1964, « Beville », AJDA 1964, op. cit. ; C.E., 10 mars 1971, « Jannès », op. cit. ; C.E., 2 juin 1989, « M. Collier », op. cit.

354 M. Reydellet, « L’obligation de réserve des agents publics », op. cit., p. 491.

355 Dans ce sens, C.E., Sect., 3 juillet 1981, « Mme Jacquens », Rec., p. 295, Concl. Robineau.

356 Reydellet écrit à ce propos que « la fonction essentielle de la réserve, celle qui la justifie en tant que notion autonome et cohérente », c’est qu’elle concilie « l’intérêt du service » et « l’intérêt de l’agent » ; v. sa thèse op. cit., pp. 619 et s.

357 R. Letteron, considère la réserve comme une « expression du principe hiérarchique », V. sa thèse op. cit., pp. 471 et s.

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comme moyen pour assurer le bon fonctionnement du service public. La subordination ne devra exister que dans la mesure où cela est nécessaire pour réaliser le bon fonctionnement. Elle devra être atténuée s’il apparaît que ces atténuations ne sont pas de nature à nuire au but à atteindre. Elle ne doit pas être toujours et systématiquement portée et maintenue au maximum ». De plus, il faut « remonter au principe fondamental qui est à la base de l’organisation de la fonction publique. Il faut partir de cette idée que la situation du fonctionnaire doit être fixée du point de vue de l’intérêt du service public. Les règles de cette