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Il est évident qu’avant de déclencher une poursuite contre un accusé, l’autorité répressive compétente procède à une appréciation des faits à l’origine de l’acte impliqué. Force est de constater à ce stade les différences de méthodes en matière disciplinaire et en matière

pénale. En effet le principe essentiel de la légalité des délits, qui implique que « nul ne peut

être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée »109, consacré en matière pénale110, n’est pas strictement appliqué dans toute sa

rigueur dans le domaine disciplinaire où « il n’y a pas de détermination, ni d’énumération

légale des fautes disciplinaires »111. Seul le Professeur Mourgeon112 interprète le droit positif

de façon à admettre le respect du « nullum crimen » en droit disciplinaire. Cet auteur propose

une définition large de la légalité dans le sens « qu’il ne peut y avoir d’incrimination en dehors

des règles, que celle-ci devint de sources écrites, coutumières ou jurisprudentielles ».

L’insuffisance ou l’imprécision du texte est palliée par l’« incrimination de type

jurisprudentiel »113, c’est-à-dire par les solutions jurisprudentielles qui reconnaissent ou

refusent l’existence d’une faute disciplinaire et qui constituent une sorte de « précédent »

suffisant pour déterminer préalablement si un comportement est permis ou interdit.

Au Liban comme en France, les fautes disciplinaires ne sont définies ni par les lois ni par les règlements. Les textes relatifs aux obligations des fonctionnaires comportent une liste indicative et non exhaustive, ils laissent le soin de définir et de qualifier les comportements

fautifs aux autorités disciplinaires compétentes114. En d’autres termes, lorsque le fonctionnaire

respecte ces obligations et interdictions115, il n’est pas pour autant à l’abri d’éventuelles

sanctions disciplinaires si tant est que son comportement soit apprécié comme le justifiant.

109 Art. 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.

110 Art. 111-3 du C.P français qui dispose que « nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi, ou pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par le règlement » ; Art. 1 al. 1 du C.P libanais qui dispose que « nulle infraction ne peut être sanctionnée par une peine, ou par une mesure de sûreté ou d’éducation, si elle n’était pas prévue par la loi au moment où elle fut commise. Ne seront pas retenus à la charge de l’inculpé les faits constitutifs d’une infraction, les actes de participation principale ou accessoire, qu’il aura accomplis avant que cette infraction ait été prévue par la loi ».

111 A. Plantey, « Traité pratique de la fonction publique », T. I, LGDJ, 2ème éd., Paris, 1963, p. 310.

112 J. Mourgeon, « La répression administrative », LGDJ, Paris, 1967, pp. 253 et s.

113Ibid, p. 255.

114 C.E., 16 janvier 1957, « Aveline », Rec., p. 36.

115 Par ex. en France les Art. 25, 26 et 28 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, loi dite loi le Pors, constitue le statut général des fonctionnaires civils en France ; Au Liban les Art. 14 et 15 du décret-loi n° 112 du 12 juin 1959 portant le statut général des fonctionnaires libanais, v. la traduction de ces articles en annexe n° I, p. 402-403.

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Le pouvoir discrétionnaire de répression des autorités disciplinaires et l’indétermination légale de la faute disciplinaire ont contribué à une conception à la fois large et souple de la notion de faute disciplinaire, mise en œuvre sous le contrôle du juge administratif116.

L’appréciation des faits constitutifs de la faute disciplinaire, impose l’identification

des manquements au devoir professionnel, « aux obligations de la fonction »117 qui sont

elles-mêmes variables selon l’emploi. Il importe de se pencher sur les obligations communes à tous les fonctionnaires. Le contenu de ces obligations rend indispensable d’opérer une classification de nature à en éclairer la vision.

La doctrine propose, dans la matière, différentes classifications. M. Francis Delpéré

divise les obligations incombant aux agents en trois catégories : les « infractions de service »,

celles de « service public » et celles « hors service »118. Le Professeur M. Malat119 adopte une

classification semblable. Selon ces deux Professeurs, les obligations sont appliquées soit dans le service – elles constituent alors des obligations directes –, soit hors du service – il s’agit alors d’obligations indirectes –.

Une autre classification, plus ancienne120, consiste à regrouper d’une part les

obligations positives qui englobent toutes les conditions de fonctionnement des services publics telles que l’impartialité et la subordination hiérarchique et d’autre part les obligations négatives qui se limitent au niveau professionnel à organiser la vie du fonctionnaire à l’extérieur du service. Il s’agit d’une présentation sous une autre forme de la distinction des obligations selon qu’elles concernent le comportement du fonctionnaire en dehors ou dans le service.

116 V. infra p. 330-388.

117 A. De Laubadère, « Traité de droit administratif », T. II, LGDJ, 7ème éd., Paris, 1980, pp. 97 et 98.

118 F. Delperrée, « L’élaboration du droit disciplinaire dans la fonction publique », LGDJ, 1969, pp. 162 et s. ; R. Chapus, « Droit administratif général », T. I, Domat, Montchrestien, 14ème éd., 2000, p. 262 ; S. Salon, « Délinquance et répression disciplinaire dans la fonction publique », Thèse, Paris, 1969, p. 103 ; J.-B. Auby, « Agents administratifs, procédure disciplinaire », jurisclasseur administratif, fasc. n° 183, n° 6.

119 M. Malat, « La responsabilité disciplinaire du fonctionnaire », thèse, Le Caire, 1967, pp. 101 et s.

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R. Catherine pour sa part distingue les obligations selon qu’elles sont morales ou

matérielles121. « Morales » comme leur nom indique, sont les obligations qui se rattachent à

tout ce qui relève de la morale dans la relation au service comme le loyalisme, la discrétion

professionnelle et la hiérarchie. Alors que les obligations « matérielles » impliquent que le

fonctionnaire doive assumer personnellement ses responsabilités et ne pas exécuter d’activités lucratives extérieures.

Ces classifications, pour diversifiées qu’elles soient, ne sont pas exemptes de critiques tenant à leur caractère peu clair, artificiel ou peu opératoire. Force est de constater que la faute s’apprécie d’après les circonstances de l’espèce et la qualité de son auteur ainsi que par le comportement que l’autorité disciplinaire est en droit d’attendre de ses subordonnés. Cette considération amène à développer une classification originale inspirée par l’état du droit positif libanais.

En effet, les libertés publiques du fonctionnaire sont encadrées par la législation libanaise selon un régime propre, lui-même fonction de la nature de l’obligation qui pèse sur le fonctionnaire. Ce régime varie plus précisément selon que l’obligation méconnue est de nature administrative ou politique. Sur ce dernier point, le droit libanais présente une importante singularité par rapport au droit français. En d’autres termes, la faute disciplinaire est liée à la violation d’une obligation à caractère administratif (Chapitre I) ou d’une obligation à caractère politique (Chapitre II).

121 R. Catherine, « Le fonctionnaire français, droits, devoirs, comportement », Albin Michel, Paris, 1961, pp. 85 et s.

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CHAPITRE I

La violation d’une obligation à caractère