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L’effet des décisions pénales sur le déroulement de la poursuite disciplinaire

L’indépendance entre la poursuite disciplinaire et pénale découle des applications des

textes disciplinaire et pénal738. Le droit disciplinaire protège seulement un ordre partiel qui

s’enferme dans le cadre de chaque institution publique, tandis que le droit pénal défend un ordre juridique général qui s’applique à l’ensemble des citoyens. Face à l’exclusivité du droit disciplinaire se trouve l’exhaustivité du droit pénal.

L’élément essentiel du droit disciplinaire qui est à la base d’une répression disciplinaire

est la théorie de l’institution fondée par Hauriou à travers de nombreux écrits739. Dans un ordre

juridique général, les individus ne sont pas seulement estimés comme de simples citoyens mais

« ils appartiennent, en outre, à une multitude d’institutions dites secondaires (l’Etat étant qualifié d’institution primaire) » dont l’autorité « est garantie par un pouvoir disciplinaire qui permet de frapper les fautes commises par les membres contre la discipline ». « Ce pouvoir naît de façon nécessaire et spontanée au sein de tout corps social public ou privé »740. La répression disciplinaire est enfermée dans le champ de l’institution et ne s’applique pas, par conséquent, aux personnes qui n’appartiennent, ni dans le temps ni dans l’espace, à l’institution et qui ne sont pas liées à l’exécution de l’œuvre institutionnelle. Sa base réside dans l’appartenance à un groupe poursuivant une œuvre collective. L’idée de l’œuvre à entreprendre constitue la justification du droit du groupe et c’est en fonction de cette œuvre et pour elle que la poursuite disciplinare existe et s’applique.

Par comparaison au droit pénal, la répression disciplinaire se distingue par la présence de deux éléments fondamentaux, le groupement et la mission. Ces derniers constituent la base

738 V. supra p. 140.

739 M. Hauriou, « Principe de droit public », 1ère éd., 1910, pp. 123 et s. ; « Précis élémentaire de droit administratif », 5ème éd., 1943, pp. 134 et s.

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« d’une règle de conduite, comme aux membres d’un corps, d’une collectivité afin d’assurer le bon ordre »741.

Le premier élément, constitue une condition absolument nécessaire pour l’application d’une répression disciplinaire. Le groupement, qui se forme par une collectivité de personnes, est indispensable pour réaliser un objectif commun à ses membres. La création de groupement conservant un pouvoir disciplinaire est généralement encouragée par l’Etat. Or, la vie dans ces groupes nécessite une répression secondaire au sein du groupe qui est tout à fait indépendante de n’importe quelle répression pénale. Toutefois, ce pouvoir sanctionnateur reste limité aux

« violations » des règles relatives aux exigences du groupement et les sanctions sont limitées à ce cadre.

Généralement, le groupement comporte, quelle que soit sa nature, des principes qui réglementent sa construction, son fonctionnement, son organisation et son évolution. Autrement dit, il joue le rôle de structure où la coercition s’organise par l’arrangement de relations entre ses organes ou entre organes et membres. Cette structure menace les membres qui violent ses règles dans le cadre de la réalisation des objectifs collectifs.

Le second élément réside dans la mission de tout système disciplinaire, il constitue son moteur, son fondement ainsi que sa finalité. Non seulement cela, il constitue aussi la condition et le fond de l’exercice de toute action disciplinaire qui doit être conforme à la mission pour

laquelle le groupe a été créé. Dans ce domaine, Hauriou déclarait que « le droit disciplinaire

est constitué par l’ensemble des actes juridiques et des règles juridiques émanant de l’autorité sociale instituée qui ont pour objet, soit d’imposer aux individus des mesures, soit de créer des situations opposables, soit de réprimer des écarts de conduite, le tout principalement dans l’intérêt de l’institution et sous la seule sanction de la force de coercition dont elle dispose »742.

L’indépendance de la répression disciplinaire est donc justifiée par l’exigence de discipline liée au groupement et qui se traduit par la soumission de ses membres aux règles

organisant leur mission. Cette condition se définit principalement par « un ensemble de règles

741 G. Lyon-Caen et J. Pelissier, « Droit du travail », 15ème éd., 1996, p.439.

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et devoirs imposés aux membres d’un corps ou d’une profession, ou attaché à l’exercice d’une fonction et dont le régime des sanctions est autonome tant en ce qui concerne les instances compétentes et la procédure que la définition des infractions et la nature des peines »743.

Au regard de l’indépendance de la répression disciplinaire de celle de nature pénale, le déclenchement et le déroulement de la poursuite disciplinaire ne sont guère subordonnés à

ceux de la poursuite pénale744. Autrement dit « le disciplinaire ne tient pas le pénal en état, ni

le pénal tient le disciplinaire en état »745. Il est donc impossible d’appliquer la règle non bis in idem sur la relation existante entre le disciplinaire et le pénal puisqu’il est possible d’infliger deux sanctions de nature différente à l’encontre de la même personne et concernant le même

acte746. En effet, l’autorité disciplinaire peut, même en l’absence d’une répression pénale,

déclencher une poursuite disciplinaire. Elle peut aussi décider de ne pas poursuivre disciplinairement un fonctionnaire d’une manière temporaire ou permanente malgré l’existence d’une poursuite pénale à l’encontre de ce dernier concernant le même acte. Elle peut décider de poursuivre un fonctionnaire simultanément avec la poursuite pénale imposée à l’encontre de ce dernier et s’attachant au même acte. Dans ce dernier cas, l’autorité disciplinaire n’est pas tenue, pour statuer, d’attendre le résultat de la décision pénale alors

même qu’elle apprend que le juge pénal est, en même temps, saisi747. De même, le

fonctionnaire poursuivi n’a pas le droit de s’opposer aux autorités disciplinaires sous prétexte d’être dans l’attente du prononcé de la décision finale du juge pénal.

A ce propos, le Conseil d’Etat français a confirmé qu’il n’existe aucune texte législatif ou réglementaire, ni un principe général du droit qui oblige les autorités disciplinaires à surseoir à statuer sur les poursuites disciplinaires jusqu’à ce que les tribunaux judicaires

prononcent leur jugement748. Mais en revanche, il a affirmé que l’Administration peut statuer

sans même attendre le jugement dans le cas d’une poursuite pénale déclenchée à l’encontre

d’un fonctionnaire749. Pour sa part, le Conseil d’Etat libanais a seulement appliqué la loi, en

743 G. Cornu, « Vocabulaire juridique », Association Henri Capitant, PUF, 7ème éd., 2005, p. 309.

744 V. supra p. 140.

745Idem.

746 Sur ce point V. infra p. 296-297.

747 R. Schwartz, « Sursis à statuer disciplinaire et décision définitive du juge pénal », RFDA, 1994, p. 459.

748 C.E., 11 juillet 195, « Torodo », Rec., p. 431.

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considérant qu’« étant donné que la poursuite disciplinaire contre un fonctionnaire est

indépendante de la poursuite pénale, la poursuite devant le tribunal répressif pénal n’empêche pas l’Administration d’exercer son droit relatif à la continuité de la poursuite disciplinaire et son déroulement, ni de prononcer une décision déterminée »750. Toutefois, malgré l’absence d’obligation de surseoir à statuer, les autorités disciplinaires peuvent utiliser cette possibilité

lorsqu’elles la trouvent nécessaire751. Cette possibilité leur assure le temps pour prendre une

décision plus adaptée que si le sursis n’avait pas été mis en œuvre.

Il ne faut pas toutefois nier que la poursuite disciplinaire est affectée par les jugements répressifs. Afin de garantir l’efficacité des décisions pénales et d’éviter leur mise en cause, les autorités disciplinaires sont en effet parfois obligées, en raison de l’autorité de la chose jugée au criminel, de reconnaitre ce qui a été jugé au pénal. Ainsi, la jurisprudence a considéré que les constatations des faits opérées par la décision pénale acquièrent l’autorité de la chose jugée

exercée sur le disciplinaire752.

Au regard de la contradiction qui pourrait résulter de la consécration du principe d’indépendance entre les deux poursuites disciplinaire et pénale et l’autorité de la chose jugée dont jouissent les décisions pénales en la matière, se pose la question de savoir quelles sont les conditions des décisions pénales affectant la poursuite disciplinaire (Section I) et quelle est l’étendue de leurs effets sur cette dernière (Section II).

750 C.E.L, 7 juin 1995, « Rached », Rec. 1996, p. 595. ; C.E.L, 23 novembre 1999, « Morchid Ali Zayter/Etat », Rec., p. 135.

751 C.E., 19 décembre 1970, « Beau-ville », Rec., p. 1087.

752 C.E., 16 mars 1945, « Dauriac », Dalloz 1946, p. 141, Concl. Lefas ; C.E.L, 25 avril 1995, « Trad et Gahdal », Rec. 1996, p. 486 ; C.E.L, juin 1995, « Rached », Rec. 1996, p. 595.

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Section I

Les conditions des décisions pénales affectant la poursuite