• Aucun résultat trouvé

Le licenciement peut être vécu comme inéluctable ou avantageu

ET SORTIE DE CRISE

I- Le licenciement peut être vécu comme inéluctable ou avantageu

Signalons tout d'abord que le volume des dossiers de demande de licenciements constitués par les inspecteurs du travail est très fluctuant. Certains dossiers sont uniquement constitués de la demande de licenciement de l’entreprise et du refus (rare dans ce cas) ou de l'accord de l’inspecteur du travail. Cette épaisseur ne dit rien de la nature des relations entre salariés et l’entreprise. Par contre, elle indique clairement que le motif de licenciement apparaît indubitable pour les salariés ou, ce qui revient pratiquement au même, que ceux-ci se trouvent dans une telle position de faiblesse qu’ils sont dans l’incapacité d’argumenter.

En effet, certains licenciements ne donnent pas lieu à dispute car les raisons invoquées sont acceptées de part et d'autre. Le licenciement pour motif économique, notamment lorsqu’il est collectif, en est une illustration. Si, dans certains cas, le licenciement, n’est pas accepté de "gaieté de cœur", il apparaît aussi comme une réalité dont toutes les parties sont conscientes. La dégradation, depuis le milieu des années soixante-dix, du marché de l'emploi ainsi que les fermetures d'entreprise ont rendu cette réalité difficilement contournable.

De ce fait, la protection accordée aux représentants du personnel doit être relativisée et mesurée à l’aune de l'évolution du marché du travail. En effet, dans une période de plein emploi, le licenciement apparaît comme une mesure exceptionnelle. Il peut alors avoir pour objectif de se débarrasser d'un gêneur ou se révéler peut être une mesure antisyndicale. À l’inverse, la banalisation du chômage donne un tout autre sens à la demande de licenciement d'un représentant du personnel : si tout le monde peut être licencié, pourquoi serait-il protégé ? L'acceptation du licenciement économique va alors presque de soi.

"C’était un motif économique, elle était d’accord pour reconnaître que l’entreprise allait très mal et les chiffres financiers, c’est elle-même qui me les avait fournis d’ailleurs. […] Mais en tout cas, elle ne contestait absolument pas la réalité du motif économique, et elle m’avait adressé un courrier où ces chiffres figuraient […] Il était donc difficile de nier la réalité des difficultés économiques de l’entreprise. […] On voyait bien que l’activité de l’entreprise était un peu en péril. Là-dessus, le motif, par rapport aux critères de jurisprudence, était difficilement niable. Sur la réalité de la suppression de son poste, il n’y avait pas d’autres postes équivalents à celui qu’elle occupait dans l’entreprise.» (Inspecteur du travail)

Dans ce cas précis, le licenciement apparaît comme une contrainte exogène que Reynaud (1989) oppose aux contraintes endogènes (qui résultent des volontés des parties qui se rencontrent dans l'accord) et qui s'impose aux parties indépendamment de leur volonté. Le licenciement devient alors, sous réserve que les salariés portent la même appréciation sur les difficultés économiques de l'entreprise, affaire de « pas de chance » ou, pour le dire autrement, comme un effet mécanique du fonctionnement du marché.

Ce constat se vérifie d’autant plus dans les procédures de règlement judiciaire où le retrait des dirigeants de la gestion de l’entreprise, associé à l'intervention d'un administrateur, marque

112 symboliquement ce glissement vers une gestion de « l’urgence économique » sur laquelle les dirigeants antérieurs n'ont que peu de prise. Corrélativement, la présentation que font les administrateurs de leur rôle apparaît circonscrite au champ de la technique juridique ou encore de l’intervention consensuelle.

"Il faut quand même savoir que le liquidateur n’est pas forcément l’ennemi du salarié, bien au contraire, il hérite d’une situation[…] donc il n’y a pas de raison pour que ça se passe mal." (Administrateur judiciaire, PME)

En outre, la relative objectivation des critères du licenciement conduit parfois le salarié licencié à appréhender son licenciement sous le seul angle technique, c’est-à-dire comme une procédure qui n'est pas dirigée contre lui ou dont il pourrait porter la responsabilité. La sortie de l'entreprise paraît alors, à terme, inéluctable. De la même manière, la dégradation des relations sociales contribue à rendre moins douloureux le départ de l'entreprise.

Parce qu’on est licencié, on bénéficie du chômage donc c’est plus facile de partir, si on démissionne, on n'a rien. Moi dans mon cas, je n’en pouvais plus, l’ambiance au niveau du service n’était pas terrible.» (Salariée protégée, déléguée du personnel, membre du CHSCT, non- syndiquée, 33 ans, CAP, agent de maîtrise, PME, demande de licenciement économique)1

Le manque de confiance dans l'avenir de l'entreprise associé à une certaine dégradation des relations sociales devient alors un puissant motif de départ. Certains licenciements économiques ne sont, d’autre part, pas perçus par le salarié protégé comme des licenciements mais plutôt comme des mesures d'âge, une opportunité de départ avant le terme. Quant aux licenciements collectifs pour motif économique, ils peuvent intégrer un plan de volontariat avec des mesures incitatives qui rendent la sortie parfois préférable au maintien dans l'emploi. Si le salarié est en fin d'activité ou qu'il a un emploi assuré, le licenciement d'une entreprise déclinante peut apparaître comme une occasion à ne pas rater.

Il n’y a dès lors rien d'étonnant à ce que certains licenciements collectifs se fassent sur la base du volontariat. Par un renversement de perspective, la sortie de l'entreprise apparaît comme un sort enviable. Dans un tel contexte, vécu comme inéluctable ou encore comme une (relative) « aubaine », le licenciement économique paraît s’imposer, tant au salarié protégé qu’à l’inspecteur du travail qui subit souvent de très fortes pressions des salariés eux-mêmes pour autoriser le licenciement et rendre rapidement une décision.

"À la demande de mon licenciement, il a fallu que je m'y reprenne 4 à 5 fois pour gagner un mois avec [l'inspecteur du travail. Il ne voulait] absolument pas. […] Il savait que personnellement, il a reçu 2 ou 3 écrits de ma part, comme quoi c'était volontaire, comme quoi c'était un plan, je lui ai même dit à un certain moment. […] Je lui ai dit, mais vous vous rendez compte, vous allez imposer à la Sécurité Sociale de payer. Parce que moi, de toute façon, avant le plan, j'avais prévu de me faire opérer des varices. […] Tout mon mois de Février a été en arrêt de travail, je suis revenu 4 ou 5 jours, et là, je lui ai renvoyé un autre mot où je lui ai dit que le mois de Mars risque d'être pareil. […] Je dois vous dire honnêtement que j'ai fait le forcing. […] À la fin, il devait en avoir marre, il devait se dire : "celui-là, je vais encore recevoir 2 ou 3 lettres de sa part, etc…" (Salarié protégé, secrétaire du CHSCT, non-syndiqué, 55 ans, cadre, BTS, CE-CHSCT, grande entreprise, licenciement économique)

Il n’est donc pas surprenant, dans un tel contexte, que le pourcentage d'acceptation des demandes de licenciements pour motif économique par les inspecteurs du travail soit élevé

1 Toutefois, rien ne dit que cet optimisme soit justifié. Ainsi la situation de cette salariée deux ans après est loin de

correspondre à ses prévisions : " C’est la merde, je viens de faire un dossier de surendettement, voilà où j’en suis actuellement".

113 (91%, alors qu'il n’est que 63% s’agissant du motif disciplinaire et 77% pour le motif professionnel1

).

D’autre part, le motif économique est deux fois plus souvent avancé dans les demandes de licenciement de salariés protégés que pour l’ensemble des licenciés qui s’inscrivent à l’ANPE2

. On peut donc tout à fait faire l'hypothèse que certaines entreprises saisissent cette occasion pour tenter de se débarrasser de certains salariés protégés.