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Le droit une ressource au service des personnes en cas de conflit

ET SORTIE DE CRISE

Chapitre 3 : Les comités d'entreprise Article L483-

E) Le droit une ressource au service des personnes en cas de conflit

Le droit possède, dans cette configuration, un statut particulier. En situation normale, c'est-à- dire quand le salarié se consacre à son activité et que l'entreprise semble lui en être reconnaissante, le droit ne peut être mobilisé. En effet, son usage est contraire au principe de confiance qui préside aux relations. D'autre part, l'application de règles juridiques aurait pour effet de restreindre l'investissement des salariés, alors que c'est ce qui rend intéressant leur activité.

En effet, l'utilisation du droit est souvent une manière de marquer les frontières de son pouvoir.

"Je connaissais bien mes droits par rapport à la formation." (Salarié protégé, membre du comité d’entreprise et du CHSCT, syndiqué, agent de maîtrise, 28 ans, BTS, PME, demande de licenciement pour inaptitude)

Dans ce modèle, l'investissement ne peut se cantonner aux obligations contractuelles, ne serait ce que parce que le fait de dépasser ce seuil est, en lui-même, un paiement. En effet, les profits de l'investissement sont inclus dans le fait même de s'investir (lire nos développements antérieurs sur la recherche d'une valorisation personnelle).

La référence à des règles ou à des procédures juridiques ne survient donc que quand la relation salarié – entreprise devient instable.

Le mandat de conseiller prud’homal constitue un cas particulier. Il semble bénéficier d’une certaine "aura" qui fait aussi parfois s’éloigner les conseillers d’un mandat qui demeure syndical1

. Les conseillers prud'homaux sont des juges ; à ce titre, ils "disent le droit" et leurs décisions s’imposent aux parties au procès. Le mandat qu’ils occupent leur impose de maîtriser le droit. Certains y parviennent de manière magistrale. Le mandat constitue alors aussi une promotion sociale pour des personnes qui ont bien souvent arrêté très tôt leurs études.

Ce mandat apparaît aussi plus consensuel, raison pour laquelle on l'a rattaché à la personnalisation du mandat : il s’exerce en dehors de l’entreprise et des enjeux sociaux immédiats, ainsi que l’explique un Conseiller prud’homme.

"(Est ce que le fait que vous soyez conseiller prud'homal a eu des effets sur votre travail ?) Non, au contraire, de la part de mon directeur, c'était plutôt une référence en fait. [L’employeur] s'est servi de moi en se disant M. F. est conseillé prud'homal donc il représente les lois, il représente la justice. Donc au sein de l'entreprise, il ressentait ça comme un bien-être. Il disait à partir du

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moment où on a un représentant de la loi dans l'entreprise, on est bien, ça veut dire que nous, la loi, on la respecte. C'est vrai qu'à la limite, il la respectait." (Salarié, juge prud'homal, délégué syndical, ouvrier, 58 ans, CEP, TPE, demande de licenciement pour inaptitude)

III- La fin du conflit

L’analyse de certains entretiens met au jour une utilisation dévoyée de la règle de droit qui se trouve ainsi détournée1

de ses finalités et, ce faisant, des fonctions qui lui avaient été assignées par le législateur lors de l’élaboration des textes. Deux exemples peuvent être donnés : l’inaptitude, qui se construit avec le salarié (A), et les transactions, habillage juridique qui couvre, contra legem, l’existence d’un départ négocié entre le salarié protégé et l’entreprise (B).

Mais il faut, en préalable, essayer de comprendre ces phénomènes : en effet, l'inaptitude ou la transaction ne sont pas toujours ni recherchées ni acceptées avec emphase par les salariés. Elles sont aussi un pis-aller, qui permet de mettre à distance, au moins pour un temps, des situations que l'on a le plus grand mal à supporter.

"J'en étais à un point où je ne dormais plus, j'étais incapable de travailler. Pour pouvoir se battre, il faut aussi être performant dans son travail, il faut pouvoir être irréprochable. Moi je considère que je n'étais plus en mesure de l'être." (Salarié protégé, membre comité d’entreprise, délégué du personnel, non-syndiqué, 29 ans, cadre, Bac+2, PME, demande de licenciement économique)

Les effets d'un conflit de longue durée sont loin d'être anodins pour les individus, surtout qu'ils se vivent souvent sur la base d'une inégalité de ressources dont les effets sont dévastateurs sur leur personnalité.

"Le salarié arrive, il est déjà sous traitement médical depuis des mois, il s’effondre en larmes dans votre bureau, il nous supplie quasiment à genoux de le laisser partir. […] Je réalise aussi ce que ça peut signifier pour les salariés du privé d’être face à des phénomènes de harcèlement qui peuvent être incessants, et qui peuvent durer des années, qui foutent en l’air leur vie privée, familiale, etc… Encore une fois, tous les représentants du personnel n’en sont pas là heureusement, mais parfois ça peut être ça." (Inspecteur du travail)

C'est en grande partie pour ces raisons que des inspecteurs du travail peuvent autoriser les licenciements "convenus" car ils font preuve d'empathie par rapport au sort des salariés.

"J’ai parfaitement conscience sur ce que je vous disais tout à l’heure, en laissant partir le salarié qui en a pris plein la figure et qui ne souhaite plus qu’une chose, c’est s’en aller et quitter l’entreprise. J’ai parfaitement conscience aussi que le chèque de l’employeur va acheter son départ et achète aussi la décision de l’inspecteur, c’est pour ça aussi que ce n’est absolument pas satisfaisant. Et ça je le mets dans la balance aussi, je sais aussi que je me fais rouler d’une certaine façon, puisqu’il suffit d’un chèque pour acheter la décision de l’autorisation de l’inspecteur. C'est- à-dire que le salarié vient vous dire : je n’en peux plus, je veux partir, alors vous comprenez qu’il y a eu une transaction. Mais si en même temps, j’ai vraiment conscience que c’est ça ou le condamner à des mois épouvantables qu’il a déjà vécus et en ajouter d'autres." (Inspecteur du travail)

1 Le verbe "dévoyer" est tiré de desvoier, qui signifie, en son sens littéral tel qu’apparu au XIIe siècle, "pousser hors de la

125 En effet, la principale raison pour laquelle les salariés acceptent des transactions ou demandent leur licenciement pour inaptitude, c'est parce que le licenciement permet de sortir d'une situation de crise, parfois totalement insoutenable pour le salarié, tout en gardant le bénéfice des allocations chômage.

Il est probable que si la démission d'un salarié protégé lui offrait les mêmes garanties, le nombre de licenciements subirait une baisse au profit des démissions qui, elles ne dépendent pas de la décision de l'inspecteur du travail.

"J’ai un certain nombre de cas de licenciement de représentants du personnel où on se serait normalement situé dans le cadre d’une démission mais où des salariés, parce qu’ils sont représentants du personnel, essaient de profiter de cette opportunité pour négocier un départ sous forme de licenciement ou carrément commettre une faute, de type absence injustifiée, ne se présentent plus au travail et disent : "je ne me présente plus parce que je souhaite être licencié." "Pourquoi vous souhaitez être licencié ?" "Parce que je souhaite toucher les ASSEDIC." (Inspecteur du travail)