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Un avis qui pèse peu sur l'issue de la procédure

II E PARTIE – L'INTERVENTION DE « TIERS

Chapitre 6 : Licenciement des représentants du personnel, des représentants syndicaux et des salariés assimilés

2) Un avis qui pèse peu sur l'issue de la procédure

En pratique, l’inspecteur du travail ne s’appuie que très peu, dans sa prise de décision, sur le comité d’entreprise. S’il vérifie et impose le respect d’une formalité substantielle, un tel avis n’est pas déterminant dans la prise de décision.

En fait, l'avis du comité d’entreprise est, tout d'abord, largement prévisible. L'avis défavorable est la règle et l'avis favorable l'exception. L'analyse des dossiers de l'inspection du travail fait apparaître que c'est d'abord la régularité des procédures qui est jugée. Sur le fond, les avis sont souvent déjà formés avant la réunion du comité d’entreprise.

Par contre, l'avis favorable donné par le comité d’entreprise semble être un critère déterminant dans l'acceptation du licenciement par l'inspecteur du travail, sans qu'on puisse savoir si l'acceptation se fait sur le caractère flagrant des reproches que le comité d’entreprise ne fait que marquer ou si c'est l'avis lui-même qui produit l'acceptation par l'inspecteur du travail. Les entretiens réalisés avec les inspecteurs du travail montrent, d'autre part, que, de leur point de vue, l’avis du comité d’entreprise n’est parfois guère représentatif de la réalité et n’apporte rien à la prise de décision. Ils mettent également en avant la contingence de cet avis.

"Je relativise l’avis du comité d’entreprise en fonction du contexte" (Inspecteur du travail)

L’inspecteur du travail peut en effet avoir affaire à des comité d’entreprise dont les candidatures ont été "suscitées" par l’employeur, ou encore marqués par des dissensions syndicales. Dans ce dernier cas, l’avis donné par le comité d’entreprise sert aussi à régler des

104 comptes. Au final, il apparaît que les comités d’entreprise, du point de vue de certains inspecteurs du travail, ne remplissent pas leur fonction et leur rôle de contre-pouvoir.

"Je ne me sens absolument pas lié par ce que le comité d’entreprise a fait compte-tenu […] de l’absence de culture syndicale ou de culture collective qu’on rencontre dans beaucoup de Comités d'établissement. Malheureusement, donc, je ne peux pas me sentir lié et en plus il faudrait un comité d’entreprise extrêmement malin et qui ait extrêmement bien étayé le dossier pour qu’on puisse utiliser vraiment les éléments qu’il y a eu dans les débats du comité d’entreprise. Ce qui arrive de temps en temps ; ce sont les plus gros licenciements économiques et ces malins savent nous procurer du biscuit pour qu’on puisse le faire mais c’est très rare." (Inspecteur du travail)

L’analyse des avis rendus fait parfois ressortir le caractère quelque peu formel de la décision du comité d’entreprise. On ne peut, en effet, que s’étonner, à la lecture de certains dossiers de demandes de licenciements pour motif économique, de constater que la réunion du comité d’entreprise au cours de laquelle l’avis doit être rendu constitue aussi le moment où la direction expose ses projets de restructuration. Cette concomitance est d’autant plus étonnante que le comité d’entreprise devait légalement avoir été déjà consulté sur des projets de ce type1

. Dans d’autres dossiers, on ne comprend pas pourquoi il n’est fait aucune référence aux consultations et avis rendus antérieurement au projet de restructuration. On peut alors légitimement s’interroger sur la capacité d’appréhension, par le comité d’entreprise, de la situation globale de l’entreprise, tant au plan économique que social. Ce constat de "déconnexion" entre le volet économique et social peut donner à penser que le rôle du comité d’entreprise est alors quelque peu "formel".

Cette faible prise des IRP sur les données économiques, notamment lors de successions de plans de sauvegarde de l’emploi, de fusions, de cessions… se révèle lors d’entretiens réalisés avec des secrétaires de comité d’entreprise. Les représentants des salariés sont démunis;

"On était assez perdus. […] On avait tellement entendu de choses avant. […] On ne savait plus ce que l’on devait croire" (Secrétaire de comité d’entreprise, PME)

Les représentants du comité d’entreprise connaissent des difficultés pour appréhender une réalité économique et juridique extrêmement complexe, qui échappe aux béotiens.

"En France, dans l’opinion publique commune […] on finit presque par admettre que dès lors qu’on dit que c’est économique, il n’y a même pas à contrôler que ce soit fondé"." (Inspecteur du travail)

Le recours à un avocat permet alors parfois de combler ces carences.

Cette faible prise sur les contexte économique et social s’explique également, pour partie, par la faible culture économique et juridique des membres du comité d’entreprise qui demeurent insuffisamment formés malgré le droit à congé dont ils disposent2

.

Au bout du compte, la relativité de l’avis de comité d’entreprise s’explique aussi par l’absence d’effet contraignant.

1 Art. L. 432-1, 2e al. du Code du travail.

2 Suivant l’article L. 451-1, 4e al. du Code du travail, les salariés désireux de participer à des stages ou sessions de formation

économique, sociale ou syndicale ont droit à des congés rémunérés dont la durée totale ne peut excéder, par an et par salarié, "douze jours ou dix-huit jours pour les animateurs des stages et sessions et pour les salariés appelés à exercer des responsabilités syndicales. La durée de chaque congé ne peut être inférieure à deux jours".

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"[…] C’est vrai que souvent les entraves aux IRP c’est souvent du formalisme, d’autant plus que le comité d’entreprise n’a pas un pouvoir de blocage il n’a qu’un pouvoir de consultation, donc, allez expliquer [aux magistrats] que c’est porter gravement atteinte à l’ordre public social que de ne pas avoir consulté le comité d’entreprise en amont sur telle décision, alors que le comité d’entreprise ne peut que dire : on n’est pas d’accord mais l’employeur n’en a rien à foutre et il peut quand même continuer à avancer, c’est un petit exercice intellectuel." (Inspecteur du travail)