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Les effets des candidatures individuelles

AVIS D’UNE DELEGUEE DU PERSONNEL SUR LE PLAN DE RESTRUCTURATION PRESENTE PAR L’EMPLOYEUR

B) La personnalisation des mandats

4) Les effets des candidatures individuelles

Signalons tout d'abord que ce type de positionnement ne conduit pas nécessairement à une grande implication dans le mandat, et ce, pour deux raisons : parce que la référence au collectif est assez faible mais aussi parce que les salariés ont plutôt tendance à s'adresser, pour leurs revendications, à des militants plus qu'à des élus non-syndiqués.

"(Qu’est ce que vous avez fait quand vous étiez DP ?) Pas grand-chose, sincèrement pas grand- chose. […] Parce que ce n’est pas vers moi que les gens venaient au départ, ils venaient plutôt vers une des secrétaires de direction. Les gens savaient qu’elle faisait partie du syndicat.» (Salariée protégée, délégué du personnel, membre du CHSCT, non-syndiquée, 33 ans, CAP, agent de maîtrise, PME, demande de licenciement économique)

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La valorisation de l'exemplarité personnelle

La non-syndicalisation conduit à des candidatures dont la fonction va être, pour reprendre l'expression de Goffman (1973), "la présentation de soi" plus que la présentation d'un collectif structuré dont le salarié serait le représentant. Les relations des élus non-syndiqués au collectif sont, de ce fait, ambiguës : ils se présentent, affirment-ils pour la plupart, afin de remplir des missions d'intérêt général qui dépassent leur seul intérêt, mais en même temps le collectif organisé que représente le syndicat fonctionne comme un repoussoir.

"En tant qu’indépendant, je n’avais pas du tout l’âme syndicaliste, ça c’est clair,.[…] (Même l’inverse ?) Oui, à une époque oui." (Salarié protégé, délégué syndical, cadre, 42 ans, Bac, PME, demande de licenciement pour faute)

Ils semblent ainsi porteurs de leur seule individualité, qu'ils conçoivent comme exemplaire ou, au minimum, comme plus exemplaire que celle des salariés protégés encartés dans une organisation. La présentation de soi étant dotée d'une composante narcissique explique que les individus peuvent concevoir d'être en quelque sorte plus exemplaires que leurs collègues. Mais il ne s'agit pas seulement de caractéristiques de "personnalité" dont sont dotés les représentants non-syndiqués, cette tendance va de pair avec le fait de détenir des ressources cognitives. Or ces ressources cognitives, toutes choses égales par ailleurs, sont étroitement articulées au niveau de diplôme détenu et à la catégorie socioprofessionnelle.

Les catégories socioprofessionnelles les plus hautes ont plutôt tendance à croire qu'elles peuvent régler elles-mêmes leurs problèmes sans avoir besoin de passer par une régulation collective1

. Cette tendance est aussi plus ou moins facilitée par le type de fonctions détenues : à l'inverse des délégués syndicaux, désignés par une organisation et donc très fortement marqués par un collectif, les fonctions de délégué du personnel ou d'élu du comité d’entreprise peuvent sembler plus dépendantes de l'exemplarité personnelle ou de compétences relationnelles. C'est ce qui explique, pour partie, des clivages de positions entre les délégués syndicaux, qui ont plutôt tendance à s'opposer par principe à tout ce qui tire vers l'individualisation, et les autres représentants des salariés qui acceptent bien mieux des dispositifs allant dans ce sens2

.

Le mandat occupé selon la catégorie socioprofessionnelle éclaire également ces différenciations : les ouvriers occupent plus souvent les positions de délégué syndical (33,6% des délégués syndicaux sont ouvriers contre 10,2% qui sont cadres), alors que les fonctions d'élu au comité d’entreprise et de délégué du personnel sont plus souvent occupées par des agents de maîtrise (23,2% des élus au comité d’entreprise) et des employés (32,6% des délégués du personnel) 3

.

1 L'enquête Réponses constate par exemple que, en tendance, les cadres ont de moins en moins tendance à s'adresser à leurs

représentants et les auteurs de l'analyse parlent même de crise de représentation au niveau des cadres. (Furjot D. (2002), De la participation au conflit. Enquête "Réponse" 1998. Questionnaire "représentants du personnel", Document de travail n°64, Déc. 2002, DARES.)

2 Furjot D. (2002), De la participation au conflit. Enquête "réponse" 1998. Questionnaire "représentants du personnel",

Document de travail n°64, Déc. 2002, DARES.

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L'importation du monde domestique dans la sphère du travail

Par l'effet de la personnalisation du mandat mais aussi par le fait de considérer l'entreprise comme une référence identitaire, les relations interindividuelles ne se cantonnent pas à l'échange salarial.

C'est en effet le monde domestique décrit par Boltanski et Thévenot , où les êtres sont qualifiés par la relation qu'ils entretiennent avec leurs semblables et où les relations sont "désintéressées", qui se révèle ici.

"Il était assez proche du président (et son) père […] est un ami de notre président." (Directeur d'établissement, PME)

Cette forme domestique est mise en oeuvre "dans un mode de gestion du personnel qui valorise l'expérience spécifique acquise par l'ancienneté dans la maison". Les relations dans l'entreprise rassemblent alors, par bien des côtés, à celles que l'on peut avoir dans une famille.

"Puis j’aimais bien à la base le fait que c’était familial, parce que comme j’étais indépendant, j’avais un contact direct avec le PDG, donc ça, ça me plaisait bien, j’avais de très bons rapports d’ailleurs avec [le Dg]." (Salarié protégé, délégué syndical, cadre, 42 ans, Bac, PME, demande de licenciement pour faute)

Dans ce mode de relation à l'entreprise, c'est exclusivement le jugement d'un chef qui fait sortir les salariés du rang. Les relations se vivent alors sur le versant du charisme.

"Moi quand je l’ai rencontré la 1ère fois, j’ai été sous le charme, mais c’est un sacré monsieur dans

les affaires".» (Salarié protégé, délégué syndical, cadre, 42 ans, Bac, PME, demande de licenciement pour faute)

De ce fait, l'investissement dans le travail dépasse les obligations contractuelles, comme dans le cas de ce salarié qui rappelle tout au long de l'entretien à quel point il a pu se dévouer pour l'entreprise.

"J'ai beaucoup travaillé, j'attaquais début décembre jusqu'à fin avril, c'était tous les jours. Je n'avais pas de congés, j'ai quand même beaucoup donné. […] C'est simple, pour les vacances de Noël, je commençais à travailler à 8 heures du matin, je finissais à 10 heures du soir, il y a même certaines fois où je terminais à 4 heures du matin pour faire les payes. […] Mon boulot, c'était tout le temps, parfois je me réveillais la nuit en me disant : tiens, il faut que je fasse ça. C'était quand même une implication assez forte." (Salarié protégé, membre comité d’entreprise, délégué du personnel, non- syndiqué, 29 ans, cadre, Bac+2, PME, demande de licenciement économique)

Cet investissement est souvent partagé par la cellule familiale. Le travail envahit alors tout l'espace du salarié. La meilleure illustration en est donnée par le salarié qui s'est présenté à l'entretien avec sa femme qui est intervenue assez fréquemment pour rappeler à quel point l'investissement pour le travail a pu être envahissant.

". s'investit énormément dans son travail, il travaillait tout le temps. Quand il dit que l'été, ça a été plus calme, en fait, ça a été vrai les 2 premières années, il a eu des week-ends en plus sinon il travaillait tout le temps […] Ça a été un problème entre nous […] Parce qu'on ne se voyait jamais. […] Ça me pesait, au départ on est de L., moi j'ai tout laissé, mes études et tout pour qu'on soit relativement proche, et en fait, il travaillait tellement tout le temps qu'en fait il n'était pas plus proche que quand j'étais à L. […] J'aurais aimé que de temps en temps, il pense à rentrer à 7 heures le soir, ou qu'il pense à dire "je rentre à midi". […] On l'a vécu à 2, le travail de J. prenait tellement de place dans notre vie que forcément, son licenciement, on l'a vécu aussi." (Salarié protégé,

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membre comité d’entreprise, délégué du personnel, non-syndiqué, 29 ans, cadre, Bac+2, PME, demande de licenciement économique)

"Pendant 1 an et demi, ça a été beaucoup d’investissements […] J’ai beaucoup travaillé pour trouver une meilleure implantation pour le produit. Je me suis investi comme un malade pendant 1 an et demi.» (Salarié protégé, membre du comité d’entreprise, délégué du personnel, syndiqué, 37 ans, cadre, Bac+2, PME, demande de licenciement pour faute)

5) La figure intermédiaire : le passeur à mi-chemin de l'opposition et de