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L’organisation syndicale

II E PARTIE – L'INTERVENTION DE « TIERS

Chapitre 6 : Licenciement des représentants du personnel, des représentants syndicaux et des salariés assimilés

B) L’organisation syndicale

L’intervention, au cours du conflit, de l’organisation syndicale contribue à figer le conflit (1). Elle apparaît, dès lors que le litige est né, comme une ressource mobilisée par le salarié protégé (2).

1) La présence syndicale cristallise le conflit

L’analyse de terrain montre que la présence syndicale cristallise le conflit : elle produit des effets différents selon le moment auquel elle intervient. Incontestablement, l’affiliation à un syndicat par un salarié protégé est mal perçue par l’employeur, comme si le salarié faisait entrer l’ennemi dans l'entreprise. Cela peut être vécu comme une déclaration de guerre dont la réponse est le licenciement du salarié.

"Je vais juste vous donner un petit détail sur pourquoi on s’est présenté : c’est Y qui, le premier, est allé chercher son mandat pour créer la cellule et se présenter aux élections. 15 jours après il avait une convocation pour licenciement." (Salarié protégé, délégué syndical, cadre, 42 ans, Bac, PME, demande de licenciement pour faute)

Cette analyse est corroborée par des responsables syndicaux locaux : selon le secrétaire général d’une Union départementale CGT, P. Varelat, on a de plus en plus de recours, dans les entreprises moyennes, aux demandes d’autorisation lors des périodes de revendication ; le licenciement apparaît alors lié à l’implantation syndicale.

La vision d’un syndicat "belliciste" trouve un écho chez certains salariés protégés non- syndiqués qui, expliquant leur non-affiliation, font état de leur volonté de rester "neutre", des risques d’être "bloqué" par un syndicat. Pour un autre salarié protégé, le syndicat est synonyme d'agressivité.

"Je pense qu’on se syndique quand on veut être beaucoup plus agressif, je pense qu’en s’expliquant bien, on n’en a pas besoin." (Salariée, membre du comité d’entreprise, déléguée du personnel, non-syndiquée, cadre, 54 ans, BEPC, PME, demande de licenciement économique)

Le recours au syndicat intervient comme une arme défensive, ainsi que l’explique une salariée protégée secrétaire de comité d’entreprise.

"Pour se défendre ; [ avant la succession de plans de licenciements], je n’avais pas de raisons d’être syndicaliste […]. Je suis [à la CFDT] depuis 6 ans maintenant suite aux menaces que nous avons eues parce qu’il n’y a pas que moi, et avec plusieurs personnes ; pour se défendre on a crée un syndicat." (Secrétaire du comité d’entreprise, déléguée syndical, 58 ans, PME)

De ce fait, le mandat sert aussi parfois les intérêts immédiats de celui qui l’occupe, qu’il s’agisse de petites ou de grosses entreprises. Le salarié peut chercher à se protéger, ce qui est

106 le cas dans cette entreprise de type paternaliste, divisée en petits établissements répartis sur la France entière.

"[Le PDG] nous a demandé pourquoi on s’était syndiqué, on lui a répondu que c’est parce qu’on voulait passer au 1er tour et avoir une protection parce qu’on avait peur." (Salarié protégé, délégué

syndical, cadre, 42 ans, Bac, PME, demande de licenciement pour faute)

Un autre salarié protégé de la même entreprise confirme cette analyse.

" Quand on s’est syndiqué, c’était uniquement pour être réglo, on n’en avait rien à foutre des syndicats, on ne savait même pas comment ça marchait vraiment, on était même assez sceptique par rapport à tout ça. On avait une image des syndicats qui n’était pas très bonne, pas très valorisante, mais on se disait que pour être élu, le meilleur moyen, c’était d’être syndiqué. On était aussi conscient que ça pouvait nous apporter aussi des aides en termes de formation, en termes de soutien, de beaucoup de choses." (Salarié protégé, membre du comité d’entreprise, délégué du personnel, syndiqué, 37 ans, cadre, Bac+2, PME, demande de licenciement pour faute)

Le salarié protégé peut également se servir de son statut de représentant du personnel afin de bénéficier des mesures qu’il a lui-même contribué à mettre en place par la négociation : c’est le cas dans un grand groupe ayant mis en place deux plans sociaux particulièrement attractifs. Si les salariés se servaient de leur mandat pour rester, aujourd’hui ils s’en servent pour partir. Il faut sans doute y voir, pour la responsable des relations sociales, le résultat d’une culture spécifique.

"Une culture où tout se négocie amenée par les plans sociaux […] où les délégués […] se servent les premiers ". (Pourquoi avez-vous accepté les salariés protégés dans le plan, parce que ça fait quand même des procédures en plus ?) Je pense que si on avait refusé, on se serait fait lyncher vu le niveau de demandes et de pression qu’il y avait. Moi ça me posait vraiment beaucoup de questions, la réunion de DP tournait à de la consultation individuelle, les DP étaient là et posaient des questions pour eux. Il y en avait un en particulier, qui est parti dans le cadre de ce plan et dont je me souviendrai pendant très longtemps, ils étaient dans une logique qui me rappelle la revue "Le Particulier", de comment je peux gagner encore plus, comment je peux faire encore plus. Donc ils grattaient, ils étaient tous avec leur logiciel Excel dans tous les sens, ils faisaient des simulations, et ils revenaient avec des questions très pointues, c’était impressionnant parce que du coup, on retrouvait toute la force de [l’entreprise]. Ils faisaient des groupes de travail (C’était l’autogestion ?) Oui, mais dans l’esprit de [l’entreprise], c’est normal, dans la culture qualité de [l’entreprise], quand quelque chose ne va pas, on fait un groupe de travail, alors en plus, comme c’était des anciens, ils étaient piqués à cette culture-là. Donc ils ont fait exactement comme ils auraient fait avec un problème business de base, dans lesquels ils faisaient des ‘’dé-briefring’’, des négo, donc ils faisaient des allers et retours, ce qui faisait un partenaire de plus." (DRH, grande entreprise)

2) Le syndicat : une ressource dans le litige

L’analyse des dossiers administratifs de demandes de licenciements de salariés protégés montre une absence de l’organisation syndicale au cours de la procédure. Bien que le droit l’autorise à venir accompagné d’un représentant syndical, le salarié protégé se rend généralement seul à l’enquête contradictoire.

"Cela fait partie du constat que je disais sur la faiblesse des organisations syndicales, les syndicats défendent peu leurs délégués. Tous les ans, la CGT nous sort des tirades infernales sur le fait que l’inspection du travail a encore autorisé je ne sais plus quel pourcentage ! Globalement, c’est vrai, cette statistique en tant que telle ne veut pas forcément dire énormément de choses, parce que quand on voit comment les délégués sont défendus par leurs syndicats, c’est éloquent." (Inspecteur du travail)

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On constate que c’est le salarié protégé, dès lors qu’il est en capacité de le faire, qui mobilise l’organisation syndicale qui sert alors de ressource : elle informe le salarié protégé sur le droit et sur ses droits, et apporte, le cas échéant, un soutien financier :

"(Et l’organisation syndicale vous a aidé ?) Oui, là-dessus, ils nous ont conseillé, ils sont venus au tribunal avec nous, ils nous ont envoyé l’avocate qui était très bien." (Secrétaire du comité d’entreprise, déléguée syndical, 58 ans, PME)

L’organisation syndicale offre alors un soutien logistique plus que politique. Elle intervient lors du litige, c’est-à-dire lorsqu’un recours administratif ou contentieux est enclenché. Il se traduit généralement, au niveau des pratiques syndicales, par une protection plus importante accordée au représentant syndiqué (assistance juridique par exemple). D’autre part, les actions syndicales extérieures à l’entreprise sont aussi destinées à montrer que le syndicat défend ses adhérents. Certains dossiers occupent une plus grande place ; l’investissement de l’organisation syndicale varie en fonction de la taille de l’entreprise, des enjeux politiques et de l’implantation syndicale.

Le soutien apporté par le syndicat au salarié protégé dans le cadre de l’entreprise demeure faible. Ce constat s’explique, pour partie, par le fait qu’un tel soutien politique ne dépend pas que du syndicat mais aussi de la capacité du salarié protégé à mobiliser les autres salariés, comme l’explique un salarié protégé.

"La CGC m'a soutenu, ils voulaient aller au conflit, ils voulaient que je syndique des gens, il fallait trois syndiqués par mois. Je n'avais pas l'habitude de travailler comme ça moi, je ne sais pas gérer comme ça, je leur ai dit. Ils m'ont répondu : on ne peut rien pour vous dans ces conditions, vous ne faites pas masse. Je leur ai dit : "je comprends, mais je ne peux pas faire signer de force les gens ou les enrôler sans qu'ils le sachent, ce n'est pas possible, je vais leur payer leurs cotisations à la limite. On ne fait pas comme ça ![…] C'est vrai que je n'ai pas eu le rôle véritable de délégué syndical, je l'ai fait, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, j'ai été délégué syndical parce que personne au comité d’entreprise n'a voulu prendre la responsabilité et je les comprends. J'étais le moins facile à faire plier" (Salarié protégé, délégué syndical, membre du comité d’entreprise, 55 ans, cadre, BEPC, PME, demande de licenciement pour inaptitude)

Or le statut juridique joue alors pleinement son rôle dès lors que le salarié protégé est soutenu par un collectif de travail. Ce collectif se délite cependant d’autant plus que la présence syndicale est faible.

"Il y a toujours la peur du patron quelque part, les gens ont peur, ils veulent bien faire les choses, mais il ne faut pas que ça se sache de trop. (Vous ne pouvez donc pas vous appuyer sur le collectif du travail pour défendre votre propre situation ?) Non. Nous, c’était essentiellement des bureaux à N., c’est difficile parce que les gens n’osent pas et ne se sentent pas vraiment concernés, ils ne veulent pas faire de vagues, ils ont toujours l’espoir qu’en fermant leurs gueules, le patron en tiendra compte. Quelque part, on est encore au 19ème siècle." (Membre du CE, syndiqué, PME)

L’organisation syndicale peut apparaître déterminante dans l’issue de la procédure lorsque la présence syndicale est forte au sein de l’entreprise et qu’elle représente un véritable contre- pouvoir ; c’est ce que dit, de manière indirecte, un inspecteur du travail .

"Les seules chances, quand je reprends les nombreux dossiers que j’ai vu passer entre mes mains sur des licenciements, les seules chances qu’un refus puisse avoir réellement des chances de se traduire complètement par la construction d’un contre-pouvoir syndical dans l’entreprise, c’est quand il y a déjà une présence syndicale forte, qui fait que le salarié dont j’ai refusé le licenciement, est réintégré dans une communauté de salariés où il sera soutenu, où ils peuvent se

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serrer les coudes entre eux, et où ils peuvent éviter que la direction remette le paquet pour remonter une nouvelle fois un dossier de licenciement." (Inspecteur du travail)

Le soutien politique ne peut intervenir sur le conflit sans ancrage syndical fort :

"Ils [la CGC] voyaient en moi une nouvelle entreprise sur XXX [un village] avec plein de syndiqués, ça moi, je n'ai pas su faire. Quand j'en ai parlé à mes collègues, ils m'ont dit : mais tu es fou, tu veux qu'on soit viré tout de suite ? C'est ce genre de paroles, vous ne pouvez pas vous battre contre ça, les gens qui ne veulent pas ne veulent pas. Le pire c'est qu'ils sont conscients de la situation sans pouvoir y amener quelque chose pour la modifier, je crois que c'est la plus difficile des situations, ça. "(Salarié protégé, délégué syndical, membre du comité d’entreprise, 55 ans, cadre, BEPC, PME, demande de licenciement pour inaptitude)

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