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Les tendances libérales

Carte 2: La crise de 1831

D. Les tendances libérales

Le nouveau système d’élection se révèle favorable aux libéraux. Il porte un coup mortel au bastion aristocratique agaunois déjà fortement affaibli par la dispa-rition de Jacques de Quartéry, en 1828, et de Charles-Emmanuel de Rivaz, en 1830. L’intransigeant Macognin de la Pierre perd la présidence de la ville et même le Conseil municipal404. Il garde cependant son poste de député à la Diète 400 AEV, DI, 38.1.1, Mémoire sur la misère du peuple obéré profondément de dettes (22 mars 1832). Ce texte présente un caractère plus général que la pétition étudiée au chapitre 1.III. Il prend une résonance très forte en raison de la situation de troubles qui se combine avec les évé-nements de l’extérieur. Il est malheureusement très difficile d’en identifier l’auteur avec certi-tude. Le caractère cohérent et systématique de l’argumentation, le degré de culture de l’auteur, l’intérêt évident pour le monde besogneux rappellent la pétition de 1824.

401 Ibid.

402 Ibid.

403 Ibid.Voir aussi ARLETTAZ, «République, Démocratie, Progrès», p. 61-62.

cantonale et devient également député à la Diète fédérale. Cependant, le docteur Joseph-Hyacinthe Barman est élu vice-président du dizain et entre également à la Diète cantonale. Les idées libérales pénètrent ainsi fortement à Saint-Maurice, bientôt acquis à la lutte bas-valaisanne.

Monthey élimine de sa représentation tous ceux qui ne correspondent pas à l’étiquette exigée. A Conthey, Grasset parvient à ses fins : il sera député à Sion405. L’Entremont épure ses cadres et élimine les éléments qui se sont trop ouvertement manifestés contre l’arbre de la liberté ; ainsi le député Jean-Pierre Ribordy et Nicolas Verney, président d’Orsières. Ils sont remplacés par la vieille garde favo-rable à l’insurrection : l’ancien vice-bailli Delasoie et Gard qui retrouve, en même

405 Voir chapitre 1.I.B.

Fig. 11 – Maurice Barman, 1808-1878 (AEV, Ph 625).

temps, son titre de président du dizain406. Avec les deux autres députés, Besse et le notaire Denier et grâce à une pléiade de nouveaux notaires qui obtiennent des fonctions locales, l’Entremont passe majoritairement dans le camp libéral.

La situation est quelque peu différente à Martigny où les autorités désénales étaient déjà libérales. L’émeute s’est révélée fatale à Joseph Gross trop impliqué dans le mouvement insurrectionnel. Il est remplacé, à Sion, par le président de la commune, Eugène Gay, beaucoup plus habile. La surprise provient de ce que la population de la commune, ébranlée par l’enthousiasme des journées de mai, élit un conseil presque entièrement nouveau, composé des chefs populaires. Saudan est élu président de la commune et Couchepin vice-président. Mais, Saudan est provisoirement déchu de ses droits par l’autorité supérieure. Couchepin assurera l’intérim407.

Un mouvement aux origines controversées se termine donc par une victoire des libéraux. Saint-Maurice et l’Entremont, du moins leurs nouvelles sphères diri-geantes, se mettent dans le sillage de Monthey et de Martigny. La clientèle libérale se renforce à Conthey. Les Sédunois devront bientôt tenir compte de cet environ-nement. Mais cette victoire n’est qu’apparente. Ce serait une erreur de considérer le libéralisme comme un parti aux structures bien définies dont le rôle est de regrouper un électorat de plus en plus vaste. Le libéralisme n’est encore qu’une tendance ou plutôt qu’un amalgame de tendances, dans un Etat qui n’est pas démocratique.

On peut parler de parti libéral à Monthey. Les libéraux montheysans qui ont déjà pris place dans les rouages de l’Etat ont une conscience claire de leur rôle. Leur attitude face à l’insurrection a été nette. Ils ont cependant subi un revers dans la mesure où leur conception d’un libéralisme cadre à évolution lente – le libéra-lisme de la grande bourgeoisie – se trouve dépassée par les événements et insuffi-sante à regrouper les aspirations nouvelles du canton. Les Montheysans vont devoir opérer une reconversion, éliminer les dissensions internes et durcir leur attitude pour ne pas se laisser déborder sur leur gauche.

406 La lutte a été très sévère dans l’Entremont. D’après la déposition du notaire et vice-grand châte-lain sortant J. Jacquemin, Frédéric Gard, en contact direct avec les insurgés, aurait dirigé les élections avec l’aide de son frère, curial. «Le jour des élections […] je me suis aperçu que Mon-sieur Gard insinuait les votants et les engageait à donner leurs votes à ceux qu’il leur désignait.» Le frère de Gard, au ton très acerbe, aurait traité Jacquemin d’«aristocrate» parce que celui-ci aurait voulu abattre l’arbre de la liberté (AEV, DI, 45, Protocole de la commission d’enquêtes sur les troubles de Martigny (juin-août 1831), séance du 1erseptembre 1831). Il y a nettement eu un conflit dans l’Entremont entre les anciens, progressivement écartés des sphères dirigeantes, comme par exemple Delasoie «retenu sous la remise depuis une quinzaine d’années» (DERIVAZ, Mémoires, III, p. 133) ou comme Gard écarté en 1829 et une aile nouvelle représentée par Ver-ney, J. P. Ribordy et Jacquemin ainsi que J. J. Carron etc. Pour reprendre le dessus, les anciens se sont alliés à une troisième vague de jeunes notaires démocrates, comme Fusey, et à la population contestataire. La situation politique de l’Entremont va encore évoluer.

407 Les troubles de Martigny ne se sont pas terminés en 1831. La question rebondira aux élections de 1833, Joseph Gross recommencera à intriguer pour obtenir une place de conseiller du Bourg, voire de président de la commune dont le titulaire théorique était Saudan. Le président du dizain Morand protestera avec violence rappelant qu’en 1831, Saudan avait été nommé «précisément pour remplacer ledit Monsieur Gross abandonné alors par le même parti qui, aujourd’hui, vou-drait le placer illégalement à la place de celui qu’il a porté alors avec impétuosité à cet honneur» (AEV, 1101, Protocole des séances du Conseil d’Etat, vol. 29, 15 septembre 1833). Pendant ce temps, Couchepin, peut-être sous la pression de Gross, présenta sa démission au Conseil d’Etat, estimant que la charge de président était au-dessus de ses facultés (Idem, 9 août). Le Conseil d’Etat refusa.

Quant au libéralisme martignerain, il paraît encore très instable, même impo-pulaire. C’est un libéralisme de magistrats. Cependant, la réaction cléricale a com-plètement échoué et c’est le peuple qui donnera de plus en plus le ton au débat. Il finira par modeler ses chefs à son image contestataire. Il en fera des radicaux !

L’Entremont, arrière-pays de Martigny, présente une physionomie semblable. C’est un terrain de luttes avec des forces disparates. Beaucoup de chefs sont des opportunistes plus démagogues que démocrates ; mais la nouvelle génération représente une aile dure susceptible de changer le profil du combat. Au contraire de Martigny, la faction cléricale et traditionaliste des chanoines du Grand-Saint-Bernard reste très forte.

Saint-Maurice a tout simplement évolué vers une attitude libérale intellec-tuelle et aristocratique. L’ancien bastion ultra a pourtant introduit Joseph-Hya-cinthe Barman qui passera, dès 1839, au premier plan de la scène libérale.

Finalement, ni le plan social, ni la conception de l’idée libérale n’unissent les différents dizains bas-valaisans. L’année 1831 révèle une grande faiblesse, car cette diversité risque d’être fatale à long terme. Les libéraux sont très loin de mou-voir le pays. Ils n’en ont pas les moyens, ni les instruments.

Les journaux viennent de l’extérieur et sont utilisés très différemment par des correspondants qui n’ont pas les mêmes objectifs. Les libéraux divergent par la formation, par les buts, par la conception de l’Etat. Ils devront utiliser toute la décennie pour s’unir et pour forger une arme de guerre qui deviendra le radica-lisme.

Cependant, un grand danger menace le mouvement du progrès. C’est le conformisme grand-bourgeois, voire aristocrate de l’aile dirigeante, qui apparaît beaucoup trop proche des données traditionnelles et que l’aile gauche commence déjà à critiquer :

Sur 53 députés qui portent épée à [la] Diète républicaine, on y observe, outre le révé-rendissime évêque de Sion, deux marquis créés par S.M. le roi sarde, deux barons, un chevalier des ordres de Saint-Louis et de Ferdinand d’Espagne, un chevalier de l’ordre impérial de Léopold d’Autriche, deux chevaliers de l’ordre de l’Eperon d’or, dont l’un de Sion, l’autre de Martigny [Gay], sans compter dix autres nobles ou dix membres qui allongent leur nom d’un grand de pour sortir de cette méprisable roture ; et si tous siégeaient dans la chambre des députés à Paris, 40 au moins tiendraient l’ex-trême droite, dans le nombre sont compris 6 ex-libéraux de Monthey et Conthey tan-dis qu’on compterait à peine 4 à l’extrême gauche408.

Dans cette perspective, les libéraux ne se démarquent guère de l’aristocratie. A partir de 1833, Louis Gard parlera de radicalisme : mais ce ne sera encore qu’une nouvelle tendance libérale, pour quelques années tout au moins.